L’homoparentalité sort du placard

, par Ophélie Duprat

L'homoparentalité sort du placard

C’est petit à petit que la jurisprudence française lâche du lest et prend enfin en compte la réalité sociale qu’est l’homoparentalité. Dernier fait d’armes, l’accord par les juges d’un droit de visite et d’hébergement à la compagne homosexuelle de la mère biologique d’un petit garçon de 3 ans. Précédemment, la justice française avait déjà, en 2006, reconnu la filiation d’un enfant adopté à l’étranger par un couple homosexuel franco-américain.

Une homoparentalité en quête de reconnaissance en France

En France, on a du mal à chiffrer l’homoparentalité, l’INSEE n’intégrant pas les couples homosexuels à ses sondages. Les chiffres avancés évoquent entre 40 000 et 100 000 familles homoparentales dans l’Hexagone. Les enfants qui vivent dans ces familles voient leur filiation établie à l’égard d’un seul des deux parents : à l’égard du parent biologique quand l’enfant a été conçu par insémination artificielle, du parent naturel, ou à l’égard du parent adoptant puisqu’en France une personne célibataire peut adopter.

L’autre parent est un parent de cœur, il a souvent partagé le désir d’enfant de sa compagne ou de son compagnon, il contribue aux charges et à l’éducation de l’enfant, il vit avec l’enfant qui créé un lien affectif avec lui. Néanmoins la loi ne lui donne aucun statut, aucune responsabilité et aucun droit. Si le couple se sépare ou si le parent biologique meurt, l’autre parent risque de perdre tout lien avec l’enfant. En France, le parent homosexuel ne peut se voir accorder l’adoption simple de l’enfant de son compagnon ou de sa compagne et l’adoption plénière des couples homosexuels est interdite.

Depuis 2002, la loi sur la délégation d’autorité parentale constitue un palliatif. Celle-ci permet à « un proche digne de confiance » de participer à l’éducation de l’enfant, mais cette disposition ne permet pas d’établir un lien de filiation, elle peut seulement faciliter le quotidien des parents homosexuels, et ainsi le second parent peut sans problème faire des démarches administratives : inscrire son enfant à l’école ou autoriser une opération chirurgicale d’urgence.

La délégation d’autorité parentale permet de faire face aux enjeux de la vie de tous les jours pour de nombreuses familles, homoparentales ou non, notamment les familles recomposées. Mais comment s’en satisfaire pour une personne qui cherche à se faire reconnaître légalement d’abord et avant tout comme parent ?

Et ailleurs ?

D’autres pays européens transcrivent bien mieux juridiquement cette réalité et présentent un droit plus égalitaire pour les parents homosexuels. Au sein de l’Union, sept pays ont accordé aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux dont disposent les couples hétérosexuels en matière d’adoption plénière. Pionniers, les Pays-Bas ont été les premiers à se doter d’une telle législation en 2001, et aujourd’hui les couples homosexuels peuvent également adopter en Espagne, Belgique, au Danemark, en Suède, au Royaume-Uni et en Slovénie.

La France devrait suivre l’exemple de ses voisins dans les années à venir. Une partie de la jurisprudence française semble militer en ce sens, et la question est de plus en plus fréquemment discutée dans le débat politique. Par ailleurs, un sondage de l’institut BVA en 2009 révélait que 64% des français étaient favorables à une loi permettant l’adoption par des couples homosexuels.

Vers une unification du droit européen ?

Il semble qu’en ce qui concerne les droits des homosexuels, on soit face à une Europe à deux vitesses. D’un côté, des pays qui consacrent une égalité parfaite des couples homosexuels et hétérosexuels (l’Espagne, la Belgique, les Pays Bas…). De l’autre, des pays qui ont du mal à faire évoluer les mœurs et dans lesquels les populations sont encore très peu favorables à la tolérance de l’homoparentalité, voire de l’homosexualité en général. En effet, en Pologne, en Roumanie, ou à Chypre, à peine 10% de la population se prononce en faveur du mariage homosexuel et les Gay Prides (ou Marches des Fiertés) qui ont eu lieu dans ces pays ces dernières années ont été émaillées d’incidents. Dans ce contexte, il semble difficile d’envisager une uniformisation au niveau communautaire.

L’Union européenne a, depuis une première résolution en 1994, invité plusieurs fois les États membres à adopter une législation en faveur du mariage et de l’adoption homosexuels mais il n’est pas question pour le moment d’une mesure contraignante prise par l’Union en ce sens. Le souffle réformateur pourrait venir d’ailleurs, du Conseil de l’Europe et de la CEDH. Sans se prononcer clairement sur la question de l’homoparentalité, la Cour européenne des Droits de l’Homme milite pour l’éradication de toutes les discriminations faites aux homosexuels. En 2008 dans un arrêt EB, la Cour a estimé que la France avait violé la Convention en refusant l’agrément à une femme désirant adopter. Le refus vraisemblablement fondé sur l’homosexualité de cette femme violait les dispositions de la Convention qui interdit toute discrimination prenant en compte l’orientation sexuelle des individus.

On peut cependant déplorer un manque d’intérêt pour la question au niveau européen. En effet peu de synthèses ont été faites, et aucune réelle proposition n’est allée dans le sens d’une réglementation communautaire. On s’en remet sur cette question de société à la « marge d’appréciation des États ». Preuve que le sujet reste sensible et que beaucoup pensent qu’il doit rester entre les mains des peuples souverains. Un long chemin reste donc encore à parcourir avant que l’homoparentalité puisse réellement « sortir du placard ».

Illustration : Lien entre l’enfant et le compagnon

Source : Flickr

Vos commentaires
  • Le 10 janvier 2011 à 10:22, par Cédric En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Très bon article.

    Tout à fait d’accord pour dire qu’il y a un manque total d’initiative au niveau européen. La lutte contre les discriminations que subissent les homosexuels est censée être assurée par un « cadre juridique global » de lutte contre les discriminations.

    Très bien, mais un peu réducteur comme approche.

    L’UE est tout à fait en mesure d’agir, y compris pour permettre la reconnaissance des unions civiles et de l’homoparentalité d’un pays à l’autre. Ce domaine relève de l’unanimité, mais une coopération renforcée est faisable. La « sensibilité » de certains pays sur ce sujet ne peut pas être un prétexte à l’inaction. Tout comme la sensibilité de l’Italie sur le brevet européen n’a pas été considérée comme un obstacle insurmontable pour lancer une coopération renforcée.

    De toute façon, si l’UE ne se saisit pas du problème, ce seront les Etats qui se chargeront de mettre en place cette reconnaissance mutuelle, en dehors de tout cadre communautaire. Dès lors, pourquoi attendre ?

    Parce que nous avons élu en 2009 un président de la Commission qui est aussi conservateur qu’une boîte de conserve.

  • Le 10 janvier 2011 à 17:48, par HR En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    « nous avons élu en 2009 un président de la Commission ».

    Soit vous êtes député européen, soit vous mentez. Car en 2009, « nous, les citoyens de l’Union Européenne » n’avons pas élu un président de la Commission. D’ailleurs, au lendemain de l’élection du Président des USA de 2008, où les citoyens de l’Union Européenne avaient massivement « voté » en faveur de Barack Obama, on peut légitimement se demander quel pourcentage de voix « nous, les citoyens de l’Union Européenne » aurions accordé à Barroso l’année suivante. Je dirais au maximum 10% des voix.

    Rappelons que Manuel Barroso a été désigné par le Conseil, à l’issue de tractations qui sont restées largement secrètes. Puis sa désignation a été approuvée par le Parlement, qui n’a guère d’autre choix que d’approuver tout ce que lui propose le Conseil, même si globalement le Parlement n’est pas d’accord, comme on en a encore eu un exemple récent avec le budget de l’Union Européenne.

  • Le 11 janvier 2011 à 21:22, par Cédric En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Ceci est un article sur l’homoparentalité.

    Est-ce que Barroso est homo ? Non.

    Est-ce qu’Obama est homo ? Non.

    Est-ce que le Parlement est homo ? Non.

    Votre commentaire est donc hors-sujet :)

  • Le 13 janvier 2011 à 00:28, par Margot En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Les décisions promulguées par la cour européenne sont encore passibles d’appels nationaux, comme c’est le cas ici : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20100915.OBS9884/adoption-la-requete-de-deux-lesbiennes-acceptee-par-la-cedh.html

    La France rejette bon nombre de principes des Droits de l’Homme qu’elle est censée avoir conçu.

    Personnellement, je suis partie. Le sexisme français est énorme et intolérable (et je si hétéro).

  • Le 13 janvier 2011 à 14:58, par Rodolph En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Les enfants ne sont pas une marchandise destinée à faire plaisir à des couples. Les enfants sont sacrés, ils sont notre futur.

    Que les couples homosexuels aient les mêmes droits que les couples hétérosexuels au niveau administratif, succession, prêt... c’est tout à fait normal.

    Il est par contre inadmissible de voir des couples homosexuels élever des enfants, alors même que de nombreux couples hétérosexuels n’arrivent pas à en adopter.

    Il est évident qu’à situation sociale égale, un enfant élevé dans un couple hétéro sera plus équilibré qu’un enfant élevé dans un couple homo.

    C’est de l’égoisme de la part des homos de « vouloir » un enfant, alors même qu’ils leur est physiquement impossible d’en avoir un, même si les 2 sont en bonnes santé.

    Un enfant n’est pas une récompense. C’est un être humain. Ne jouons pas avec les enfants.

    Merci à l’UE qui ne se prononce pas sur le sujet, laissant la possibilité aux Etats membres d’agir comme il leur convient. Le populisme gagne certains pays, on le sait bien (Pays Bas, Danemark...), mais d’autres pays résistent encore.

  • Le 13 janvier 2011 à 17:31, par Cédric En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Rodolph, que devrions-nous faire ?


     Envoyer à la DDASS ou dans des familles d’accueil hétéro ces 40 000 à 100 000 enfants français qui grandissent actuellement dans une famille homoparentale ?

     Refuser à tout couple, homo comme hétéro (pas de discrimination !), le droit d’adopter, si leur décision est motivée par de l’« égoïsme », le souhait de « se faire plaisir », s’il n’arrivent pas à assurer à l’enfant un développement « équilibré » ?

    J’ai du mal à voir clairement les implications de vos propositions.

    J’imagine que ces 40 000 à 100 000 enfants seront ravis qu’on les place de force dans une autre famille « pour leur équilibre ».

    Et j’imagine également que la France se verrait dans l’obligation d’abolir bonnement et simplement le droit à l’adoption, car aucun couple n’adopte pour se faire du mal ou pour des motifs sacrés.

    Savez-vous combien de jeunes homosexuel(le)s se donnent la mort chaque année à cause de cette petite musique de fond, qui leur renvoie une image de déséquilibrés ?

    Appliquez donc votre intransigeance à tous, pas seulement aux homosexuels.

  • Le 14 janvier 2011 à 17:31, par HR En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    « Il est évident qu’à situation sociale égale, un enfant élevé dans un couple hétéro sera plus équilibré qu’un enfant élevé dans un couple homo. »

    J’espère que vous êtes assez lucide sur l’hypocrisie généralisée concernant l’homosexualité, qu’a révélé la « révolution sexuelle » des années 60, pour avoir conscience que derrière l’image d’épinal de vos « couple hétéro » se sont longtemps cachés et se cachent encore beaucoup d’homosexuels de placard, contraints de masquer leurs penchants naturel...

    Pour être cohérent, vous devriez carrément envisager que tous les couples hétéros devraient être testés psychologiquement pour avoir la certitude qu’aucun des deux ne réfrènent pas des penchants homosexuels sous la pression des conventions sociales, encore très présentes dans la société, avant d’être autorisés à enfanter...

  • Le 19 janvier 2011 à 13:47, par Rodolph En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Marc-Antoine « Un parent seul ne sort-il pas du schéma idéal que vous inspire le couple hétéro » Si bien entendu, mais je rejette catégoriquement l’argument selon lequel des milliers d’enfants sont élevés par des parents seuls et qu’il est donc cohérent de laisser des homos adopter. Ces parents n’ont pas fait (pour la majorité) un enfant en se disant qu’ils allaient l’élever seul. C’est un accident de vie qui met le parent devant le fait accompli : son enfant sera élevé par un adulte et non par 2. Et il est évident que c’est préjudiciable pour l’enfant.

    De la même manière, Cédric parle de 40 à 100 000 enfants élevés par des couples homoparentales. Devant le fait accompli, ces enfants doivent rester parmi ces parents qui sont certainement aimants. Cependant, on ne peut pas se baser sur le fait accompli pour créer une nouvelle loi.

    Je continue à penser que ces parents homosexuels, ou ces parents qui font un enfant dans l’idée de l’élever seul sont égoïstes, qu’ils pensent davantage à leur plaisir plutôt qu’au bien être de l’enfant. Il faut limiter au maximum ces comportements, sans être préjudiciables aux enfants qui sont déjà la victime de cet égoïsme. Les retirer de leur famille serait un nouveau coup dur pour eux.

    Se baser sur le fait accompli, dire qu’il existe nombre d’enfant élevés par des couples homosexuels et qu’il est donc normal de légaliser l’homoparentalité est un non sens absolu. Il existe nombre de drogués, de dealer, de prostitués, de criminels, de pédophile, d’enfants ou de femmes battus... Faut-il légaliser pour autant ? La politique du fait accompli n’a jamais été une bonne façon de faire passer des messages.

  • Le 26 janvier 2011 à 08:14, par TPE En réponse à : L’homoparentalité sort du placard

    Bonjour nous souhaitons, savoir si des personnes seraient garantes pour les interroger sur l’homoparentalité ? Afin de compléter notre recherche (T.P.E.) ? Merci

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