La Slovénie menace la cohésion européenne

... en proposant un référendum sur l’adhésion de la Croatie

, par Fabien Cazenave

La Slovénie menace la cohésion européenne

La Slovénie pourrait s’opposer à l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. Et, par rebond, mettre en danger le traité de Lisbonne.

L’ex-Yougoslavie sera-t-elle une éternelle épine dans le pied de l’Union européenne ? Alors que la situation au Kosovo n’est toujours pas réglée, c’est du côté de la Slovénie que viennent aujourd’hui les problèmes. Selon le quotidien croate Jutarni List, dans son édition du 7 janvier, le ministre slovène des Affaires étrangères, Samuel Zbogar, a déclaré que « si les conclusions des discussions sur le conflit frontalier ne sont pas dans l’intérêt du pays, un référendum populaire sur la ratification du traité d’adhésion à l’Union par la Croatie serait très réaliste ».

Ce faisant, la Slovénie cherche une nouvelle fois à retarder l’adhésion à l’UE de son voisin. Mais, cette fois, la menace est réelle et rappelle que tout n’est pas réglé dans cette région que certains avaient pensé épargnée par les guerres en ex-Yougoslavie. Le conflit transfrontalier entre les deux pays porte sur la mer Adriatique autour du partage de la baie de Piran et du tracé frontalier à l’embouchure de la Dragonja (voir la carte de l’ambassade de Croatie). La longue façade côtière croate draine les touristes, tandis que l’accès de la Slovénie à la mer est beaucoup plus étroit. Lubjana revendique plusieurs enclaves menant à la mer au nord de la Croatie, d’autant plus intéressantes que des droits exclusifs relatifs à l’exploitation des grands fonds marins leur sont attachés.

La Slovénie, un état modèle dans la construction européenne... jusqu’à présent

Jusqu’à présent, la Slovénie faisait pourtant figure d’élève modèle parmi les ex-pays de l’Est entrés dans l’Union européenne en 2004. Elle est notamment le premier de ces pays à être passé à l’Euro.

De même, la Slovénie a, la première d’entre eux, pris les commandes tournantes du Conseil de l’Union européenne, précédant la France, au premier semestre 2008. Sa présidence a en particulier été marquée par la déclaration d’indépendance du Kosovo. La Slovénie, que l’on surnomme « la Suisse slave », en référence à la mentalité « alpine » de sa population, a travaillé en étroite coopération avec Paris afin de préparer la présidence française. Il a fallu pas moins de 30 réunions de coordination au niveau ministériel et 100 au niveau des experts et des hauts fonctionnaires pour établir la liste des grands enjeux de la présidence française ainsi que ses modalités techniques.

Des conséquences immédiates pour le traité de Lisbonne

La Croatie espère terminer les négociations d’adhésion en 2009 et entrer dans l’Union européenne en 2010. En menaçant d’y mettre son veto de fait, c’est le traité de Lisbonne que la Slovénie fait une nouvelle fois tanguer.

L’accord conclu lors du Sommet européen de décembre dernier a accordé certaines garanties aux dirigeants irlandais pour les convaincre d’organiser un nouveau référendum - et débloquer ainsi le processus de ratification du traité de Lisbonne. Ces garanties sont incluses dans ce qu’on appelle le « protocole irlandais » : en le joignant au traité d’adhésion de la Croatie, Nicolas Sarkozy voulait éviter de devoir faire de nouveau ratifier le traité de Lisbonne par les 25 pays qui l’ont déjà fait. Si la Slovénie parvenait à bloquer cette adhésion - qui doit être votée à l’unanimité des membres de l’Union - elle pourrait lui porter un coup fatal.

Ce genre de montages diplomatiques sont complexes. Ils sont aussi incompréhensibles pour le citoyen. Il faut vraiment sortir de ce côté intergouvernemental de l’Union européenne.

Illustration : cartographie de la zone maritime à l’origine du conflit frontalier entre la Slovénie et la Croatie, source : Wikipedia.

Vos commentaires
  • Le 13 janvier 2009 à 08:41, par Fabien En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    A la base, j’ai écrit cet article pour L’Express.fr, dans le cadre d’un projet réunissant blogueurs et journalistes. Je suis très content d’avoir réussi à passer cet info sur un des sites les plus « vus » sur le web francophone.

    Cela pose la question du traitement de l’info sur les évènements européens par les médias. Je comprends mieux pourquoi les sujets européens sont mis de « côté ». En fait, les sources d’infos prises par les journalistes ne leur donnent pas ces sujets. On est pas prêt pour le moment d’avoir un espace public européen. De ce point de vue là.

    Touche d’espoir, en conf’ de rédac’, quand j’ai proposé le sujet, les journalistes ont marqué leur intérêt pour le sujet... et le rédac’chef a fait en sorte que ce sujet soit publié alors que j’avais déjà beaucoup de papiers qui allaient l’être.

  • Le 13 janvier 2009 à 09:33, par Laurent Nicolas En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Petite précision juridique : lorsque qu’un pays a terminé toutes les étapes de négociation, de mise à niveau juridique, économique (etc.) et qu’il remplit les conditions pour rentrer dans l’UE, alors l’UE propose un traité d’adhésion qui doit être adopté à l’unanimité par tous les Etats déjà membre. Ce traité n’est pas un traité à part entière : pour faire simple, c’est une modification du traité de Rome, un ajout ; pour faire une comparaison avec la France, c’est comme si l’on votait un amendement à la Constitution. Sauf que là, avec l’amendement qui dit « la Croatie fait partie de l’Union », on avait pensé faire ratifier en même temps, dans le même « paquet », un autre amendement qui disait « ce que les irlandais demandaient comme ajustements sur le traité de Lisbonne, on leur accorde ».

    Si la Slovénie, comme c’est son droit, fait voter cet « amendement » au traité de Rome, par la population en organisant un référendum, la probabilité que la réponse soit « non » est assez grande (dur à quantifier cependant). Si c’était le cas, non seulement la Croatie ne pourrait pas rejoindre l’Union, mais en plus de ça, tout ce que les irlandais ont négocié pour revoter sur le traité de Lisbonne serait refusé aussi. Et donc forcément, il serait impensable pour les irlandais de revoter dans ces conditions !

    La Slovénie joue gros avec cette menace et il faut espérer que la petite phrase du ministre slovène ne soit qu’un coup de pression sur la Croatie. Mais dans le fond, les slovènes sont dans leur droit : les litiges frontaliers avec la Croatie doivent absolument être réglés par le processus d’adhésion On ne peut pas faire rentrer la Croatie en l’état, en faisant comme si de rien n’était.

    Quand on pense que Slovénie et Croatie sont les pays les plus apaisés de la région, ceux qui ont le moins à se reprocher mutuellement, on peut être perplexe sur la poursuite de l’élargissement dans les Balkans. Cet élargissement est souhaitable, mais...c’est pas gagné...

  • Le 13 janvier 2009 à 09:43, par Valéry En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    En même temps la Slovénie utilise les moyens d’action qu’on lui offre dans un plateau. Ce qui est contestable c’est surtout qu’il faille se livrer à ce bricolage juridique pour faire entrer en vigueur un traité pourtant déjà ratifié par un très large majorité des pays européens, le plus souvent avec une très large majorité des représentants des citoyens. La démocratie c’est lorsque la majorité décide ! Ici nosu sommes comme d’habitude soumis à la règle de fer de l’unanimité qui ouvre toute sorte de possibilité de chantage, que ce soit de l’Irlande pour modifier des mesures du traité de Lisbonne ou la Slovénie pour tout autre chose.

  • Le 13 janvier 2009 à 10:20, par Fabien En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    On marche vraiment sur la tête avec ces arrangements « entre amis ». On voit la limite du fonctionnement d’une Europe à 27 où tout doit fonctionner à l’unanimité.

  • Le 13 janvier 2009 à 11:46, par Maël Donoso En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Exact. Ce genre d’évènements a au moins le mérite de mettre en lumière les lacunes du système actuel, et devrait convaincre de la nécessité d’avoir une gouvernance plus souple et plus efficace au niveau européen.

  • Le 13 janvier 2009 à 11:58, par philippe En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Là, on parle d’adhésion, c’est normal que la Slovénie ne souhaite pas importer un conflit frontalier dans l’UE ... Ce n’est pas une question de petits arrangements entre amis ... Quelle solution alternative proposes-tu ? Que la Commission décide pour tout le monde ?

  • Le 13 janvier 2009 à 12:24, par Fabien Cazenave En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Sur ce point-là, oui il faut régler le problème. D’ailleurs, on voit bien la situation ubuesque dans laquelle on se retrouve avec Chype. Mais en l’espèce ce ne sera pas la Commission qui décide, mais bien l’ensemble des pays. Et la Slovénie utilise les effets sur le traité de Lisbonne pour mettre encore plus la pression sur le sujet. C’est son jeu diplomatique. Il n’y a pas à juger.

  • Le 13 janvier 2009 à 18:22, par Stéphane En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Une solution de long terme bien simple est la supression des zones économiques exclusives et des eaux territoriales nationales, et leur remplacement par des eaux territoriales européennes.

    Plus d’Europe, moins de problèmes.

  • Le 14 janvier 2009 à 00:24, par seb En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Peut on réellement dire que la Slovénie met en péril la « cohésion européenne » ?

    Je ne crois pas. La Slovénie défend - à raison - son identité geopolitique, geostratégique. Et si elle le fait maintenant, c’est que Monsieur Sarkozy, pendant la présidence du Conseil Européen par la France, a fait la sourde oreille, lorsqu’il a été question du traité d’adhésion de la Croatie.

    La Slovénie peut,légitimement, contesté qu’un traité européen écrive noir sur blanc la fin de sa souveraineté sur certaines terres. Il me semble, dès lors, abusif de prendre la Slovénie pour bouc émissaire, alors même que c’est l’imprévoyance, et un certain mépris des « grands pays » pour les « petits » qui en est cause. Rien d’étonnant, dès lors, que la Slovénie, « nouveau membre » se tourne vers la République Tchèque, qui préside le Conseil Européen, qui est prête à l’écouter.

    L’élargissement à la Croatie ne plait d’ailleurs pas à d’autres Etats membres, qui restent plus discrets sur la question, mais n’en pensent pas moins.

    Pourquoi accuser par ailleurs la Slovénie de mettre en péril le traité dit de Lisbonne ?

    A preuve du contraire, c’est Nicolas Sarkozy qui a décidé d’enrubanner les « conditions » de l’Irlande dans le paquet cadeau d’un traité d’adhésion. Ce qui, pour moi, est particulièrement irrespectueux, car cela met le pays qui demande l’adhésion, en situation d’otage.

    Imaginons que demain (enfin, un peu plus tard quand même) David Cameron gagne les élections en Angleterre. Son parti est opposé à l’élargissement, et donc ne voit pas d’un très bon oeil l’arrivée fracassante de la Croatie au sein de l’UE...D’autant que celle ci sera, nécessairement, une alliée de l’Allemagne, et des USA...Ce qui n’est pas forcément dans l’intérêt de la Grande Bretagne.

    Quel coup de maitre que de faire un référendum, qui débarrassera l’Angleterre à la fois d’un élargissement redouté...Mais en plus d’un traité honni ! Les Anglais étant à 75% contre le traité dit de Lisbonne, approuvé par les parlementaires Anglais.

    En se servant de la Croatie, pour satisfaire Brian Cowen, Nicolas Sarkozy a de lui même mis en place un engrenage difficile à combattre.

    Rajoutons à cela, comme il est dit dans l’article, que ledit traité devra être ratifié (au mieux) en 2009, sinon en 2010. (Et rien ne dit qu’il le sera)

    Or...Le « compromis » trouvé le 12.12.08 est assez maladroit...Dans le sens où les membres du Conseil Européen invitent les citoyens Irlandais à se prononcer sur le même texte - puisque les modifications devraient intervenir par la suite...Et rien ne les rend tangibles pour l’heure - alors même que les « garanties » ne sont pas lisibles, et encore moins concrètes.

    Le bon sens aurait voulu que les « gouvernants » prennent des engagements réels et programment un agenda réaliste...Ce qui n’est pas le cas.

    On aurait ainsi, pu penser à mettre dans l’ordre les étapes : 1)Le traité d’adhésion de la Croatie est ratifié par chacun des 27 2)Le protocole irlandais est soumis au vote de chaque pays par la voie parlementaire ou référendaire 3)Le Conseil Européen modifie, par une déclaration commune, les termes du traité de Lisbonne, afin de permettre à chaque Etat de conserver « son » commissaire 4)Le traité dit de Lisbonne est soumis à l’examen des citoyens Irlandais, lesquels se décident en faveur ou en défaveur du traité

    Dans le « plan » trouvé par les « gouvernants » on propose aux Irlandais de s’engager sur des « si ». Qu’on ne s’étonne pas, par la suite, si au premier « non » irlandais...Suit un deuxième « non ». Sans garanties réelles...Comment dire « oui » ?

  • Le 14 janvier 2009 à 10:00, par Fabien Cazenave En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Effectivement, ce sont les arrangements intergouvernementaux et boutiquiers des diplomaties européennes qui nous mettent dans cette situation. Que la Slovénie utilise tous les moyens pour mettre la pression sur les négociations n’est pas un problème en soi.

    En revanche, sur votre dernière affirmation, si nous avons un nouveau No, ce sera de la responsabilité des dirigeants irlandais qui font plus campagne dans les chancelleries que sur le terrain de mon point de vue...

  • Le 15 janvier 2009 à 15:10, par Ronan En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Ce chantage slovène devrait agir tel le révélateur définitif de l’impasse dans laquelle nous a placé l’actuel système intergouvernemental : à savoir l’accumulation délirante et illisible, le mécano surréaliste de traités, de protocoles additionnels, de codiciles et de déclarations en tout genre (mais de valeur juridique variable).

    Seuls des juristes, amoureux du Droit pour lui-même, peuvent prendre vraiment leur pied à déméler un tel imbroglio.

    Nos concitoyens demandent une Europe simple,compréhensible, proche et lisible, les Etats leur offrent une Europe complexe, incompréhensible, lointaine et illisible. Cherchez l’erreur.

    Alors, quitte à faire un peu de Droit, autant alors demander quelque chose de simple : une Constitution. Et quitte à le faire, autant le faire démocratiquement et en toute transparence plutôt que de procéder ainsi : par retouches (dans une complexité savamment entretenue) et entre amis (dans l’opacité des conférences diplomatiques, loin des citoyens...).

  • Le 16 janvier 2009 à 09:11, par Curly En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    Dear Fabien and all the commentators on it below :

    saying that Slovenia is no longer a model EU state and ’blackmailing’ its southern neighbor is a very shallow assessment of what is happening and of EU enlargement history itself. Under the current rules all EU members have to agree to an enlargement. Slovenia has experienced real and ’problematic’ blackmailing from both of its EU neighbors, namely Austria and Italy even before signing the association agreement (we were the last of the new EU members to sign such an agreement in 1996, even after BG and RO). Nobody at that point questioned the ’legitimate claims’ of AT and IT even though they were basically pursuing their national(istic) interest and interpreting history from only their point of view. Croatia and Slovenia have until the mid-90s had exemplary neighborly relations without any tensions but politicians on both sides have since failed to agree on settling the border dispute and of course Slovenia will use all its diplomatic means available - even threatening and/or blocking Croatia’s EU accession - simply because it can. Let’s not forget that Greece has behaving much worse towards Macedonia for years and nobody scorned them for menacing the European cohesion. By applying the same rules as they were applied to it Slovenia is behaving as all ’old’ European countries in such cases. We should stop blaiming one country for using the means available but think in broader terms if a EU of member states and such intergovermentalism make sense at all. Cyprus is threatening Turkey for years and having a divided island represented only by one side and one version of the story to the conflict inside the EU is even more dangerous and nobody is questioning that, because countries like Austria and France and others are happy that Turkey’s aspirations to become EU member are being put on a hold. First look critically at your own respective countries and think broader then making generalisations about Slovenia menacing the Balkans etc.

    ATB, Peter

  • Le 6 mars 2009 à 14:17, par Alberto Campos En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    « La démocratie c’est lorsque la majorité » des ouvriers d’un texte décide de l’approuver. Drôle de « demos », non ? Tu sembles être convaincue, chère Valéry, tout autant que moi, que si l’avis avait été demandé aux « demos » de ces pays-là et non à ses « représentants » il y aurait, non un (irlandais) mais plusieurs rejets. Alors avale la règle de l’unanimité, grande démocrate que tu es, comme nous te supportons. Ne veux pas tous les ballons de ton coté...

  • Le 6 mars 2009 à 16:41, par Fabien Cazenave En réponse à : La Slovénie menace la cohésion européenne

    @ Alberto Campos :

    Que le « demos » vote non ou oui, quel est le rapport avec vos deux idées ?

    Qu’il faille que tout le monde soit d’accord sur tout, voilà bien un cancer des relations internationales qu’il nous faut dépasser au niveau européen.

    Pour le fait que les citoyens votent non ou oui, c’est leur choix. Bien malin qui peut le prédire à l’avance...

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