L’UE et le développement de l’Afrique

Quelles stratégies mettre en place pour le développement de l’Afrique ?

, par Pierre Catalan

L'UE et le développement de l'Afrique

Quand on s’intéresse aux questions européennes, on oublie trop facilement un autre grand enjeu mondial : le développement du Sud en général, et de l’Afrique en tout particulier.

Une question qui, en mars dernier, a donné lieu à l’organisation d’un colloque au CEFRES [1] sur le rôle de l’Europe dans le développement de l’Afrique. Un Colloque à l’occasion duquel on été abordé de nombreuses questions liées à cette thématique :

Les nouveaux Etats membres de l’UE manifestent-ils le même intérêt que les pays d’Europe occidentale à l’égard de l’Afrique ? Et les réformes démocratiques effectuées en Europe centrale dans les années 1990 sont-elles transposables à l’Afrique ?

Quelle stratégie européenne de développement pouvons-nous proposer à l’Afrique ? Quelles options choisir entre la budgétisation du Fonds Européen de Developpement (FED), l’allègement de la dette ou la mise en place de financements innovants ? Et comment coordonner interventions de l’ONU, de l’UE et des Etats ?

- Quelle implication des nouveaux Etats membres dans une politique européenne de développement de l’Afrique ?

Pour les pays d’Europe centrale, la mise en place de relations avec les pays d’Afrique dans les années 1990 s’est fait dans un contexte bien particulier : celui de la transition économique, démocratique et financière. Or, l’attrait de ces pays pour les pays d’Europe de l’Ouest a guidé leurs transitions. Et les réformes effectuées à cette occasion n’ont laissé que bien peu de temps pour l’Afrique dans leurs priorités diplomatiques.

De ce fait, dans les années 1990, l’Afrique - vivant alors dans une époque de chaos particulier (avec la guerre du Rwanda, par exemple...) - a alors eu peur de voir les aides qui lui étaient normalement allouée (i. e : annulation des dettes, aides en tout genre, etc) être détournées au profit des pays d’Europe de l’Est. Des craintes qui se sont avérées fondées puisque l’on peut effectivement, en Afrique, qualifier ces ’’années 1990’’ du terme d’ ’’années perdues’’ pour l’aide internationale.

Néanmoins, avec l’adhésion à l’OCDE (puis ensuite leur classification, par le FMI, comme pays ’’riches’’...), les pays d’Europe de l’Est sont entrés dans le bal des pays du Nord : devant, de ce fait, participer aux projets internationaux pour l’Afrique. Mais l’exercice est difficile : ces pays d’Europe de l’Est n’étant pas d’anciens pays colonisateurs, les seules relations qu’ils ont avec les pays d’Afrique se limitent aujourd’hui à celles qu’ils entretenaient autrefois avec les anciens "pays frères" de l’ancienne obédience soviétique.

Ainsi, l’aide que consacre la République tchèque aux pays d’Afrique se limitait donc, récemment encore, à seulement deux Etats : Angola et Zambie. Même si l’an 2000 l’a vu ouvrir des relations avec l’Afrique du Sud et participer à des opérations humanitaires (notamment au Congo et au Rwanda). Ce qui augure donc plutôt bien de la future année 2009 : année charnière des relations ’’Europe/Afrique’’ durant laquelle la République tchèque exercera la présidence de l’Union européenne (et à l’occasion de laquelle les plans du « Fonds Européen de Développement » devront à nouveau être redéfinis...).

Comment conduire une politique de développement efficace ?

Il est difficile, pour un pays comme (par exemple) la République tchèque, de s’impliquer dans l’aide internationale à l’Afrique. Et ce, pour plusieurs raisons : La République tchèque est (somme toute...) un petit pays, aux institutions politiques très fragmentées (avec neuf ministères intéressés à la seule coopération européenne - ou tchèque - avec l’Afrique) et souffrant d’un certain manque d’argent. Dans ces conditions, il est effectivement difficile d’être vraiment ambitieux.

C’est pourquoi des pays d’Europe centrale, comme la République tchèque, se tournent donc aujourd’hui de plus en plus vers des projets de coopérations ’’triangulaires’’ (i. e : avec un pays d’Afrique et, souvent, la France). Et ce, afin de pouvoir travailler en complémentarité avec un pays plus aisé. D’autant plus que la langue française étant peu parlée dans en République tchèque, cela l’handicape fortement dans ses relations avec beaucoup de pays d’Afrique, francophones (un même cas de figure se présentant pour la Hongrie, dans une moindre mesure pour la Pologne).

Mais il y a aussi dans ces pays d’Europe centrale un certain nombre de problèmes d’ordre politique et sociétal à surmonter [2] : notamment le fait que la classe politique tchèque n’est pas du tout préparée ni éduquée à ces coopérations avec l’Afrique, qu’elle a 50 ans de retard à rattraper en termes de relations avec l’ensemble du monde et avec l’Afrique, en tout particulier (une question où anciens pays colonisateurs sont très largement ’’en pointe’’...). Par ailleurs, il semblerait que la République tchèque ait plutôt tendance (cause et conséquence des ces 50 ans de retard...) à confondre « trade » et « aid » : en versant beaucoup dans l’aide budgétaire et assez peu dans l’aide humanitaire.

Et, pour la Hongrie, le cas semble est comparable. C’est pourquoi le représentant du ministère des affaires étrangères Hongrois présent lors de ce colloque a proposé qu’il soit organisé une meilleure répartition des tâches en fonction des avantages comparatifs et des atouts de chacun des pays membres de l’UE. En tout cas il semble que - pour travailler en complémentarité - la Hongrie compte s’appuyer sur de semblables projets triangulaires mais aussi sur une meilleure coordination des politiques de l’UE.

L’expérience des réformes économiques en Europe centrale peut-elle être utile à l’Afrique ?

Dès à présent il faut relativiser cette ambition. La transition économique peut revêtir des formes multiples : le cas de la transition économique polonaise a, par exemple, été assez radical. Alors que celles de la Chine ou la Malaisie ont été des cas de transitions graduelles et, encore, non-achevées à ce jour... Toutefois, en ce qui concerne les PECO (i. e : Pays d’Europe Centrale et Orientale), la transition économique a été largement facilitée par l’accumulation du capital physique et du capital humain (ce qui ne peut pas être le cas de nombreux pays d’Afrique...).

Par ailleurs, il ne faut pas voir le modèle des PECO comme étant uniquement celui de la Pologne, de la République tchèque ou de la Hongrie. Il faut préciser et introduire des nuances : entre petits et grands pays d’Europe de l’est mais aussi anciens pays incorporés à l’URSS et anciens pays "uniquement" satellites. Prenons l’exemple de l’Estonie : qui n’a, pour l’instant encore, ouvert aucune ambassade en Afrique et qui compte n’en ouvrir une - en Egypte - qu’en 2009 !

Par ailleurs, l’étude de la transition économique de la Pologne peut être intéressante pour comprendre les problèmes qu’ont à affronter, aujourd’hui, les Etats Africains. En effet, la Pologne est - a priori - le pays qui a le mieux réussi sa transition économique [3].

Pour ce faire, le gouvernement polonais a favorisé les petits entrepreneurs, profitant de l’existence dans le pays d’un esprit d’entreprise certain. Par ailleurs, la "carotte" que représentait l’adhésion à l’UE a joué là un rôle important : dans la mesure où elle a permis de faire passer nombre de réformes, impopulaires au depart (70% des paysans polonais étant contre l’adhésion en 2003, proportions finalelmennt inversées en 2005).

La démocratie est-elle une pré-condition à la transition économique ?

On peut dire que dans un sens oui : dans la mesure où les réformes politiques ont toujours précédé les réformes économiques. Mais il ne faut pas oublier, d’une part, que la démocratie avait déjà été expérimentée - avant 1989 - dans les pays d’Europe de l’est (et que ce n’est souvent pas le cas en Afrique...). Et que, d’autre part, beaucoup de pays ayant contribué au "Miracle asiatique" ont effectué leur transition économique avec des régimes autoritaires voire dictatoriaux (comme la Malaisie ou la Corée du Sud, par exemple...).

Par ailleurs, si le développement débouche toujours sur la démocratie, force est de constater que ce n’est pourtant pas le cas partout (exemple : en Chine). Mais on doit nuancer ce propos en précisant que l’Asie du Sud-est est aussi, à l’inverse de la presque totalité de l’Afrique sub-saharienne, une zone d’échanges commerciaux très importants.

Par ailleurs, on peut aussi dire que les investissements et l’esprit d’entreprise sont rares dans les zones non-sécurisées. Or le déroulement de nombreuses guerres en Afrique y empêche donc l’implantation d’investissements étrangers : cause et conséquence de la ’’mise à l’écart’’ de l’Afrique sub-saharienne par rapports aux circuits et grands flux d’échanges commerciaux.

Quel projet politique pour l’Afrique ? Quelle "carotte" pour le développement du continent africain ?

Cette question nous amène évidemment à la nécessité de la mise en place d’un dialogue resserré entre Europe et Afrique. Et s’il ne faut pas se faire d’illusions sur l’expérience en la matière des pays de l’Europe de l’Est, on peut néanmoins considérer qu’un NEPAD [4], élargi et approfondi, pourrait être un bon socle pour un futur partenariat très étroit entre les pays d’Afrique et l’UE. Ce qui pourrait donc jouer là un rôle de ’’carotte’’.

- Quelles stratégies de développement pour l’Afrique ?

La réponse à cette question se trouve dans la recherche d’un compromis entre unité et diversité. Diversité des acteurs, des stratégies, des pays (ce qui complique l’utilisation des outils du développement...) et Unité de l’UE sur la question (quoique c’est de cette diversité des acteurs que l’Europe tire de nombreux avantages comparatifs...).

Une diversité européenne avec de nombreuses oppositions multiples entre pays de l’UE dans leurs stratégies nationales : diversité européenne qui fait écho à la diversité de l’Afrique (les pays du Maghreb et de l’Afrique australe ne devant pas être considérés de la même manière que ceux de l’Afrique sub-saharienne...).

Les Européens et les "Autres" en Afrique :

On constate aujourd’hui qu’il y a donc une forte diversité d’acteurs en Afrique. D’une part il y a les bailleurs de fonds européens mais aussi, d’autres part, on compte depuis peu de nouveaux acteurs (comme l’Inde, l’Afrique du Sud, la Malaisie, la Chine ou le Brésil, etc) mais, aussi, on constate un récent très fort retour en Afrique du Japon et des Etats-Unis.

Ces divers acteurs ont mis en place des stratégies très diverses : diplomatiques (Brésil), régionales (Afrique du Sud), dans le secteur privé (Malaisie, Inde) ou dans le secteur public (Japon). Quant à la Chine, elle intervient dans tous ces secteurs. Tandis que les USA ont visiblement adopté une stratégie de ’’rouleau compresseur’’, avec une doctrine qui diffère sensiblement de celle des Européens puisque basée ’’sur la crainte et le défi’’ (et non sur la protection des biens publics mondiaux), ce qui est peut-être, d’ailleurs, une meilleure stratégie pour sensibiliser l’opinion publique...

Comment prendre en compte cette diversité ? D’abord en renforçant le dialogue avec les bailleurs émergents. Voire, pourquoi pas, en cherchant à impliquer la Chine dans des programmes européens.

Faut-il budgétiser le Fonds Européen de Développement (FED) ?

Le FED [5] a été créé en 1959 (avant même la décolonisation de l’Afrique noire...) et reste - depuis lors - en dehors des règles budgétaires et de tout contrôle européen. Cela a, certes, des inconvénients : cela favorise le chevauchement des programmes, alourdit les procédures et manque de transparence. Mais cela a aussi des avantages. Ainsi, le FED cible directement les [6], propose une sécurisation des fonds et reste un moyen de pression politique très utile.

Par ailleurs il faut souligner que l’absence de budgétisation permet - lorsque tout l’argent n’est pas dépensé - de le garder pour la réalisation d’un autre programme. Face à cette question, il y a néanmoins les intérêts divers des divers pays de l’UE. Qui paye et combien ? Or, si le FED était budgétisé, la France paierait moins qu’elle ne donne actuellement (et la Grande-Bretagne bien plus...).

L’allègement de la dette est-elle une politique qui a fait ses preuves ?

La question de l’annulation de la dette revêt plusieurs formes : Quelle annulation : partielle ou totale ? Et selon quelles modalités : annulation "sèche" ou progressive ? (etc.)

De plus, il faut souligner que l’annulation de la dette a des effets pervers : perte de ’’réputation’’ pour les pays qui ont profité des allègements, ce qui provoque une méfiance des banques du Nord pour les futurs emprunts (d’autant plus, encore une fois, qu’aucune "carotte" de type ’’adhésion à l’UE’’ n’existe pour les pays d’afrique à l’instar de ce qui s’est produit pour les pays d’Europe de l’est dont la dette a été annulée dans les 1990 ; à l’exception - toutefois - de la Hongrie, qui a refusé...).

Néanmoins, encore une fois, la question de l’annulation de la dette doit être traitée au cas par cas. Car la diversité des situations en Afrique est importante : avec des pays qui se situent (ou pas) dans des zones ou sur des axes d’échanges commerciaux, avec de différentes capacités d’endettement et avec des pays profitant (ou pas) d’une manne pétrolière ou gazière permettant des remboursements conséquents et rapides (ici, on pensera plus particulièrement au Nigeria ou à l’Algérie, laquelle - en 2005-2006 - a remboursé près de 6 milliards de $ en 14 mois).

Sur cette question, l’Europe n’a pas encore défini encore de politique commune. Toutefois cela nous renvoie, en quelque sorte, au problème de la budgétisation du FED. Car l’annulation de la dette peut être une façon d’utiliser de l’argent non-dépensé mais devant l’être dans l’année. (Et que faire de cet argent qui ne servira pas ? : Pourquoi ne pas envisager un allègement de la dette...).

Quels financements innovants pour le développement ?

Il existe aujourd’hui deux grands mécanismes de financements. D’une part l’ « International Finance Facility » (initiée par le Royaume-Uni), d’autre part la « Taxe sur les billets d’avion de 1 à 40 €uro » (proposée par la France) : une initiative qui stabiliserait et sécuriserait les financements au développement mais qui - dans l’état actuel - ne serait pas susceptible d’apporter des financements considérables.

Encore une fois, il n’existe pas de dispositions communes à l’UE à propos de ces mécanismes : si la France et le Royaume-Uni se sont effectivement investis dans la mise en place de la taxe sur les billets d’avion, l’Allemagne ou l’Autriche ne font ’’que’’ soutenir un tel projet et d’autres pays n’y ont carément pas participé (et aucun en Europe centrale, à l’exception notable de l’Estonie...).

- En guise de conclusion

On peut donc voir que, lorsque l’UE apparaît comme un groupe unitaire c’est - jusqu’à présent - principalement pour mener des politiques sans grand intérêt véritable. Or l’Europe a toujours fait face à la diversité par la mise en place de compromis évolutifs. Du coup, la tentation de gérer cette diversité par une homogénéisation est dangereuse, car la diversité est ici souvent source d’avantages comparatifs.

On peut donc voir, dans la stratégie que l’UE pourrait adopter, que - s’il apparaît que l’idéal pour l’Afrique soit un consensus global de type ’’action internationale sous l’égide de l’ONU’’ - en réalité (et compte tenu de la diversité des situations européennes), cette solution serait sans doute désastreuse : non seulement pour l’Europe mais aussi, dans une moindre mesure, pour l’Afrique. (Et il ne faut pas oublier que l’aide n’est pas que charité : les enjeux stratégiques qu’elle induit sont aussi importants...).

Ainsi, il semblerait qu’il vaille mieux préférer la mise en place d’un système de ’’compartimentation’’ des aides. Ce qui compliquerait, certes, la situation. Mais ce qui serait sans doute plus favorable aux intérêts européens.

- Illustration :

Darfour : photographie d’un enfant dénutri et de sa mère, en 2005 (Sources : Encyclopédie en ligne wikipédia).

Mots-clés
Notes

[1CEFRES : Centre de Recherche en Sciences Sociales.

[2Point de vue développé par un président d’ONG tchèque présent lors de ce colloque...

[3A priori, car on ne parle là que de transition économique alors que, pour ce qui est de la transition démocratique (et notamment celle de la société civile...), on peut rester pour le moins circonspect...

[4NEPAD : « Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique ».

[5FED : « Fonds Européen de Développement ».

[6PMD : Pays les Moins Développés.

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