La condamnation du massacre de Srebrenica rapproche la Serbie de l’UE

, par Benoît Pélerin

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La condamnation du massacre de Srebrenica rapproche la Serbie de l'UE

Le parlement serbe a adopté mercredi 31 mars, une résolution qui condamne le massacre de Srebrenica. L’Europe salue un geste positif et de bonne volonté qui rapproche le pays de l’UE, mais les obstacles à une adhésion demeurent.

C’est après un débat de pas moins de 13 heures que le parlement serbe a approuvé une résolution par laquelle elle condamne le massacre de 8 000 Bosniaques musulmans à Srebrenica en juillet 1995, en exprimant sa sympathie pour les victimes et déplorant que la Serbie n’ait pas agi suffisamment pour empêcher le massacre perpétré par des Serbes de Bosnie. Sur les 173 députés présents, 127 on voté pour. C’est la première fois que l’État Serbe reconnaît officiellement sa part de responsabilité dans ce massacre.

Un pas en avant, mais qui ne satisfait pas tout le monde

L’Europe a réagi par la voix de sa chef de la diplomatie, Catherine Ashton : "Il s’agit d’un pas important pour ce pays dans le cadre de ses efforts pour faire face à son passé, un processus difficile mais qu’il est essentiel de mener à bien pour la société serbe" tandis que le Président serbe pro-européen Boris Tadic a parlé d’une "énorme contribution à la démocratisation de la Serbie et à la réconciliation régionale. Je regrette qu’elle n’ait pas été adoptée plus tôt" avant d’ajouter : c’est "la preuve que notre nation et notre culture sont partie intégrante de la culture et de la civilisation européennes".

Cependant cette résolution n’est pas du goût de tous : l’opposition nationaliste dénonce le rejet de la faute sur tout le peuple serbe et un dirigeant serbe de Bosnie qualifie cette mesure d’« absolument inacceptable et contre-productive pour les intérêts de la Republika Srpska (RS, entité des Serbes de Bosnie issue des accords de Dayton en 1991) et pour le peuple serbe dans son ensemble ». À l’inverse pour Hajra Catic, responsable d’une association des survivants de Srebrenica « elle ne veut rien dire, car le terme génocide n’y est pas mentionné [...] Il s’agit d’un jeu de mots pour ne pas utiliser le terme génocide, d’une tentative de fuir un crime horrible, mais une tentative tout à fait inutile car le crime n’y a pas été minimisé". Le Tribunal International de La Haye avait en effet qualifié ce massacre de génocide.

Des tensions anciennes

Le massacre de Srebrenica représente l’épisode le plus sanglant de la guerre de Bosnie (1992-1995) qui a vu les forces des serbes de Bosnie affronter Croates et Bosniaques musulmans. Au lendemain de la chute du communisme dans la Fédération de Yougoslavie, les républiques s’étaient emparées de l’occasion pour déclarer l’une après l’autre leur indépendance. L’équilibre des pouvoirs entre les trois ethnies de Bosnie (Croates, Musulmans et Serbes) s’écroula lorsque Croates et Musulmans s’allièrent contre les Serbes, lors des premières élections, accentuant les tensions intercommunautaires déjà existantes. Le conflit bosniaque n’était pas exactement une guerre de religion : le facteur religieux recoupaient des facteurs sociaux.

Sous l’occupation ottomane (XVIIè et XVIIIè siècle) seuls les convertis à l’Islam avaient le droit d’exercer certaines professions plus ou moins prestigieuses, l’artisanat par exemple, ce qui donna naissance à une communauté musulmane en générale plus riche et plus urbaine par rapport aux travailleurs saisonniers et aux petits fermiers qui restèrent fidèles à l’Église Orthodoxe. Ces différences de statut social, sur laquelle se greffait une différence de religion, traversèrent l’histoire et alimenta les tensions entre ces deux groupes, tensions qui explosèrent littéralement avec l’effondrement de la Yougoslavie, sur fond de nationalisme.

Le long chemin jusqu’à l’intégration

Ce geste rapproche en tout cas la Serbie de l’Europe et va très probablement contribuer à l’apaisement des esprits dans les Balkans une vingtaine d’années après les premiers incidents qui l’ont mis à feu et à sang. En outre le parlement serbe s’engage à collaborer avec le TPI-Y et à faire les efforts nécessaires à l’arrestation du criminel de guerre Ratko Mladic, ancien chef de l’armée des Serbes de Bosnie, conditions préalables à l’officialisation de la candidature de la Serbie à l’UE.

C’est sans doute un premier pas dans la direction de la réconciliation des peuples mais le chemin reste long. En effet, que ce soit en Croatie ou en Serbie, les nationalismes ont la peau dure et une part non négligeable de la population continue de célébrer les héros de l’indépendance nationale, qui pour certains ont été accusés de crimes de guerre. L’exemple de la Croatie est patent, les rues de Zagreb ressemblent à tout autre ville d’Europe, le pays est relativement riche, mais des posters et des tags glorifiant les « héros de l’indépendance » continuent à s’afficher dans les rues et l’Union Européenne a dû rester inflexible face à la Croatie quand celle-ci semblait rechigner à livrer ses criminels de guerre, condition préalable à une adhésion du pays à l’UE.

Le Kosovo dépend encore en partie de l’UE et des Nation Unies dans son administration sans parler du fait que tous les pays européens n’ont pas reconnu son indépendance et que la Serbie continue de la nier. Enfin la Boznie-Herzégovine demeure un pays sans réelle unité nationale, la réconciliation entre communautés risque de prendre beaucoup de temps quand on se rappelle que Srebrenica ne date que de 15 ans. Il reste à espérer que la perspective de l’intégration européenne sera un moteur fort sur la voie de l’apaisement dans les Balkans.

Face à ces constats, il est du devoir de l’UE de tout faire pour encourager les acteurs de la réconciliation. Certes la situation dans les Balkans est complexe et requiert tact et subtilité, cependant il reste du devoir de l’UE de se faire entendre haut et fort et de rappeler que la construction européenne s’est faite par la réconciliation des peuples et que cela reste un de ses objectifs premiers. C’est un devoir autant du fait de la politique de voisinage que parce que ces pays, entourés par l’UE ont vocation, ne nous voilons pas la face, à tous rentrer tôt ou tard dans l’UE. Cela est d’autant plus important que l’UE a maintenant une ministre des affaires étrangères, Catherine Ashton, qui a ici, pour paraphraser une fameuse phrase de Jacques Chirac, peut-être « perdu une bonne occasion de ne pas se taire », ou du moins raté une occasion de ne pas se contenter de saluer l’événement, mais de s’investir réellement dans les efforts d’apaisement de la région, restons attentifs sur ses futures actions...

Illustration : Une femme qui visite une tombe à Srebrenica, en Bosnie

Source : Flickr

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