L’euro, le dollar et l’avenir du système monétaire mondial

, par Aurélien Neu

L'euro, le dollar et l'avenir du système monétaire mondial

Edouard Husson et Norman Palma sont les auteurs d’un ouvrage paru aux éditions François Xavier de Guibert, Le Capitalisme malade de sa monnaie : Considérations sur l’origine véritable des crises économiques, consacré à l’étude des turbulences monétaires créées par le dollar.

Le Taurillon : Edouard Husson, vous insistez dans votre ouvrage écrit avec Norman Palma, Le Capitalisme malade de sa monnaie, sur la lucidité du Général de Gaulle exprimée au cours de sa célèbre conférence de presse du 4 février 1965 au cours de laquelle il met l’accent sur la nécessaire réforme du Système Monétaire International et critique, déjà, le privilège accordé au dollar. Pouvez-nous préciser en quoi consiste ce privilège que l’on désigne communément par le modèle de l’étalon-dollar ?

Edouard Husson : Pour ce faire, il nous faut d’abord définir le modèle en place avant la Première Guerre Mondiale. En effet, il existait une monnaie mondiale, l’or. Les monnaies nationales étaient alors simplement l’expression d’un lien à la monnaie mondiale. Ce système fut détruit par la Première Guerre Mondiale en raison du nécessaire financement de la guerre qu’avaient à assumer les Etats. Il n’a toutefois pas été rétabli à l’issue du conflit car les Etats-Unis se sont efforcés dès le début des années 1920 de donner un rôle d’équivalent, voire de substitut, à l’or au moyen du dollar. D’où l’expression consacrée pour parler du dollar as good as gold.

Les Etats-Unis ont en effet cherché à thésauriser progressivement une part toujours plus importante de l’or mondial entre 1918 et 1945 en émettant des dollars garantis par l’or peu à peu thésaurisé, confiants dans l’idée que le dollar conserverait une valeur stable car gagé sur l’or. L’augmentation croissante de l’émission de papier monnaie, s’accompagnant d’un retrait progressif de la monnaie métallique de la circulation est la vraie origine de la crise des années 1930 : les pays européens, en particulier l’Allemagne, ont été asséchés, monétairement parlant . Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le système de Bretton-Woods devait justement permettre de remettre en circulation une partie de l’or thésaurisé par les Etats-Unis entre les deux Guerres.

Or, une fois passée cette étape, le retour au modèle de l’étalon-or aurait dû être envisagé, c’est-à-dire la remise en circulation définitive de l’ensemble des réserves américaines. L’étalon-or est fondé sur la libre-circulation et c’est la thésaurisation de l’or qui le détruit. C’est ce que souligne le Général de Gaulle dans sa conférence de presse du 4 février 1965. Dès le début des années 1970, les Américains, pour couper court aux critiques de la France et d’autres pays, ont mis en place l’étalon-dollar, c’est-à-dire qu’ils ont supprimé toute référence à l’or. Il leur devenait possible d’émettre à souhait autant de papier monnaie qu’ils en avaient besoin, ce qui signifie qu’ils ont pu s’endetter gratuitement vis-à-vis du reste du monde. Et nous assistons aujourd’hui sans aucun doute à la fin de ce système car la crise actuelle est d’abord une crise du dollar papier, dont la valeur est potentiellement nulle, comme celle de toute monnaie papier non gagée sur un métal précieux.

Le Taurillon : Pour rompre avec ce modèle, vous préconisez l’instauration d’une Unité de Compte Internationale (UCI) basée sur un panier de devises comprenant le dollar, l’euro, le yen, le yuan et l’or. La création de cette Unité de Compte devrait-elle être selon vous une priorité pour l’Union européenne ? Et quelles seraient par ailleurs les conséquences d’un tel bouleversement pour les entreprises, les investisseurs et plus généralement les citoyens européens ?

Edouard Husson : Sur ce point, permettez-moi d’évoquer les rumeurs, rapportées par le quotidien britannique The Independent dans son édition du 5 octobre, selon lesquelles la France, le Japon, la Chine, la Russie et les pays du Golfe auraient entamé des négociations pour que les produits pétroliers soient facturés à l’avenir à partir d’un panier de devises et non à partir du dollar.

Si ces rumeurs venaient à être confirmées, le danger est d’exclure complètement le dollar d’un tel panier de devises alors que la plupart des réserves des grands banques centrales du monde sont encore constituées à plus de 50% de dollars. En effet, les pays du Golfe dont les achats pétroliers sont réglés en dollars, ou la Chine qui détient un nombre important de bons du Trésor américains libellés en dollars, ont intérêt à stabiliser le système pour éviter un effondrement du dollar. Dès lors, on comprend pourquoi l’Union européenne ne peut seule poser les jalons d’un système monétaire international quoique l’euro soit la monnaie la mieux gérée à l’échelle internationale. Le point de vue ne saurait donc être strictement européen.

La réponse devra être globale si l’on veut que les effets d’une telle refonte soient positifs tant sur le plan macro-économique que micro-économique. Dans le cas où cette réponse ne serait pas apportée, l’effondrement du dollar pourrait gravement affecter l’économie mondiale. Les conséquences pour la croissance, le crédit et l’emploi seraient durables.

Le Taurillon : Partant de ce constat, et prenant un peu d’altitude, peut-on s’attendre à des bouleversements géopolitiques liés à ces turbulences monétaires, voire à une redistribution des cartes de la puissance dont pourrait profiter l’Union européenne par rapport aux Etats-Unis ?

Edouard Husson : A partir du moment où la rareté des ressources pétrolières devient évidente, alors que le pétrole est depuis le début des années 1970 le référent matériel du dollar, et où le dollar est appelé à une dévaluation prochaine, les débuts d’une recomposition géopolitique sont en cours. Toutefois, il reste à voir si l’on va davantage assister à une régionalisation du monde avec un pôle Asie, un pôle Europe et un pôle Amérique, ou à l’approfondissement du processus de globalisation, c’est à dire une interpénétration toujours plus forte entre les différentes régions du monde.

Même si elle est séduisante, on voit bien les limites des tenants de la thèse d’une régionalisation des relations économiques. Cela nécessiterait en effet des tarifs protecteurs susceptibles d’encadrer chaque zone économique, à la manière par exemple de la préférence communautaire pour l’Union européenne. Or l’Union européenne tend plutôt à développer ses échanges avec l’Amérique latine ou l’Asie. La réalité de la mondialisation est bien celle de l’internationalisation des échanges mais il faut en garantir l’équité par un retour à la stabilité monétaire. A ce titre, l’euro peut sembler une arme formidable, en raison de sa bonne santé, mais cette monnaie reste entièrement soumise aux fluctuations monétaires internationales. Il n’y a pas d’autre solution, pour garantir l’avenir de la mondialisation, que le retour à un système monétaire mondial fondé sur les monnaies métalliques.

Pas simplement l’or, car il ne fournit pas les liquidités suffisantes pour les transactions de proximité : il faut retourner au double étalon or/argent, le système d’avant 1821, qui a permis à Adam Smith de croire avec un optimisme justifié à la « richesse des nations ».

Illustration : photographie de billets de dollars et d’euros.

Source : Flickr.

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Vos commentaires
  • Le 25 décembre 2009 à 17:00, par Véronique En réponse à : L’euro, le dollar et l’avenir du système monétaire mondial

    L’inconvénient de l’instauration d’une monnaie supranationale est qu’elle limite fortement la souveraineté des états en terme de politique monétaire... Bien sur les européens qui a avec l’euro sont privé de politique monétaire flexibles, les Chinois et les pays du Golf qui voient leur reserves fondre au fil de la baisse du dollars sont pour... mais je doute que beaucoup d’autres rejoignent cette volonté...

    Et puis ne l’oublions pas une inflation bien maîtrisée permet de réduire efficacement la dette :)

  • Le 26 décembre 2009 à 12:42, par Fabien Cazenave En réponse à : L’euro, le dollar et l’avenir du système monétaire mondial

    Cette approche nationaliste de la politique monétaire est sympathique mais un peu déconnectée des phénomènes mondiaux. Quelle inflation aurions-nous eu si nous n’avions pas eu l’Euro lorsque notre gouvernement de l’époque se rebellait contre Washington au moment de la guerre en Irak ? Pareil pour la crise que nous subissons depuis 2008.

    Enfin, les chinois ont une politique monétaire pour plus d’un milliard de personne. Nous, 66 millions... Heureusement que l’Euro est là pour nous protéger.

    Cela ne veut pas dire pour autant qu’une telle zone monétaire sans gouvernance économique soit la bonne solution.

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