La Grande-Bretagne est-elle réellement à la croisée des chemins ?

, par Chris Wilford, Traduit par Ingrid Hans

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La Grande-Bretagne est-elle réellement à la croisée des chemins ?
Entretien entre David Cameron, Premier ministre britannique, à gauche, et José Manuel Barroso © Services audiovisuels de la Commission européenne

David Cameron délivrera vendredi son discours tant attendu sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Europe. Et un lourd fardeau repose sur les épaules du Premier ministre britannique : l’adhésion, le retrait, …ou une troisième solution ? Cet article passera en revue la situation actuelle et expliquera pourquoi celle-ci n’est pas aussi désespérée qu’elle le paraît.

Le Premier ministre britannique, David Cameron, doit prononcer vendredi aux Pays-Bas le deuxième discours le plus important de sa carrière. En effet le plus important était celui qu’il a brillamment tenu, sans aucune note, lors du congrès du Parti conservateur en 2005 et qui lui a valu d’être finalement élu à la tête du parti cette même année. Les spéculations fébriles de toute la presse britannique quant au contenu de ce discours atteignent leur paroxysme et au moins une chose est certaine : quoi que Cameron annonce, cela ne sera pas sans froisser quelqu’un.

Sur le plan national, le Premier ministre doit faire face à de nombreuses pressions au sein de son propre parti, terrifié à l’idée que le parti indépendantiste du Royaume-Uni (UKIP) puisse lui ravir le noyau dur de son électorat. En outre, les tabloïds font leurs choux gras de la menace que représentent les eurocrates bruxellois pour la liberté et l’économie et étalent à leurs unes des visions apocalyptiques de hordes de Bulgares et de Roumains déferlant sur une Grande-Bretagne en pleine austérité suite à l’assouplissement des restrictions à l’immigration et au travail au Royaume-Uni prévu à partir de décembre 2013.

Les libéraux démocrates, pro-européens et membres de la coalition gouvernementale, sont particulièrement agacés de la prise de position de Cameron et de son chancelier de l’Échiquier George Osborne, tandis que les travaillistes considèrent cette affaire totalement insensée et l’approche empruntée par Cameron franchement dangereuse. Ajoutez à cette effervescence les déclarations de grandes entreprises étayant qu’une Grande-Bretagne retirée de l’Union européenne ne serait pas l’endroit idéal pour investir, ainsi que les critiques de caciques tels que Lord Heseltine, pourtant conseiller privé de Cameron à la croissance, envers la stratégie européenne du Premier ministre, fustigeant ainsi le référendum sur l’adhésion européenne qui serait un véritable coup de dé et ferait fuir les investisseurs, et voici Cameron qui devra réussir un périlleux exercice d’équilibriste.

Sur le continent, les dirigeants européens perplexes répondent aux questions fusant de toutes parts posées par les journalistes britanniques au sujet de leur soutien supposé à David Cameron qui réclame une réforme de l’Union européenne et une renégociation des relations unissant le Royaume-Uni à Bruxelles. Entretemps, l’administration Obama, en la personne de Philip Gordon, secrétaire d’État adjoint américain chargé des affaires européennes, a clairement fait connaître la position des États-Unis sur la question : l’adhésion britannique à l’Union européenne est dans l’intérêt des Américains.

Par conséquent, que s’apprête donc Cameron à déclarer et, plus important encore, où réside l’intérêt européen ?

« La Grande-Bretagne ne songe nullement à une autre formule que la Communauté européenne, à une existence douillette et isolée, en marge. Notre destin est en Europe, car nous sommes membres de la Communauté . » comme l’a exprimé Margaret Thatcher dans son discours décisif au Collège d’Europe à Bruges en 1988. Elle a également souligné que « la Communauté n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas un gadget institutionnel, destiné à être constamment remanié selon les préceptes d’une quelconque théorie abstraite. Il ne faut pas non plus qu’elle soit pétrifiée par des règlements infinis. ». À vrai dire, nombreux sont ceux qui souffrent sur le continent, en particulier les jeunes. Avec un taux de chômage élevé et une économie en berne, l’Union européenne est souvent perçue comme une organisation abstraite et distante, une communauté qui s’est retournée contre ses propres citoyens.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les jeunes qui ont quitté l’école, qui ne suivent pas de formation ou qui sont sans emploi (les NEET [not in employment, education or training]) constituent 15 % de la population totale des jeunes adultes à travers l’Union européenne. Ainsi, en Espagne seulement plus de la moitié des jeunes sont sans emploi et le taux de chômage des moins de 25 ans s’élève à 52 %. Cette situation est loin d’être viable et n’est pas de bon augure pour l’avenir du projet européen. Tout ceci a un coût financier. En effet une récente étude menée par l’agence de recherche Eurofound a révélé que le coût du chômage des jeunes sur l’économie régionale s’élevait à 153 milliards d’euros par an. En outre, l’étude a fait ressortir que ces jeunes étaient également moins enclins à prendre part au processus démocratique.

Dans un tel contexte, la Grande-Bretagne ferait-elle mieux peut-être de faire fi de l’Europe, de brûler les diktats bruxellois et de se retirer dans un isolement douillet ? Non, car autant la Grande-Bretagne est fustigée pour être un partenaire embarrassant, autant elle représente une réelle force motrice au sein de l’Union européenne. Dotée d’une riche tradition démocratique libérale, et en tant qu’une des plus grandes puissances économiques et militaires en Europe, la Grande-Bretagne est une pièce indispensable du puzzle européen dans un monde de plus en plus hostile et compétitif. Tandis qu’outre-Manche, trois millions d’emplois dépendent des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, ce qui représente toujours le plus grand marché des biens et des services britanniques.

Cameron a tout à fait conscience de ce dernier point. En ces temps de croissance molle, il faut éviter tout ce qui pourrait mettre en péril la relance économique ou les investissements. De même, le Premier ministre est conscient qu’il ne fera pas plaisir à ses partenaires de la coalition en proposant un référendum dans l’immédiat. Alors que le parti travailliste se fait de plus en plus acerbe, tout autre clivage entre les libéraux démocrates et les conservateurs rendrait la situation extrêmement délicate sur le plan national. Ainsi, vendredi, tandis qu’il gardera à l’esprit les récentes mises en garde des Américains, Cameron réaffirmera sa volonté de maintenir la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne.

Ce en quoi il a parfaitement raison. Il ne s’agit certes pas d’affirmer que l’Europe ne nécessite aucun changement, ni de prétendre qu’elle doive répondre de façon plus démocratique à ses citoyens, mais de souligner que la Grande-Bretagne devrait poursuivre lesdits objectifs au sein même de l’Union européenne. En cette période de grand bouleversement, il n’est certainement pas opportun d’aggraver le climat d’incertitude qui règne.

Les Européens que nous sommes se sont habitués à un climat de paix. Nous avons oublié les conflits et bouleversements qui ont tant façonné notre histoire commune. Il ne faut pas que notre union soit parfaite, ni que nous le désirions car, comme Margaret Thatcher l’a également rappelé en 1988, « aussi loin que nous voulions aller, le fait est qu’on ne peut y arriver qu’en faisant un seul pas à la fois . » Vendredi donc, Cameron abondera dans le sens de telles considérations. Il abordera le sujet de la Grande-Bretagne au sein de l’Europe, de l’Europe par rapport au reste du monde et de notre avenir en commun. Certes il insistera sur la nécessité des réformes, néanmoins il n’ira pas beaucoup plus loin en définitive.

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