L’inutilité des ambassades au 21° siècle… et ses leçons pour l’unité africaine 1/2

, par Jean-Paul Pougala

L'inutilité des ambassades au 21° siècle… et ses leçons pour l'unité africaine 1/2
Auteur Graham.Hobbs

Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur, Son Excellence Monsieur le Ministre plénipotentiaire, Son Excellence Monsieur le Ministre, son Excellence Monsieur le Président de la République… telles sont les tares que la République française a héritées de son passé royal. Dans ce passé, il devait y avoir une nette distance entre les citoyens appelés « sujets » et les gouvernants qualifiés de tous les adjectifs de prestige et d’honneur, afin de bien marquer cette distance abyssale avec le peuple.

La Révolution française devait marquer la rupture avec ce passé en redonnant au peuple le pouvoir en faisant en sorte que le pouvoir soit l’expression du peuple. La République est arrivée mais les structures et les privilèges des princes sont restés. Les nouveaux rois ont pris leur place. Ils ne s’appellent plus Rois, ils s’appellent Présidents de la République. Les nouveaux princes sont apparus, ils ne s’appellent plus princes, mais ils ont maintenant le titre d’Ambassadeurs, de Ministres plénipotentiaires etc.

Au 21°, des siècles plus tard, le monde a tellement changé et les fonctions princières et royales sont restées les mêmes. Quelles utilités a encore de nos jours cette institution vétuste qui prend le nom de représentation diplomatique ? Dans le passé, les longues distances étaient parcourues uniquement à cheval et pour partir d’un point A vers un point B, le messager pouvait mettre entre trois mois et un an. D’où l’importance d’avoir sur place une représentation qui puisse répondre en temps réel à des questions aussi importantes que l’entrée en guerre. Aujourd’hui, les nouveaux moyens de communication font que presque tous les télégrammes et télex des ambassades sont inutiles, parce que les agences de presse et les téléphones portables qui ont fait de tout citoyen un journaliste potentiel, ont rendu complètement caduc et vide de contenu le travail des représentations diplomatiques. Le regroupement des Etats en entités supranationales comme l’Union africaine, la Communauté des Etats indépendants ou l’Union européenne pousse le rapport des nations vers une configuration multilatérale. Or un ambassadeur est au mieux de sa capacité, dans une vision bilatérale des relations entre deux pays. Sur le plan pratique, il est donc évident que tout le prestige que la France croit tirer de son ambassade romaine dans le superbe Palazzo Farnese, est tout simplement de l’argent jeté par la fenêtre. Parce que les 98% des relations entre la France et l’Italie sont désormais décidés à Bruxelles. Et pour le reste, en cas de nécessité, le Président français peut juste soulever le téléphone et parler au Président du Conseil italien sans filtre et en toute simplicité.

C’est la prise de conscience de cette inutilité qui explique le fait qu’un peu partout les informations et les scandales qui touchent les ambassades sont tout sauf de la diplomatie ou l’activité de rapprochement pacifique et d’amitié entre les peuples du monde d’entier. Dans certains cas, la représentation diplomatique est plutôt le symbole de l’hostilité contre le pays qui abrite l’ambassadeur et qu’on prétend respecter et en développer l’amitié avec le pays qu’on représente. Nous allons voir quelques exemples.

Les Etats-Unis

En avril 2008, la chaine de télévision américaine NBC, montre les images de ce qu’elle définit comme la « mère de toutes les ambassades » c’est-à-dire la nouvelle ambassade américaine en Irak, voulue par Georges Bush. C’est une forteresse de 40 hectares pour une Amérique en miniature au coeur du continent asiatique : piscine, restaurants, parc de loisirs, salle de gym, terrains de tennis et de basket, la chaine de télévision américaine nous précise même que cette ville dans la ville possède sa propre centrale électrique et sa station d’épuration d’eau. On a envie de demander ce que tout cela a à voir avec la diplomatie, cette forteresse avec des murs en béton armé de 7 mètres de hauteur. Mais on comprend très vite le ridicule dans lequel baigne l’ensemble de la profession d’ambassadeur lorsque la NBC dit à la fin ce que cette folie de grandeur a coûté en construction : 300 millions de dollars, pire, ce que cela va coûter en entretien : 2 milliards de dollars chaque année au contribuable américain pour entretenir les 21 bâtiments, 1.000 bureaucrates et 4.000 employés de l’ambassade américaine de Bagdad. Il y a des appartements pour héberger 600 personnes avec une somptueuse résidence de 4.900 m2 pour le tout premier ambassadeur au monde devant profiter de telles installations, Monsieur Ryan Crocker.

En contre-partie, qu’est-ce que cela va rapporter au peuple américain ? RIEN, oui, vous avez bien compris cela ne va rien rapporter au contribuable américain ou juste pour montrer les muscles de King-Kong aux pauvres Irakiens. Déjà en 2012, 50% des entreprises qui ont gagné le marché de la reconstruction en Irak appartiennent à des fonds souverains chinois. La Chine a tout simplement attendu qu’elles gagnent ces marchés colossaux pour lesquels sont morts plus de 5.000 marines, pour aller les acheter à la bourse.

Et la cerise sur le gâteau, mieux, la cola sur le vin de palme, c’est le magazine français VSD du 30 avril 2008 qui nous le révèle à propos de la plus coûteuse ambassade américaine dans le monde : le cabinet d’architectes employé par le gouvernement américain, Berger, Divine Yaeger Inc., aurait naïvement posté les plans des maquettes sur le site internet de la compagnie, ce qui fait que tout ennemi des Etats-Unis détient à l’heure actuelle, les plans de toutes les constructions de ces 40 hectares, rendant complètement inutile sur le plan de la sécurité, cette ambassade. Il est vrai que le modèle politique désigné avec le nom de « démocratie occidentale » est le système dans lequel le peuple est le plus berné et content de l’être, mais tôt ou tard, le peuple américain comprendra qu’avec 2 milliards par an que l’administration américaine débourse pour entretenir cette folie ; et ce jour-là, conjugué à d’autres insanités de ses dirigeants politiques, lui aussi va peut-être un jour se révolter dans un probable « printemps américain » et il ne faut pas être surpris du sort que sera alors réservé à ce complexe : son démantèlement.

La France

Avec ses 171 ambassades dans autant de pays, 98 postes consulaires et 17 représentations dans les organismes internationaux, la France est au deuxième rang mondial de réseaux diplomatique (derrière les Etats-Unis). Il n’y a que 31 pays dans lesquels la France n’a pas d’ambassade ou de consulat, très loin devant la Russie, le Royaume Uni, l’Italie et la Chine. Cette deuxième place offre-t-elle à la France un avantage probant par rapport aux autres Etats qui en ont moins ? Comme ce record ne suffisait pas, on a ajouté une bêtise à la française dénommée « ambassadeur à thème ». Ce qui porte le nombre total des ambassadeurs français à 191. Les dirigeants français ont profité du système de la représentation diplomatique pour assouvir leurs désirs de clientélisme politique. Nous prendrons 2 exemples très parlants. Ambassadeurs à thème : comme la France avait déjà occupé tous les 171 postes d’ambassades françaises dans le monde, c’est le président Chirac qui eut cette idée géniale d’en inventer d’autres et de faire avaler la pilule au peuple en les désignant comme des « ambassadeurs à thème », avec bureau, chauffeur, frais de réception et de déplacement dont le principal but était de recycler les ministres qui perdent leur portefeuille ministériel. Et son successeur Sarkozy l’a multiplié par 5 pour passer à 20 ambassadeurs thématiques. Ce qui fait dire à la Sénatrice centriste Nathalie Goulet définissant ces ambassades thématiques ceci : « Ce sont des postes créés pour recaser des copains politiques en mal d’exotisme ! ». Comment ne pas lui donner raison, lorsqu’on lit dans le Canard enchaîné du mercredi 9 novembre 2011 que par exemple Gilles de Robien (UMP), qui a été ministre de 2002 à 2007 et qui perd son poste ministériel en 2007 est immédiatement nommé par Nicolas Sarkozy, dès le mois d’octobre 2007 et en toute cachette ambassadeur « chargé de la cohésion sociale ».

Coût pour le contribuable français : 500.000 €/an. D’autres anciens ministres occupent des postes d’ambassadeurs avec des qualificatifs des plus ronflants, pour ne pas dire ridicules, comme : « ambassadeur chargé de la prévention des conflits en Afrique », « ambassadrice chargée de la réflexion sur la rénovation des sommets France-Afrique ». Ce qui fait conclure à la sénatrice Nathalie Goulet : « A-t-on vraiment besoin d’un ambassadeur chargé de la Shoah, de l’adoption, du climat, itinérant pour l’Asie, de la lutte contre la piraterie maritime, de la rénovation des sommets France-Afrique, de la criminalité organisée, etc. Tous ces ambassadeurs peuvent être remplacés par des fonctionnaires des ministères concernés à moindre coût ».

Cette dérive montre à quel point la fonction d’ambassadeur est, aujourd’hui, complètement désuète, pour ne pas dire inutile, dès lors que les politiciens montrent très clairement qu’ils sont les premiers à ne pas y croire.

Les écoles de formation des ambassadeurs obsolètes

L’inadaptabilité des ambassadeurs au monde du 21° siècle vient aussi du fait que plusieurs pays africains suivent le modèle erroné français de la formation des ambassadeurs. Les ambassadeurs formés pour cette carrière sont porteurs d’une faiblesse de départ : ils sont formatés à la pensée unique, ils sont formatés à un certain formalisme qui trouve ses limites dans les problèmes toujours plus complexes des relations internationales. La conséquence est l’échec de la plupart des négociations pour la solution de presque tous les conflits du monde, de la Birmanie à la Côte d’ivoire en passant par la Libye, et la Syrie ou l’Iran. Les ambassadeurs ne sont pas habitués à la critique, à des positions contradictoires, ils ont le droit de vie et de mort sur leurs collaborateurs et l’essentiel de leurs activités est de poster des télégrammes avec des contenus des plus fades. Cette répétitivité de messages inutiles et vides de sens les infantilise à la longue et transforme la plupart des ambassadeurs en personnes complètement désuètes dans la solution des plus grands conflits mondiaux. A leur place, il faudrait de vrais commerciaux, qui par leur formation et leur expérience du terrain savent que personne ne leur déroulera le tapis rouge pour faire fleurir leurs idées ou soutenir leurs intérêts. Certains pays l’ont compris et ne forment plus leurs ambassadeurs, mais les recrutent comme on le ferait pour n’importe quelle entreprise sur le marché, en variant au maximum le personnel qui composera le corps diplomatique. C’est le cas du Royaume Uni qui ne forme pas les ambassadeurs, mais les recrute par concours auquel participe toute personne qui a un niveau de 3ème cycle universitaire. Les Etats-Unis d’Amérique recrutent leurs ambassadeurs sur un vivier très large de toutes les personnes âgées de 25 à 55 ans qui peuvent vanter une expérience professionnelle dans tout domaine d’activité. Aucun diplôme particulier n’est requis. Une diplomatie rongée par la corruption

La Suisse insoupçonnable

C’est depuis le début de la crise économique en Europe qu’on recense une explosion des corruptions impliquant les ambassades de presque tous les pays européens en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. C’est la vente des visas, c’est le trafic d’êtres humains, c’est la mafia qui s’est installée au coeur même de plusieurs ambassades et consulats de certains pays européens. C’est en tout cas ce que nous révèle le journal dominical de la Suisse alémanique Sonntags Zeitung dans son édition du dimanche 27 juin 2010 publiant la liste de 32 ambassades et consulats suisses minés par la corruption, dont 14 en Asie, 10 en Afrique et 5 en Europe ; information confirmée par le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) de Michelle Calmiray en fournissant plus de détails sur les noms des ambassades et consulats incriminés, notamment ceux de Pékin, Moscou, Bombay, New Dehli, Istambul, Shanghaï, Kiev, Belgrade, Pristina et Bangkok, mais aussi les ambassades suisses au Pérou, Nigeria, Serbie, Congo et Erythrée. Le journal cite Martin Dahinden, chef de la Direction des ressources et du réseau extérieur au DFAE qui dit : « Dans le combat contre les abus impliquant des visas, on a souvent affaire avec des organisations impliquées dans le trafic de drogues et de femmes ».

On est ainsi arrivé à l’extrême conséquence de la fermeture de l’ambassade suisse à Islamabad au Pakistan le 30 avril 2010 avec un communiqué du DFAE nous informant d’un gigantesque trafic de visas impliquant 8 diplomates suisses et 21 employés pakistanais où étaient exigées aussi des prestations sexuelles et de l’argent en échange d’un visa pour la Suisse, validité Schengen.

Lorsqu’on va fouiller les archives, on découvre que c’est toute la profession qui est pourrie, car en restant au Pakistan, on découvre que le 18 mai 2006, c’est le même DFAE qui publiait un communiqué pour nous annoncer une sanction disciplinaire contre les diplomates en poste dans le pays asiatique, il s’agissait alors de l’ambassadeur en personne, M. Denis Feldmeyer visé par l’enquête disciplinaire suite à l’affaire des visas au Pakistan. Mais aussi son prédécesseur et le chef de la chancellerie. Sans attendre la fin de l’enquête, Monsieur Feldmeyer sera muté à Berne où il attendra un an pour être nommé en Islande par décret du Conseil fédéral, (Département fédéral des affaires étrangères) du 23 août 2007. Le cas de la Suisse est l’arbre qui cache la forêt de la gigantesque corruption des ambassades européennes dans les pays à forte pression migratoire à l’entrée en Europe. Mais comme le sujet est tabou pour ne pas écorner l’image radieuse de la diplomatie, alors bouche cousue pour tout le monde.

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