Le 14 décembre 2011, la chambre des députés (polasnecka snemovna) a adopté à une large majorité l’amendement proposé par le ministre de la justice Jiři Pospisil visant à modifier la Constitution afin d’y inscrire l’élection au suffrage universel direct du prochain président Tchèque. Depuis 1993, Vaclav Havel (1993-2003) et Vaclav Klaus (2003- ), les deux présidents que la République Tchèque a connus se sont faits élire pour cinq ans par une majorité de sénateurs et de députés. À partir de 2013, il s’agirait d’élire le président au suffrage universel direct par un mode de scrutin uninominal à deux tours, comme en France.
Accroitre la participation des citoyens et la légitimité du président
Un des buts de la réforme vise à mobiliser les Tchèques à se rendre aux urnes, en faisant de l’élection présidentielle, une élection de premier ordre. En effet, la République Tchèque tout comme les autres pays d’Europe Centrale et Orientale sont témoins d’un déclin constant du taux moyen de participation aux élections, phénomène encore plus prononcé qu’à l’Ouest. L’héritage des habitudes passées qui déterminent les comportements actuels, la fatigue du vote qui sollicite souvent les Tchèques mais aussi, et surtout la corruption et le manque de confiance dans les élites politiques sont autant d’explications à ce désintérêt qui se veut être combattu par cette réforme. L’élection s’impose donc également comme un outil pour lutter contre les phénomènes de corruption et de clientélisme qui auraient pu avoir lieu lors des négociations de soutien aux candidats pendant la précédente élection présidentielle.
Plus de légitimité politique donc, mais pour un président qui n’a que les pouvoirs « d’inaugurer les chrysanthèmes » (comme le disait Charles de Gaulle à propos des pouvoirs du président de la quatrième république), quel intérêt ? Paradoxalement, les pouvoirs du président se voient amoindris avec la réforme. Désormais,sa responsabilité n’est plus seulement pénale (haute trahison) mais est également à l’œuvre si le président ne respecte pas la loi. Par ailleurs, son immunité qui se prolongeait tout au long de sa vie se limiterait à la période du mandat. Enfin, une des compétences traditionnellement exclusive du président, c’est-à-dire celle de donner le droit de grâce doit se faire avec l’accord du premier ministre.
La République Tchèque se dirige ainsi vers un État où l’exécutif à deux têtes est fortement déséquilibré puisque le chef d’État ne dispose plus seulement de pouvoirs comme celui de nommer le premier ministre, représenter le pays à l’étranger ou encore signer les lois et accords internationaux. L’élection directe du président esquisse ainsi la métamorphose d’un régime parlementaire vers un régime semi-présidentiel (Duverger), reste à voir ce que la légitimité de l’élection aura comme conséquences en termes de rapports de force entre Premier ministre nommé et président élu. Il est cependant clair que l’élection va certainement politiser un rôle qui se veut initialement celui d’arbitre conformément aux compétences symboliques du président. Il sera dépendant du jeu partisan du fait du soutien financier et politique qu’il aura reçu et tendra à faire élire des leaders charismatiques de partis politiques aux dépens de politiciens qui font consensus.
Après deux mandats, Vaclav Klaus, actuel président et membre du parti civique démocratie (ODS, conservateurs libéraux) ne peut se représenter aux prochaines élections. En revanche d’autres personnalités comme Jan Fisher (ancien premier ministre), Jan Svejnar (économiste) sont pressenties comme favorites. C’est le cas également du président du parti Top 09, Karel Schwarzenberg (conservateurs) qui pour l’instant est le seul à s’être déclaré candidat.
Une européanisation des institutions tchèques ?
Si de nombreuses réticences vis-à-vis de la construction européenne se sont faites ressentir par le passé, notamment par Vaclav Klaus qui a ralenti le processus de ratification du Traité de Lisbonne en 2009 lors de sa présidence au Conseil de l’UE ou lorsque le premier ministre actuel Petr Nečas a déclaré que l’euro n’était pas une priorité ; l’impact de cette réforme sur l’Union européenne ne devrait pas être majeur. Les Tchèques eux-mêmes semblent faire très peu confiance aux institutions de l’Union européenne, puisque selon un sondage STEM, 46% des personnes interrogées les soutiendraient. La réticence de certains dirigeants ne serait que la retranscription des méfiances et craintes des citoyens. Par ailleurs, la réforme, en amoindrissant les pouvoirs du président ne présente pas d’impact en soi sur la construction européenne, tout dépendra du parti au pouvoir représenté par le président et celui du chef du gouvernement. Au contraire, cette réforme est une forme d’européanisation du système politique tchèque puisque les réformes s’alignent sur les pratiques majoritaires des États de l’Union.
La réforme de l’élection au suffrage universel du président Tchèque à partir de 2013 présente un caractère intrinsèquement paradoxal : l’augmentation de la légitimité démocratique du chef de l’État se conjugue avec l’affaiblissement de ses pouvoirs. Pourtant, la réforme a fait consensus au sein des trois partis du gouvernement, le plus grand parti de l’opposition tout comme la population.
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