La Constitution de la 6e République

Réconcilier les Français avec la démocratie

, par Valéry-Xavier Lentz

La Constitution de la 6e République

Quand un noniste et un ouiste se mettent d’accord sur la Constitution... française. Arnaud Montebourg, député socialiste de Saône-et-Loire, et Bastien François, professeur de sciences-politiques à l’université Panthéon-Sorbonne nous livrent une proposition de République nouvelle qui fait une part significative à l’Europe.

L’élection présidentielle de 2002 et le référendum du 29 mai ont été des révélateurs spectaculaires, parmi d’autres, des disfonctionnements graves de la démocratie française. Ceux-ci sont pourtant connus depuis longtemps et avaient été dénoncé par François Mitterrand dans « Le coup d’État permanent » et plus récemment par Arnaud de Montebourg, déjà, avec « La machine à trahir » (Denoël, 2002) et Olivier Duhamel dans « Vive la VIe République » (Seuil, 2002) lequel écrivait : « Inventer la VIe République n’est pas suffisant mais c’est indispensable ».

Il n’est guère étonnant que la critique de nos institutions et la volonté de les transformer dépasse le clivage du Oui et du Non au traité constitutionnel européen. En effet, la critique des institutions communautaires est un exercice aisé pour quiconque attache de l’importance aux principes démocratiques. Celles-ci ne sont acceptables que dans la mesure où elles sont une transition vers une démocratie internationale authentique, ce que les mouvements fédéralistes européens ont été parmi les premiers à dire dès les débuts de la construction communautaire. La divergence d’analyse entre partisans sincères de la construction européenne (et donc à l’exclusion des nationalistes et opportunistes de droite et de gauche) tenait essentiellement à l’analyse des possibilités de continuer à avancer, avec ou sans le traité constitutionnel. Les uns pensaient que la mise en œuvre de celui-ci permettrait de nouvelles étapes, les autres qu’un vote négatif permettrait un sursaut et la conclusion d’un meilleur accord. Le fait avéré depuis le 29 mai que ces derniers se sont sévèrement plantés n’invalide pas les critiques partagées sur les insuffisance du texte signé faute d’ambition commune plus grande, par les gouvernements de l’Union.

Un diagnostique incontestable

Le concept de « déficit démocratique » mis en avant depuis les années 1970 par les fédéralistes, notamment pour revendiquer l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen, obtenu en 1979, puis un processus constituant pour l’Europe reste en partie valable aujourd’hui pour l’Union européenne du traité de Nice, en vigueur jusqu’à l’invention hypothétique d’un « plan B » devant se substituer au projet de traité constitutionnel actuel.

Cependant ce déficit démocratique ne se situe nullement au seul niveau européen et la distance entre l’Europe et le citoyen est accentuée en France par le régime présidentialiste instauré par le général de Gaulle. Ce n’est pas nécessairement un hasard si l’auteur du fameux « Coup d’État permanent » (avec son complice Débré) fut aussi un anti-européen acharné dont la seule contribution positive à la construction européenne fut d’avoir retardé - pour d’autres raisons - l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe.

Les institutions françaises actuelles considère les questions européennes comme des affaires « étrangères », comme un privilège de l’exécutif. Nos élus à l’Assemblée nationale en sont tenu à l’écart et le Parlement-croupion de la Ve République est dépossédé encore plus par la confiscation du pouvoir législatif au niveau européen par le gouvernement qui légifère en toute impunité au Conseil des ministres de l’Union et adopte des lois qui s’imposeront ensuite directement en France. Les récentes modifications permettant aux députés d’examiner les textes en préparation au niveau européen ne sont que le cache-sexe très transparent d’une escroquerie démocratique allègrement entretenue par tous nos gouvernants profitant de l’Europe pour faire passer des textes contestés en France, et lui faire porter la responsabilité des égarements de l’exécutif. Non seulement nos institutions contribuent à la dépossession des élus du peuple de leur pouvoir législatif - et l’Union n’y est pour rien en l’espèce - mais nos gouvernements, influencés par les fonctionnaires du ministères des Affaires étrangères qui jouent dans toute cette affaire un rôle exorbitant et nuisible aux progrès de la construction d’une Europe démocratique - ont toujours été parmi les plus réticents - avec les britanniques - à confier un rôle de co-législateur à nos élus au Parlement européen. Encore très récemment, les porte-flingues du Quai d’Orsay expliquaient à Bruxelles qu’il était hors de question pour eux que les Conseil des ministres de l’Union légifère en public. Comme en Corée du Nord, les lois doivent se faire en Europe dans le secret si l’on en croit ces braves gens.

Associer pouvoir et responsabilité

Tout le projet de 6e République de Messieurs Montebourg et François (sans chiffres romain, sans doute par soucis de vulgarisation - et donc de transparence) vise à engranger les progrès de la Ve mais à rétablir l’équilibre des pouvoirs en redonnant aux branches législatives et judiciaires leur indépendance. Il s’agit donc d’une République primo-ministérielle où les élus jouent véritablement un rôle de contrôle et de législateur, et donc de restaurer la démocratie dans notre pays où elle n’est plus aujourd’hui qu’un exercice formel.

Sans entrer dans le détail des nombreuses innovations, nous préciserons ici les dispositions relatives à l’Union européenne. Nous regretterons simplement au passage que le projet n’ose pas rompre avec la tradition jacobine en ne constitutionnalisant pas les Régions et leurs compétences, en maintenant la mention « une et indivisible », seulement atténuée par le caractère décentralisé de la République, et enfin en maintenant la mention de la seule langue française (innovation ajoutée à la demande de députés nationalistes lors de la révision constitutionnelle du traité de Maastricht) en ignorant totalement l’existence des autres langues sur le territoire.

Le projet annonce dès l’article 2 l’appartenance à l’Union : « La France participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne » et précise qu’elle consent aux transferts de souveraineté nécessaires, sans référence datée à un traité précis.

Il donne également compétence aux Commissions parlementaire pour examiner les textes communautaires dans leur domaine et à l’assemblée la possibilité de voter des résolutions qui, si elles sont adoptées en séance publique à la majorité absolue des membres, vaut mandat de négociation. Le législateur retrouve ainsi sa compétence dans le domaine communautaire.

Enfin, la supériorité du droit communautaire et son applicabilité directe sont explicitement indiqués.

Si le Parti socialiste où milite Arnaud Montebourg n’a pas été assez couillu lors de son Congrès pour s’engager explicitement en faveur d’une 6e République, et encore moins de celle-ci, la motion adoptée mentionne des changements significatifs. D’autres à droite se posent également des questions. Le débat sur les institutions française devrait donc se poursuivre et devrait nous permettre de faire valoir les réformes nécessaires pour intégrer pleinement la dimension européenne de notre citoyenneté dans les règles constitutionnelles nationales.

La démocratie ne se divise pas et les disfonctionnement de celle-ci ne peuvent être attribuées à la seule construction européenne. Celle-ci se caractérise par le fait qu’elle est inachevée et que donc le chantier doit se poursuivre, les institutions s’améliorer. En France, c’est au contraire un chantier sans doute à rouvrir afin que la dimension purement nationale du « déficit démocratique » puisse trouver des solutions.

Pas besoin de constitution européenne pour cela, pas besoin de « plan B », pas besoin de l’accord d’autres gouvernements ni d’unanimité, mais seulement d’ambition politique et de conviction démocratique. Pour que l’Europe devienne plus démocratique, le travail commence ici, en France, et maintenant.

La Constitution de la 6e République
Réconcilier les Français avec la démocratie
Septembre 2005, Éditions Odile Jacob, 19 €

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