La nécessité de s’orienter vers une nouvelle réforme des Traités

Un déséquilibre institutionnel poursuivi par le Traité de Lisbonne

, par Nicolas Delmas

La nécessité de s'orienter vers une nouvelle réforme des Traités
José Manuel Barroso, président de la CE, à la tribune, lors de la signature du Traité de Lisbonne © Parlement européen

Trois ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne [1], il apparaît opportun d’effectuer un premier bilan – à mi-parcours de la mandature de la Commission (2010-2014) – de la nouvelle architecture institutionnelle (Nouvelle place du Parlement européen, Nomination d’un Président du Conseil européen).

A ce titre, l’enseignement majeur se trouve être la position esseulée de la Commission, avec d’une part, le renforcement des Etats membres et d’autre part, l’intervention régulière du Parlement européen dans le processus législatif.

L’accentuation de la place des Etats membres dans le processus décisionnel :

A titre liminaire, il convient de relever que l’instauration d’un Président du Conseil européen n’a pas eu pour conséquence d’entraîner la disparition des présidences tournantes au sein du Conseil, ni même leur mise en retrait. L’impulsion du Président s’est donc retrouvée bornée d’une part, aux projets des Etats qui assurent la présidence tournante et d’autre part, aux souhaits du Conseil européen, qu’il préside mais ne dirige pas.

Néanmoins, il semble que le Président de la Commission se retrouve concurrencé par la création de ce poste puisque le Conseil européen n’hésite pas à solliciter son Président pour réfléchir, seul ou à plusieurs, à des initiatives [2] pour le futur de la construction européenne, écartant la prééminence qu’avait acquis le Président de la Commission dans ce domaine.

Par ailleurs, ce retour des Etats dans l’activité législative se caractérise notamment avec l’augmentation des coopérations renforcées [3]. Certes, le phénomène est encore très récent et ne permet pas d’établir un bilan définitif. Toutefois, ce développement s’explique par l’assouplissement de la procédure d’autorisation d’une coopération renforcée [4], Par ailleurs, cette expansion provient aussi d’une double prise de conscience : d’une part, l’urgence de la crise [5] et d’autre part, la difficulté d’avancer ensemble dans une Europe à 27 [6]. Désormais, de nombreux responsables politiques avancent l’idée d’une « Europe à la carte », ou du moins d’une « Europe faite de cercles concentriques », composée notamment d’un « noyau dur d’Etats membres ».

Au demeurant, les Etats élaborent entre eux des traités internationaux pour avancer dans certains domaines, qui conservent certes un lien avec le droit de l’Union, mais ne sont pas directement rattachés aux traités de l’Union européenne (TUE et TFUE). Ainsi, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et le projet d’accord sur une juridiction unifiée des brevets figurent parmi les instruments des Etats membres et ne peuvent être assimilés à de la législation communautaire.

Le Parlement européen, contrepoids bienvenu ou opposant systématique ?

Cette année, aura été marquée par la résurgence de conflits inter-institutionnels entre les Conseil/Conseil européen et le Parlement européen [7].

Le plus emblématique (et médiatique) fut le rejet par le Parlement européen [8] de l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA). Il faut ajouter aussi la manifestation vive exprimée à l’occasion des discussions sur le brevet lorsque le Conseil européen a, dans ses conclusions de juin 2012, suggéré de supprimer les articles 5 et 6 du projet de règlement portant création d’un brevet unitaire [9].

Plus récemment, le Parlement européen a indiqué, par le biais d’un avis consultatif, qu’il s’opposait à la nomination du Luxembourgeois Mersch par le Conseil européen, au directoire de la Banque centrale européenne [10].

De ces interventions, il est possible de noter qu’à chaque fois, le Parlement européen a été rejoint par un ou plusieurs Etats (l’Autriche, la République Tchèque, la Slovaquie et la Pologne pour l’ACTA et l’Espagne pour la nomination de Monsieur Mersch), alors que la Commission, partagée entre les Etats membres et le Parlement, a préféré éviter de prendre position.

Or, ces interventions s’inscrivent sur de nombreux sujets symboliques (droits fondamentaux, parité homme/femme), qui permettent au Parlement européen de jouer le rôle de vigie en tant que premier relai de la société civile.

La mise en retrait de la Commission :

Il convient de relever que le monopole d’initiative législative de la Commission est actuellement concurrencé par les orientations prises par le Conseil européen.

A ce titre, certaines propositions avancées par la Commission ne peuvent prospérer compte tenu des réticences du Conseil et/ou du Parlement européen [11].

Cet affaiblissement est visible sur des points plus symboliques, mais aussi plus symptomatiques de cet état de fait. Ainsi, à l’occasion de l’attribution du Prix Nobel de la Paix pour l’Union européenne, le Président de la Commission a été mis en balance, par les Présidents du Conseil européen et du Parlement européen, pour recevoir le prix [12]. Or, si ce prix avait été attribué, quelques années auparavant, aucune réflexion ne se serait posée sur le choix de la personne chargé de représenter l’Union européenne.

Plus récemment, l’affaire Dali (du nom du commissaire européen de la santé, qui a démissionné) n’a fait que réduire davantage la marge de manœuvre de la Commission et accroître la défiance du Parlement à l’égard de la Commission.

Enfin, la Commission se retrouve en retrait aussi au niveau des questions liées au budget, qui sont décidées par le Conseil et le Parlement européen, et sur laquelle elle n’arrive pas à peser.

Le maintien d’un déséquilibre institutionnel risquera de peser, à terme, sur le bon fonctionnement de l’Union européenne. Il est à prévoir que des discussions s’organisent et aboutissent autour d’une réforme d’ampleur des institutions, réforme qui devrait aborder et jauger de toutes les propositions mises en avant : fusion des postes de Président de la Commission et du Conseil européen, élection du Président du Conseil européen au suffrage universel direct, réforme de l’Eurogroupe, …

En ces temps de crise (économique, politique, institutionnelle), l’heure est au changement. Comme disait Jean Monnet, « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. »

Mots-clés
Notes

[1Le 1er décembre 2009

[2Par exemple, le rapport rendu le 26 juin 2012, intitulé « Vers une véritable union économique et monétaire »

[3Désormais trois procédures ont été engagées : sur les divorces transnationaux, sur le brevet, sur la taxe des transactions financières (TTF)

[4Demande portée par au moins neuf Etats membres, vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil

[5La mise en place d’une coopération renforcée pour une taxe sur les transactions financières permettra de dégager des ressources budgétaires supplémentaires.

[6L’impossibilité d’établir un accord à 27 a conduit à la mise en place d’une coopération renforcée, avec les Etats membres désireux d’avancer.

[7Comme en 2010 avec la ratification de l’accord SWIFT

[8Premier rejet d’un accord international par le Parlement européen, le 4 juillet 2012

[9Report du vote sur le brevet, le 3 juillet 2012

[10Avis négatif, le 26 octobre 2012

[11Ainsi, la proposition d’instaurer un pourcentage de femmes (40%) dans les conseils d’administration des grandes entreprises a été d’abord repoussée par la Commissaire Viviane Reading, puis était réduite tant dans ses objectifs que dans les possibilités de sanction en cas d’inapplication.

[12Pour répondre à la formule de Henry Kissinger, il y a peut-être désormais trop de numéros de téléphone pour l’Europe.

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