La mine roumaine Rosia Montana, un des sites européens les plus menacés

, par Raluca Besliu, traduit par Pierre Guyot

La mine roumaine Rosia Montana, un des sites européens les plus menacés
Auteur : Storm Crypt

Voici une décision qui pourrait changer la donne. Conjointement à l’Institut de la Banque européenne d’investissement, Europa Nostra, principale ONG de sauvegarde du patrimoine culturel européen, a sélectionné Rosia Montana comme l’un des « 7 sites les plus menacés » en Europe, parmi les 42 candidatures issues de 21 pays différents. L’annonce a été faite lors d’une conférence de presse tenue le 12 juin 2013 à Athènes.

Comme l’a justement décrit Europa Nostra, le paysage minier historique de Rosia Montana, l’un des plus représentatifs en Europe, « est sérieusement menacé par un projet de mine d’or à ciel ouvert de grande envergure ». D’après Gabriel Resources Ltd. — l’entreprise canadienne à l’origine du projet — l’objectif est d’extraire les quelques 800 à 4 000 tonnes d’or amassées à Rosia Montana. Pour ce faire, elle utilisera la quantité astronomique de 40 tonnes de cyanure par jour. L’exploitation de la mine conduirait à détruire quatre massifs forestiers, à contaminer de nombreuses rivières, à dévaster plusieurs écosystèmes fragiles et à détruire plus de 900 bâtiments. Elle provoquerait également l’endiguement d’un bout de la vallée de Corna afin de contenir les 250 millions de tonnes de déchets cyanurés engendrés par la lixiviation de l’or.

L’entreprise canadienne et le gouvernement, qui soutenait le projet, prétendaient que ce projet était la seule possibilité de développement de la région. Cet argument a été mis à mal par cette sélection de Rosia Montana parmi les sites européens les plus menacés. Plus globalement, il condamne aussi l’exploitation minière à ciel ouvert et l’extraction au cyanure comme stratégie de développement. Europa Nostra s’en prend volontiers au gouvernement roumain et à l’entreprise canadienne, et « promeut un modèle de développement durable basé sur la culture et le patrimoine culturel, sur l’interaction entre le développement et les facteurs culturels ».

La région roumaine en péril va ainsi être amenée au premier plan de l’attention des médias européens et internationaux. Mais figurer parmi « les sept » lui permettra également de bénéficier du programme stratégique de sauvetage et de réhabilitation lancé cet été par Europa Nostra, et des fonds pour le mettre en œuvre. Ce programme déterminera en effet quels financements pourraient être obtenus via les fonds et prêts de l’Union européenne. Les premiers plans de sauvetage seront présentés lors de la Conférence politique européenne du patrimoine, le 5 décembre à Bruxelles.

Comme l’a souligné Mihai Gotiu dans un article, après avoir constamment rejeté l’existence de voies alternatives de développement pour Rosia Montana, hors du projet canadien d’exploitation minière, les autorités roumaines ont désormais l’obligation, au moins, de discuter et d’évaluer la stratégie proposée par Europa Nostra. Le projet de mine ne peut pas être approuvé sans que les solutions disponibles soient convenablement prises en considération. En outre, selon Mme Breza, repousser le programme d’Europa Nostra serait une inoubliable et terrible erreur : les autorités roumaines freineraient non seulement les efforts et le soutien de plusieurs banques européennes fiables, mais aussi la volonté de l’UE d’intégrer les politiques de patrimoine culturel et naturel au sein des stratégies de développement. En plus de souligner la valeur de Rosia Montana, un des auteurs de la candidature de Rosia Montana aux « 7 sites les plus menacés », Stefan Balici, a mis l’accent sur le fait que la candidature proposait également 10 projets spécifiques – dont certains sont déjà lancés – pour développer la région en utilisant et en mettant en valeur son patrimoine, ce qu’Europa Nostra peut intégrer dans son propre plan de sauvetage.

De plus, selon Placido Domingo, le Président d’Europa Nostra, Rosia Montana et les six autres monuments « ont été choisis non seulement parce qu’ils racontent une histoire fascinante sur notre passé commun et ancrent notre sentiment d’appartenance à une famille européenne, mais aussi parce qu’ils sont très précieux pour la population locale fortement engagée dans leur protection ». Durant près de quinze ans, le combat s’est révélé injuste et déséquilibré entre la population locale de Rosia Montana, alliées aux ONG nationales et internationales qui les ont défendues, et l’entreprise canadienne, soutenue par les différents gouvernements roumains qui se sont succédé au pouvoir. Gabriel Resources a utilisé les médias de masse pour désinformer la population roumaine sur le projet : l’entreprise a communiqué un nombre d’emplois créés supérieur à ceux que le projet engendrerait effectivement, et a promis un processus irréaliste de restauration environnementale faisant suite l’exploitation minière, tandis que de nombreux politiciens roumains de haut niveau ont exprimé leur soutien au projet minier comme unique solution de développement régional. Le Président roumain est allé jusqu’à accuser les parlementaires roumains de démagogie et de lâcheté lorsque ceux-ci n’ont pas immédiatement approuvé le projet canadien. Les uns après les autres, les opposants au projet ont le plus souvent été réduits au silence et exclus des médias dominants. L’attention et la reconnaissance internationales engendrées par la sélection de Rosia Montana dans la liste des 7 vont aussi permettre aux opposants, avec un peu de chance, de gagner en visibilité et en soutien, ce qui peut à son tour équilibrer le combat.

Rosia Montana a pris place dans la liste d’Europa Nostra aux côtés d’autres sites européens remarquables et essentiels, dont l’amphithéâtre romain de Durrës en Albanie, les fortifications de Vauban du XVIIe siècle à Briançon et le monastère daté de la renaissance italienne de San Benedetto Po. Alors que Mme Beza affirme que les sept sites sélectionnés sont menacés pour des raisons similaires – elle cite, entre autres problèmes, la corruption et la négligence politique –, le cas de Rosia Montana s’avère à part, vu l’envergure des propositions du projet minier et de son potentiel de destruction. À Rosia Montana, les dommages ne seraient pas que d’ordre culturel, mais aussi environnemental. De plus, dans le cas de la région roumaine, Europa Nostra et ses partenaires ont choisi l’opposition frontale en dénonçant le danger que représente le projet de développement de l’entreprise canadienne et du gouvernement roumain pour la région. Ils mettent également en avant un modèle de développement alternatif, basé sur le respect et la valorisation du patrimoine national et européen. Par cette décision, Europa Nostra envoie un message important aux institutions européennes dans l’optique d’harmoniser les politiques minières et de bannir les exploitations au cyanure dans l’Union européenne.

Désormais reconnue comme un site de grande valeur, Rosia Montana devrait se rapprocher de l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2012, le Ministère de la Culture roumain avait stratégiquement refusé d’intégrer Rosia Montana dans la liste officielle des monuments présentés à l’UNESCO, malgré les efforts et demandes de nombreuses ONG. Désormais, Rosia Montana devrait se trouver au sommet de la prochaine liste de propositions roumaine.

Article initialement paru sur European Student Think-tank

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