L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

Visite de la station de transit pour le « raz de marée humain »

, par Tobias Sauer, Traduit de l’allemand par Stéphane du Boispéan

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L'Italie envahie par les immigrants, vraiment ?
« Les migrants ? Ils sont très timides et ne dérangent pas » Photo © Tobias Sauer

Peu de gens se rendent à Vintimmille. La ville compte 25 000 habitants, se situe sur la Riviera italienne, dans l’ombre de stations balnéaires beaucoup plus importantes comme San Remo et Saint-Tropez. Et pourtant, Vintimille a fait la une, parce que trop de personnes y sont arrivées. Trop de personnes, qui étaient depuis bien longtemps en chemin et qui voulaient aller plus loin. Des immigrés, pour la plupart en provenance d’Afrique du Nord, en route pour la France, où beaucoup ont de la famille.

Vintimille, c’est la dernière ville italienne avant la frontière française. Et comme les autres routes sont barrées par les Alpes et la Méditerranée, les voyageurs doivent emprunter ce chemin. L’autoroute de Marseille à Gênes passe par Vintimille. Depuis la petite gare, les trains se rendent dans des villes illustres comme Cannes et Nice et quelques trains vont jusqu’à Milan. Le soir, à 23h15, arrive même un train en provenance de Rome. C’est ce train qui selon certains est devenu un problème. Car c’est avec lui qu’arrivent les immigrants.

La panique fait du mal à la ville

« Actuellement il y a relativement peu d’immigrants ici, mais autour de Pâques la place de la gare était pleine », raconte le propriétaire d’un kiosque à journaux donnant directement sur la gare. Même si la plupart d’entre eux voulaient continuer le voyage vers la France, la situation pour la ville et sa réputation a été « un désastre » selon lui. Car la crise aurait eu des conséquences sur le tourisme. « Il y a tout simplement moins d’Italiens qui viennent ». Le nombre de migrants à Vintimille serait à mettre directement en relation avec le nombre de nouveaux arrivants à Lampedusa. Dans le même temps il se plaint de la couverture médiatique : « les médias sont aussi une partie du problème et ils l’ont en partie enjolivé ». C’est aussi pour cela que beaucoup d’habitants de Vintimille ne sont pas prêts à donner leurs noms aux médias.

Berlusconi a décrit les migrants comme un « raz de marée humain »

Mais la vague de réfugiés n’a pas laissé cette impression que sur les commerçants de la gare. Le gouvernement italien s’est vite considéré comme débordé par le nombre de personnes qui arrivaient au fur et à mesure des révolutions en Afrique du Nord au printemps. Le Président du Conseil Silvio Berlusconi a comparé les réfugiés – juste après le tremblement de terre au Japon – avec un « tsunami humain », soit une catastrophe naturelle. Le Ministre des Affaires étrangères Franco Frattini mettait lui en garde contre ce qu’il définissait comme « un exode de dimension biblique ».

Contre la volonté de ses partenaires européens, l’Italie a accordé aux réfugiés des autorisations de séjour temporaires, qui les autorisaient à partir d’Italie. La situation s’est alors rapidement dégradée : la France a introduit des contrôles aux frontières et fermé pour quelques heures la liaison ferroviaire entre Vintimille et Menton, ce qui a conduit en Italie à une vague de protestation.

Dans le même temps, le gouvernement italien réclamait des autres pays européens la « solidarité », ce qui voulait dire la répartition des réfugiés en Europe. Le nombre d’immigrants avait été multiplié par quatre. Tandis qu’en 2010, c’étaient 4 406 personnes qui étaient arrivées dans 159 bateaux sur les côtes italiennes, on décompte, pour les six premiers mois de 2011, 507 navires avec 42 807 personnes, signale Sonia Viale, Sous-secrétaire d’Etat au ministère de l’intérieur italien.

Malgré cette augmentation de l’immigration, les demandes italiennes se sont heurtées en Europe du Nord à un mur du refus. C’est ainsi que le ministre de l’intérieur allemand Hans-Peter Friedrich a déclaré au journal die Welt : « l’Italie doit régler elle-même ses problèmes de réfugiés ».

L’Italie n’est pas vraiment débordée par les immigrants

A Bologne, capitale de la région Emilie-Romagne, à 300 kilomètres à l’est de Vintimille, Anna Rossi dirige le bureau des réfugiés au sein du syndicat CGIL. Elle et ses collaborateurs les aident à résoudre les problèmes et à faire face aux autorités. La salle d’attente des petits bureaux est remplie de chaises en bois, beaucoup de ceux qui font la file viennent d’Afrique du Nord, certains des Balkans et d’Asie orientale.

La plupart sont de jeunes hommes, certaines femmes ont des poussettes avec elles, les personnes plus âgées sont plus rares. Les informations sont disponibles dans beaucoup de langues, dont le chinois et le russe. Et bien sur l’arabe.

« Nous avons une situation exceptionnelle », nous déclare la syndicaliste d’un ton résolu. Mais est-ce qu’on peut pour autant parler d’état d’urgence ? « Non » répond-elle aussi sûrement. Et d’égrainer les chiffres : en Italie vivent moins de réfugiés que dans d’autres pays européens. Environ 55 000, ce qui correspond à un pour 1 000 habitants. En France vivent trois réfugiés pour 1 000 habitants, en Grande-Bretagne cinq et en Allemagne sept. « Alors, pourquoi est-ce que l’Allemagne devrait accueillir tous les réfugiés ? La proportion de réfugiés en Italie est bien moindre que dans d’autres pays. » Et de signaler que dans le passé l’Italie a fait face à des vagues d’une importance semblable sans que l’on en fasse un état d’urgence.

« Il n’y a absolument aucun raz-de-marée humain », dit Anna Rossi. Selon elle, les déclarations du gouvernement italien répondent à une autre logique : la campagne électorale. L’invasion des étrangers, cela fait comme les nuages de sauterelles dans l’ancien testament. Berlusconi et son partenaire de coalition gouvernementale, le parti d’extrême droite Ligue du Nord, utilisent cela pour se présenter comme des durs, sur le dos des immigrants. « La politique de la peur de l’immigration, des migrants terroristes par exemple, a beaucoup de succès en Italie », déclare Anna Rossi.

Les États européens divisés.

La dispute entre l’Italie et la France à propos des postes frontières est aussi une conséquence de la politique d’extrême droite poursuivie dans les deux pays, ajoute la syndicaliste. Certes, les autorisations de séjour temporaire autorisent à voyager en France. Mais en même temps la France demande aux migrants la preuve qu’ils peuvent subvenir eux-mêmes à leurs besoins. S’ils ne peuvent pas le prouver, ils doivent quitter le pays et sont expulsés vers l’Italie.

L’Italie aurait agi de la même façon, mais en sens inverse l’an passé : « il y a un an, lorsqu’en France avait proclamé un état d’urgence migratoire, l’Italie a refusé de coopérer ». C’est pour cette raison qu’elle voit d’un œil critique l’appel italien à la solidarité. Car la solidarité ne doit pas aller à sens unique. Si tous les pays n’essaient que d’expulser les migrants et de les envoyer ailleurs, aucun compromis n’est possible. « La coopération signifie que tu fais ta part du travail » Car l’immigration ne se laisse pas, pour elle, arrêter par des lois plus sévères, ne serait-ce que parce que beaucoup craignent pour leur vie dans leur pays d’origine.

Elle préconise non pas plus de contrôles aux frontières et de centres d’expulsions, mais d’offres sérieuses d’intégration comme les cours de langues. Et les Italiens ne se sentent aucunement débordés ou envahis par les migrants. Pas même les habitants de Vintimille. « Les immigrants ? Ils sont très timides et ne dérangent pas. Ils restent de toute façon dans les environs de la gare. On ne les remarque quasiment pas », déclare une employée d’un café, apparemment sans même remarquer que son lieu de travail n’est éloigné de la gare que d’une centaine de mètres.

Vos commentaires
  • Le 25 août 2011 à 13:21, par Gers En réponse à : L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

    Comment se fait-il que le blog de Jean Quatremer « les Coulisses de Bruxelles » soit si fréquenté, que les interventions y soient contradictoires, vivantes, parfois drôles, alors que le Taurillon ne suscite pas la moindre envie de débattre et qu’il ressemble de plus en plus à un oscillogramme plat. En cela il est incontestable qu’il reflète mieux que celui de « Jean Quatremer » l’état des convictions européennes. J’ai moi-même beaucoup changé ces derniers mois : c’est bien simple, moi qui étais si europhile je n’y crois plus. Les nonistes ont été les plus lucides à pressentir l’impasse européenne. tirons-en les conséquences.

  • Le 25 août 2011 à 22:36, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

    Merci pour votre commentaire. Pouvez-vous préciser s’il vous plaît votre pensée ? Et le cas échéant le lien avec l’article ?

    En ce qui concerne le nombre de commentaires je crois qu’il est lié aussi à la fréquentation du site qui si elle est appréciable n’est pas celle d’un blog mis en avant sur le site d’un grand quotidien national.

  • Le 25 août 2011 à 22:40, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

    Vous pouvez aussi consulter notre page Facebook où les articles y sont plus souvent commentés que sur le site lui-même : https://www.facebook.com/Taurillon

  • Le 10 octobre 2015 à 09:59, par sanfilippo En réponse à : L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

    J e suis d’origine Sicilienne c’est vraiment desolant que vous ne parliez pas de cette Sicile qui etait magnifique avant l’arrivée de tous ces migrants qui la defigure , je ne comprends pâs pourquoi le gouvernement Italien ne met pas des bateaux a disposition pour ramener ces migrants chez eux ca leur couteré moins cher que leur donné a manger et ca sauveré cette Sicile que j’adore

  • Le 10 octobre 2015 à 18:51, par Alexandre Marin En réponse à : L’Italie envahie par les immigrants, vraiment ?

    @sanfilippo

    Pas de problème ! La Sicile était à son apogée, un des endroits les plus cosmopolites d’Europe, où coexistaient des Normands, des Grecs, et des Arabo-Musulmans.

    La Sicile conserve un patrimoine architectural (entretenu grâce aux aides européennes) et une langue qui doit beaucoup à cette dernière civilisation. Cela crée des liens avec les peuples méditerranéens.

    Je ne vois donc pas en quoi les migrants « défigurent » la Sicile, alors que pour la plupart, ils viennent du bassin méditerranéen, et ont une certaine proximité avec les Siciliens et autres populations d’Italie du Sud. La preuve est que beaucoup de gens là-bas ne pensent pas comme vous. Vu que l’Italie du Sud est l’une des régions les plus pauvres d’Europe, les réfugiés souvent ne s’y arrêtent pas, et pourtant, beaucoup sont tout de même restés là-bas en raison de la générosité de la population, au point qu’ils représentent désormais le tiers de la population de certaines communes. Cela ne gêne absolument pas les habitants qui continuent de venir en aide aux nouveaux arrivants.

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