L’Union monétaire peut-elle survivre sans une Union économique ?

, par Traduction de Benoît Pélerin, Guido Montani

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L'Union monétaire peut-elle survivre sans une Union économique ?

Plus d’intégration européenne est nécessaire pour surmonter le crise grecque.

La menace de faillite de la Grèce a montré une faille dans l’architecture de l’Union européenne (UE). L’Union Économique et Monétaire (UEM) a été décidée par les États membres dans le traité de Maastricht. Pourtant aujourd’hui on n’interprète (guère) plus cet acronyme que comme « Union Monétaire Européenne ». Le volet sur l’Union Économique est resté lettre morte. En effet, durant la première décennie de l’Euro, les citoyens ont pu faire l’expérience de la politique monétaire effective menée par la BCE mais l’UE a été incapable de mettre en place en parallèle une politique économique pour la croissance et l’emploi. Le résultat : l’UE fait maintenant face à un dilemme des plus difficile. En vertu, du traité un plan de secours pour la Grèce est interdit ; mais si l’UE ne fait rien, une faillite de la Grèce mettrait toute l’Union Monétaire en danger.

À la source du dilemme se trouve le traité de Maastricht lui-même, qui, s’il a créé une Union Monétaire bien conçue, reste en revanche muet sur le gouvernement économique européen. Le consensus de Bruxelles, largement partagé, s’est fondé sur l’idée que seul un gouvernement a minima était nécessaire. Et en effet, le budget de l’UE n’a pas augmenté pour assurer plus de convergence et de cohésion sociale. Un économiste allemand, qui a signé une déclaration appelant à retarder la création de l’Euro en 1999, a fournit les raisons d’un gouvernement Européen a minima. « Le marché commun et l’union monétaire instaure une concurrence entre pays, sur la base de leur situation économique et de leurs institutions, » a ainsi déclaré récemment Wim Kösters [1]. « L’Allemagne s’est montrée à la hauteur du défi, c’est maintenant au tour de la Grèce et des autres de suivre l’exemple ».

Regardons de plus près ce que signifie la « concurrence » au sein de l’Union Monétaire. La Zone euro se divise en deux : les pays forts et les pays faibles. Si on s’intéresse aux données de l’OCDE sur l’état des balances courantes, on peut voir que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique ont réussi à maintenir un excédent structurel, qui dans le cas de l’Allemagne est même substantiel. Pour la France on constate un léger déficit. À l’inverse les « PIGS » [2] - Portugal, Italie, Grèce et Espagne, i.e. les pays « Club Med »- sont en dificit constant, dans le cas du Portugal et de l’Espagne de près de 10% du PIB en 2007. Rien de surprenant à cela. Tout le monde sait bien que les PIGS ont de sérieux problèmes d’administration publique. Certains pays, comme l’Italie, sont incapables de promouvoir des réformes structurelles, ni de lutter efficacement contre la corruption et la mafia, et ont tous des déficits et des dettes faramineuses.

Mais ces problèmes existaient déjà avant le traité de Maastricht et en effet, ces pays ont accueilli la création de l’UEM comme une occasion de surmonter leurs problèmes structurels. En fin de compte, la création d’une union monétaire ne s’est avéré n’être rien de plus qu’un vœu pieux. En 1994, juste après l’adoption du traité de Maastricht, Jacques Delors, alors président de la Commission, a lancé un plan pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, mais les Ministres des Finances ont estimé que leur propres réformes intérieures devait être leur priorité principale et n’ont pas engagé les fonds nécessaires pour soutenir le plan Delors. Encore de nos jours, quelques 15 ans plus tard, l’Union Économique reste un vœu pieux.

Souvenons-nous de deux échecs majeurs du projet européen. Le premier est un échec dans la réalisation complète du marché commun. Certains secteurs stratégiques tels que les industries de haute technologie, l’énergie et les services sont encore considérés comme la chasse gardée des gouvernements nationaux, qui s’enorgueillissent de leurs « fleurons nationaux ». La France et l’Allemagne, par exemple, s’opposent vivement à la création d’un marché commun de l’énergie même s’il ne fait aucun doute que la Commission pourrait négocier plus efficacement avec les pays de l’OPEP, la Russie, etc. si elle pouvait considérer l’énergie comme tout autre bien, car l’UE pèse plus sur la scène internationale qu’aucun de ses membres. La conséquence d’une Europe divisée pour les pays plus fragiles du « Club Med » est qu’ils doivent non seulement affronter la concurrence des géants du marché mondial, comme la Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis, le Japon etc. mais également celle des pays plus puissants de l’UE elle-même, comme la France ou l’Allemagne qui protègent leurs fleurons nationaux. Est-ce cela la concurrence non faussée ? Les dés sont pipés. [3]. Le processus d’intégration européen n’a pas abouti.

Le second échec a trait à la stratégie de l’UE pour la croissance et l’emploi. En 2000, le Conseil Européen lançait la stratégie de Lisbonne dans le but de faire d’ici à 2010 de l’économie européenne « l’économie du savoir la plus dynamique et la plus compétitive du monde, capable d’assurer une croissance durable à l’aide de nouveaux emplois plus qualifiés et d’une cohésion sociale accrue dans le respect de l’environnement ». Nous sommes en 2010 et force est de constater, avec amertume, que la Stratégie de Lisbonne est une nouvelle promesse de plus non tenue. La raison en est simple : la méthode souple de coordination a laissé aux gouvernements le choix de la réalisation – ou non – des objectifs convenus tels qu’atteindre un certain niveau d’investissements dans la R&D, un certain taux d’activité de la population etc. Ainsi, lors des débats sur les budgets nationaux, les lobbies nationaux obtiennent ce qu’ils veulent, ce qui coïncide rarement avec les objectifs convenus dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Morale de l’histoire, il est impossible d’œuvrer au bien commun publique de l’Europe par le biais de moyens nationaux. Et de fait, l’échec de la stratégie de Lisbonne oblige en réalité chaque pays membre de l’UE à suivre sa propre stratégie de croissance et d’emploi, et, de toute évidence, les pays les plus puissants ont plus d’opportunités de croissance que les plus faibles. De plus, les réformes structurelles étant difficiles et coûteuses, sans croissance, ou avec un taux de croissance faible, les pays plus fragiles du « Club Med » sont dans l’incapacité de combler leur retard par rapport aux pays les plus puissants de l’Union. Dans une telle situation, on serait même en droit de se plaindre que la compétition est faussée parce qu’il n’existe pas d’environnement concurrentiel équitable. Les dés sont pipés. [4]

L’Europe a besoin de plus d’intégration, avec une Commission européenne comme gouvernement démocratique, investie de véritables compétences dans les politiques financières et les affaires étrangères.

En conclusion, il est juste de demander aux pays « Club Med » de faire tous les efforts nécessaires à une modernisation de leur système politique, de leur administration et de leur économie. Mais par ailleurs la France et l’Allemagne devraient comprendre qu’il n’y a aucun avenir pour les politiques étrangères et économiques purement nationales dans le nouveau monde globalisé du vingt-et-unième siècle. La France et l’Allemagne peuvent nourrir l’illusion d’être plus puissant que les autres états, plus fragiles, de l’Union Européenne mais dans la réalité ils n’ont aucune chance de faire le poids face à un joueur de taille mondiale tel que la Chine. En revanche, l’UE, peut agir avec efficacité sur la scène internationale.

L’Europe a besoin de plus d’intégration, avec une Commission européenne comme gouvernement démocratique, investie de véritables compétences dans les politiques financières et les affaires étrangères. La réforme du budget européen, actuellement en cours, présente une bonne opportunité d’instaurer un budget fédéral, financé par un impôt européen et de doter la Commission du pouvoir d’émettre des « Bons du Trésor » européens, comme l’a proposé lui-même Jacques Delors en 1994. La stratégie Europe 2020, proposée par la Commission Baroso, peut devenir une réalité si la Commission acquiert les pouvoirs nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

Dans l’état actuel des choses, l’UEM, si elle n’est pas suivie d’une Union Économique, risque de créer de grave divergences politiques entre États Membres – pour preuve les tensions actuelles entre l’Allemagne et la Grèce – qui pourraient finalement la mener à sa perte.

Cet article a été publié à l’origine sur Europe’s World.

Mots-clés
Notes

[1The Economist, 20/02/2010

[2en anglais « PIGS » pour Portugal, Italy, Greece and Spain

[3en français dans le texte originel

[4en français dans le texte originel

Vos commentaires
  • Le 24 mars 2010 à 05:25, par Martina Latina En réponse à : L’Union monétaire peut-elle survivre sans une Union économique ?

    Merci pour cet article : ce qui est sûr est que l’Union Européenne doit éviter la dislocation, et pour cela trouver les moyens de sortir ensemble de la crise, donc des difficultés monétaires, économiques, voire linguistiques...

    Nous ne le pourrons qu’en comptant sur la solidarité, sur la justice et sur la paix ; nous n’y arriverons qu’en regardant loin pour résoudre les problèmes tout proches, qu’en gardant le cap sur le dialogue dans cette tempête d’urgences et de questions,

    comme le montra l’antique et pourtant jeune figure EUROPE qui, enlevée, mais élevée au rang de mère et de reine de la civilisation, par certain TAURILLON plus merveilleux que mystérieux, nous donna notre nom, ses dons de communication(alphabétique autant que nautique) et son élan, aussi contagieux qu’audacieux, d’espérance.

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