L’état de l’économie française vu par la Commission européenne

, par Pierre-Antoine KLETHI

L'état de l'économie française vu par la Commission européenne

En dépit de nombreuses critiques (parfois justifiées) émises à son encontre, la gouvernance économique au sein de l’Union européenne (UE) et, en particulier, de la zone euro, a connu de nets progrès depuis 2010. Ainsi, la Commission dispose de nouveaux pouvoirs d’évaluation des politiques budgétaires nationales, dans le cadre de ce que l’on appelle le « semestre européen », dont le but est de permettre à la Commission d’identifier les risques et d’émettre des recommandations avant que les Etats n’adoptent leur budget pour l’année suivante. De ce fait, les politiques budgétaires et économiques nationales peuvent être plus facilement coordonnées et adaptées afin de respecter les objectifs de moyen terme.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a récemment publié un ensemble de rapports d’évaluation de la situation économique dans plusieurs États membres de l’UE, parmi lesquels la France. Plus précisément, ce rapport contient des recommandations concernant le programme national de réforme de la France pour 2012 et porte avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour la période 2012-2016. Si cette présentation a engendré quelques polémiques linguistiques – la version originale ayant été rédigée en anglais pour la présentation officielle –, il me semble plus utile de s’intéresser au contenu du rapport.

Les principaux enseignements sont les suivants : 1) les déséquilibres macroéconomiques qui touchent la France ne sont pas excessifs, 2) la croissance sera plus faible que prévu (1,3% en 2013), 3) le chômage continuera d’augmenter, 4) le respect des objectifs concernant le déficit exigera des efforts clairs et sérieux, 5) le marché du travail est trop segmenté, 6) la réforme des retraites et les initiatives en faveur de l’emploi sont trop timides, 7) la compétitivité des entreprises françaises est trop faible, 8) l’adéquation entre la formation des chômeurs et les qualifications requises est insuffisante, 9) le système fiscal doit être réformé, et enfin, 10) plusieurs secteurs doivent être davantage libéralisés.

Développons à présent chacun de ces points, regroupés en trois grands thèmes : les réformes budgétaires, les réformes en faveur de l’emploi et les réformes en faveur de la compétitivité.

Les réformes budgétaires

Eu égard aux incertitudes actuelles concernant la situation en Grèce et en Espagne, le contexte économique pourrait se dégrader. Plusieurs chiffres (publiés par d’autres sources) confirment ou annoncent ce risque. Ainsi, la Banque de France vient de réviser ses prévisions de "croissance" pour le second semestre, annonçant un recul du PIB de 0,1% (alors que, dans le même temps, la Bundesbank a relevé les prévisions de croissance pour 2012 en Allemagne de 0,6% à 1%).

Par ailleurs, le déficit commercial au cours des quatre premiers mois de l’année est très élevé, de l’ordre de 23 milliards d’euros (à seulement 3 milliards du pic enregistré en 2011).

Enfin, toujours pour la période de janvier à avril 2012, le déficit budgétaire n’a que très peu baissé par rapport à la même période de 2011, alors que les engagements de la France prévoient 4,4% de déficit en 2012 et 3% en 2013, contre 5,2% en 2011 (déficit plus faible que prévu). Rappelons que l’objectif officiel est d’atteindre l’équilibre des finances publiques en 2016 ; au cours de la campagne présidentielle, François Hollande a annoncé que ce serait plutôt en 2017.

L’endettement, qui était de 85,8% du PIB en 2011, devrait monter à 89,2% du PIB en 2013 et retomber à 83,2% du PIB en 2016, selon les estimations fournies dans le rapport.

Le rapport indique que "l’objectif à moyen terme d’équilibre structurel des finances publiques devrait être atteint durant la période couverte par le programme". Toutefois, un certain nombre de remarques et de recommandations sont émises. Ainsi, la France est notamment invitée à éviter tout dérapage des dépenses et à clarifier les mesures destinées à renforcer l’effort budgétaire, afin de respecter les objectifs et le calendrier fixés.

Par ailleurs, la viabilité du régime des retraites est également examinée. Selon les conclusions du rapport, malgré la réforme de 2010, il n’est pas certain que le système parvienne à l’équilibre en 2018, si les conditions économiques (croissance, chômage) sont défavorables. Et à partir de 2020, le risque est élevé que le régime des retraites soit à nouveau déficitaire, ce qui nécessiterait donc une nouvelle réforme. Il va sans dire que le retour en arrière partiel décidé récemment par le Conseil des ministres ne contribuera pas à améliorer la situation financière de cette branche de la Sécurité sociale.

Pour stimuler l’économie et réduire le chômage, le rapport s’intéresse ensuite au marché (ou plutôt, aux marchés) du travail.

Les réformes en faveur de l’emploi

Une première mesure suggérée est de réduire la fragmentation du marché du travail, due à la multiplicité des contrats de travail existants. De fait, si plusieurs mesures sont en voie d’adoption, par exemple pour permettre une organisation du travail flexible aux entreprises confrontées à des difficultés temporaires, aucun projet de réforme ne semble s’attaquer véritablement au problème de la segmentation du marché du travail.

Par ailleurs, la législation en matière de protection de l’emploi demeure trop complexe, engendrant des incertitudes et des coûts élevés, par exemple lorsque les entreprises souhaitent procéder à des licenciements individuels. Enfin, le rapport souligne le fait que ces dernières années, l’augmentation du salaire minimum a été limitée, ce qui est une bonne chose, pour éviter de décourager les embauches et pour maintenir la compétitivité. Il est suggéré de poursuivre dans cette voie (là aussi, les annonces du nouveau gouvernement risquent d’aller dans le sens contraire).

Un second ensemble d’actions concerne les mesures de formation et de suivi des chômeurs. Ainsi, en matière de lutte contre le chômage des jeunes, la Commission a constaté que les objectifs fixés en matière de contrats d’apprentissage sont loin d’être atteints. Par ailleurs, elle cite un rapport commandé par les autorités françaises, dans lequel l’on apprend que "40% des PME considèrent que les compétences des apprentis ne correspondent pas à leurs besoins". Il convient donc de revoir la politique de formation, afin que le système éducatif, dans toute sa variété, réponde mieux aux besoins du marché du travail.

En matière de lutte contre le chômage des seniors aussi, la Commission déplore, dans son rapport, le manque d’ambition des mesures. Elle lance donc plusieurs pistes, dont le développement de l’apprentissage des adultes (ce qui est également lié à une meilleure formation des chômeurs). Enfin, en ce qui concerne les dispositifs d’aide au retour à l’emploi, le rapport pointe le fait que la fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC, qui a abouti à la création de Pôle Emploi, n’a pas encore démontré les résultats annoncés en matière d’efficacité de traitement des dossiers et de qualité des services. Un problème important est l’engorgement des services de Pôle Emploi, en raison de l’augmentation régulière du chômage et du manque de moyens. Il faudrait donc "intensifier les politiques actives de l’emploi" et offrir aux demandeurs d’emploi un "accompagnement individualisé plus performant".

Enfin, la Commission émet également un certain nombre de recommandations pour améliorer la compétitivité de la France.

Les réformes en faveur de la compétitivité

Le rapport salue l’introduction de la "TVA sociale", c’est-à-dire une hausse de 1,6 points de la TVA (pour la porter à 21,2%), et la hausse de 2 points des prélèvements sur les revenus du capital et les plus-values (pour les porter à 15,5%), en contrepartie d’une baisse des cotisations sociales des employeurs. Alléger le coût du travail doit, en effet, permettre d’améliorer la compétitivité des produits français à l’exportation, en les rendant moins chers, ce qui pourrait aussi pousser les entreprises à investir en cas de succès, pour améliorer la compétitivité hors coûts (par exemple, la compétitivité par la qualité).

D’autres mesures fiscales sont cependant critiquées. Ainsi, la réduction des dépenses fiscales (connues sous le nom de "niches fiscales") touche surtout la fiscalité du travail. Par ailleurs, en matière de revenus fiscaux issus de la fiscalité verte, la France est avant-dernière de l’UE, ce qui lui laisse donc de larges marges de manœuvre. Enfin, il serait souhaitable d’évaluer l’effet réel des taux réduits de TVA sur l’emploi, afin de vérifier s’ils sont utiles. En bref, la France devrait simplifier et rééquilibrer la fiscalité, ce qui permettrait de diminuer le coût du travail et d’augmenter la compétitivité des entreprises sans porter atteinte à l’objectif d’équilibre budgétaire.

Par ailleurs, afin de stimuler l’activité, le rapport préconise d’éliminer des barrières à l’entrée inutiles et autres comportements restrictifs dans plusieurs secteurs et professions réglementés (professions juridiques, taxis, …). Il conviendrait d’examiner plus en détail la légitimité et la proportionnalité des restrictions existantes. Dans le secteur de la vente au détail aussi, il est suggéré d’accroître la concurrence, pour tirer les prix vers le bas (en diminuant les marges des distributeurs). Les industries de réseau (électricité, ferroviaire) devraient également être rendues plus concurrentielles. En effet, l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises est limitée, notamment par des obstacles techniques.

Enfin, les mesures en faveur de l’innovation doivent être complétées par des mesures en faveur de la rentabilité des entreprises, afin que celles-ci puissent réinvestir pour améliorer leurs performances et augmenter leurs dépenses de R&D.

Conclusion : la France a besoin de réformes structurelles profondes et rapides

Certains problèmes, tels que le déficit budgétaire public, existent depuis près de 40 ans. Trop souvent, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont reculé devant les groupes d’intérêts et la crainte du changement. La réussite économique de l’Allemagne, par contraste avec le marasme qui touche une grande partie des États membres de l’UE, prouve que le « déclin européen » n’est pas une fatalité.

Dans un monde qui change, nous ne pouvons pas nous replier sur nous-mêmes, avec nos certitudes passées ; au contraire, nous devons changer aussi, apprendre à saisir nos chances et à utiliser nos capacités et nos talents.

NB : Cette conclusion reflète mon avis propre et n’est pas tirée du rapport.

Pour aller plus loin :

*Le rapport de recommandations peut être trouvé en cliquant ici.

*Pour plus de détails, vous pouvez consulter un document de travail (50 pages) ici.

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