Economie

La Gouvernance à l’européenne

Un besoin urgent de réformes

, par Nicolas Jean

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La Gouvernance à l'européenne

La gouvernance : un joli mot à la mode, souvent utilisé ; mais tout le monde est il capable d’en donner une définition ? La définition académique nous dit que c’est l’action de gouverner. Vaste programme. Or, au regard de l’utilisation faîte aujourd’hui de ce mot, et encore plus dans la sphère européenne, la gouvernance nous renvoie plutôt à l’art de gouverner sans gouvernement…

À la limite, le problème avec l’UE, ce n’est pas tant que l’on n’a pas de gouvernement, mais plutôt que l’on en a trop (13 ou 27 selon les politiques) ! La gouvernance renvoie aussi souvent à la coordination des composantes de la politique économique : la politique monétaire et la politique budgétaire, on parle de policy mix. Rien n’est dit dans les Traités sur la gouvernance, elle reste donc à construire et à inventer.

Une bonne gouvernance implique la cohérence entre les politiques menées, l’interaction des politiques nationales devient donc un bien commun. Dès lors comment tendre vers une véritable gouvernance quand chaque État qui détient un pouvoir entend le conserver et le gérer de façon autonome ? La gouvernance aujourd’hui est loin de remplir sa tâche, nous tenterons d’apporter quelques solutions.

Aujourd’hui : une gouvernance pour ne pas gouverner

On parle aujourd’hui de la « multi level governance » qui réunit les multiples acteurs de la gouvernance, et qui résume surtout une complexité institutionnelle :

 La Banque Centrale Européenne (BCE) met en œuvre la politique monétaire unique de la zone euro ainsi que la politique de change arrêtée par le Conseil des Ministres de l’économie et des finances (écofin), ceci « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix ». La difficulté principale consiste à coordonner la politique monétaire avec 13 politiques budgétaires autonomes, c’est le premier niveau de coordination.
 Les États membres sont chargés de la politique budgétaire, et malgré la règle imposant une coordination de ces politiques entre elles (2ème niveau de coordination), chaque État mène sa politique de façon indépendante sans se soucier des conséquences sur ses voisins. C’est ainsi que l’Allemagne vient d’augmenter son taux de TVA de 3 points sans aucune concertation et au risque de freiner l’ensemble de l’Union.
 La Commission quant à elle surveille la politique économique des États, elle voudrait jouer un rôle plus important, mais les États préfèrent la cantonner dans son rôle institutionnel au service des ministres plutôt que dans un rôle plus politique.
 L’Ecofin est l’organe législatif en matière économique et financière, il approuve les GOPE (grandes orientations des politiques économiques). Mais au lieu d’être un véritable instrument de coordination économique, ces GOPE s’apparentent davantage à un document politique, fruit d’une discussion à caractère diplomatique. Elles sont aussi le symbole d’une Europe intergouvernementale qui ne fonctionne pas.
 Enfin pour les questions à caractère monétaire et financier de la zone euro, il existe l’Eurogroupe formé des ministres de l’économie et des finances de la zone euro. Seul problème, au-delà de sa légitimité, ce conseil, ou ce club pour certains, n’a aucune reconnaissance juridique et donc aucun pouvoir. Pour autant, le risque d’une gouvernance à deux vitesses est là.

Pour donner un peu de relief à cette pieuvre institutionnelle et surtout un peu de cohérence, des instruments ont été mis en place. Le Pacte de Stabilité et de Croissance avait pour but de coordonner les politiques budgétaires nationales en limitant les déficits publics excessifs. Mais la logique de contraindre, de façon systématique sans tenir compte des cycles, les politiques budgétaires, seul instrument d’ajustement restant aux États, est critiquable, la justification économique du seuil de 3% n’existe pas, et pire le Pacte renforce une gouvernance à deux vitesses dans laquelle les « grands » pays ne seraient pas soumis aux mêmes règles.

La Stratégie de Lisbonne s’est aussi voulue un instrument de la gouvernance pour faire tendre les États vers le même objectif : « faire de l’Europe la zone la plus compétitive au monde d’ici 2020 ». Mais là encore, l’Union ne se donne pas les moyens de réaliser les objectifs fixés avec un budget inadapté et insuffisant, et dont la logique est celle du « juste retour ».

Des réformes à faire pour une gouvernance efficace

Trois grandes réformes sont envisageables pour parvenir à une gouvernance qui gouverne.

Tout d’abord la BCE : on pourrait imaginer qu’elle continue d’appliquer ses statuts, mais avec un peu plus de souplesse, c’est-à-dire « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, [la BCE] apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté », il y a donc bien deux objectifs. De plus, l’on oublie trop souvent de dire que les politiques budgétaires peuvent jouer sur les prix également, elles constituent donc un autre levier qu’il s’agit de coordonner avec celui de la politique monétaire. La BCE doit enfin renforcer la lisibilité et la transparence de ses travaux et décisions, via notamment une véritable politique de communication. Subsiste cependant le problème d’un interlocuteur politique unique, la BCE étant face à 13 politiques budgétaires, donc 13 interlocuteurs.

On en arrive ainsi à la 2ème réforme, la reconnaissance de l’Eurogroupe qui permettrait la double coordination : entre les États et entre les politiques économiques. L’Eurogroupe doit devenir le centre de la nouvelle gouvernance, en lui confiant le pouvoir législatif et exécutif pour les questions concernant l’euro. De fait aujourd’hui, l’Eurogroupe s’apparente à une coopération renforcée, pourquoi alors ne pas concrétiser cette coopération en lui donnant les pouvoirs nécessaires. Avec à sa tête une présidence de deux ans, comme aujourd’hui, l’Europe aurait son Monsieur Euro avec toute la légitimité nécessaire.

Enfin le dernier axe de la réforme pourrait être l’orientation vers un budget fédéral de l’Union. Au-delà de l’accroissement des moyens, en particulier vers l’éducation supérieure, la R&D et la politique industrielle, au-delà aussi de l’impôt européen, il faudrait créer un fonds de stabilisation (rainy-day-funds). Il s’agit d’empêcher les comportements budgétaires déviants en phase de haut de conjoncture et de mettre ainsi en réserve les excédents budgétaires dont il serait fait usage durant les périodes de ralentissement. Ce fonds, ainsi communautarisé, permettrait de compenser les déficits des uns par les excédents des autres et d’avoir ainsi un système de vase communicant assurant une stabilisation de la zone euro.

Une autre réforme pourrait être la création d’un commissaire en charge de l’Euro, comme le commissaire au Commerce, il pourrait mener une politique économique européenne en concertation.

En attendant cette décision courageuse, les réformes proposées plus haut ne seront envisageables que si nos dirigeants abandonnent leur logique de juste retour et se placent dans une vision solidaire et surtout efficace de l’Europe.

Illustration : Dans le cadre des travaux relatifs au Livre blanc sur la gouvernance européenne, la CE a organisé une conférence ayant pour titre : « Gouvernance européenne : vers une meilleure utilisation de la subsidiarité et de la proportionnalité » à laquelle environ 400 personnes ont participé.

Sur la photo de gauche à droite : Jerôme Vignon, conseiller principal à la CE, directeur de l’équipe de la gouvernance ; Reinhold Bocklet, ministre d’Etat des Affaires fédérales et européennes du Land de la Bavière ; Kalypso Nicolaidis, Professeur à l’Université d’Oxford ; Jeremy Smith, directeur du "Local Government International Bureau" ; Andrew Duff, membre du Parlement européen.

A lire sur le sujet : Gouvernance et identités en Europe, de Robert Franck et Rosalind Greenstein, éditeur : Bruylant.

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Vos commentaires
  • Le 7 février 2007 à 14:04, par Pierre-Michel En réponse à : La Gouvernance à l’européenne

    Je partage totalement votre analyse concernant les dysfonctionnements de la machine européenne. On ne peut pas, d’un côté, limiter le taux d’inflation à 2%, et annuler, par la même occasion, toute relance monétaire couplée à l’arme budgétaire -le Policy Mix keynésien- si, d’autre part, la norme de déficit budgétaire est limitée à 3% du PIB, annulant, donc, tout moyen de relance de l’activité économique notamment en situation de dépression ; quand, par ailleurs, le pays est sous la coupe d’éventuelles sanctions, lesquelles contribuent à accroître le déficit budgétaire. A mon sens, si l’on veut, enfin, si nos gouvernants européens entendent améliorer la gouvernance du navire Europe -dans l’intérêt de tous-, il apparaît important, je dirais même capital d’assouplir le dogme monétariste de stabilité des prix et, à l’instar de l’OMC, de prévoir une sorte de clause de sauvegarde prévoyant une levée des contraintes -normes, soyons plus optimistes- en cas de dépression durable de l’activité économique d’une région européenne. Evidemment, je parle de problèmes conjoncturels qui ne peuvent suffire à traiter les nécessaires réformes structurelles des pays membres. Pour poursuivre votre piste concernant la mise en place d’un budget fédéral, la théorie néoclassique a déjà pensé, dans le cas de choc asymétrique, à la création d’un budget fédéral, qui, par le jeu des transferts de fonds, vient « réparer » la zone victime du choc de croissance. Concrètement et pour revenir à notre nation européenne, le budget engagé pour six ans devrait inclure -à soumettre à nos députés bruxellois ?- un titre spécial consacré au réglement d’un déséquilibre temporaire. En somme, à défaut de l’existence de ce budget, une meilleure coordination des objectifs de croissance et de stabilité des prix, un objectif plus cohérent, doit être trouvé.

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