La paix aujourd’hui dans un monde globalisé

, par Lucio Levi

La paix aujourd'hui dans un monde globalisé
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La globalisation est la phase actuelle d’un processus à long terme d’élargissement de la dimension des communautés humaines. L’une des clés possibles de lecture de l’histoire humaine identifie les étapes du processus de la civilisation avec l’élargissement de la dimension de l’Etat qui commence avec la cité-Etat et culmine avec la Fédération mondiale. C’est un processus de pacification de groupes humains de plus en plus grands qui tend à remplacer la violence par la loi dans la résolution des conflits. C’est, en gros, le projet de Kant pour une paix perpétuelle.

Kant ne conçoit pas la paix simplement comme « la suspension des hostilités » dans l’intervalle entre deux guerres (la paix négative), notion de la paix qui reste, à quelques exceptions près incontestée dans la culture politique contemporaine. « L’état de paix », écrivait Kant, « n’est pas un état naturel » mais plutôt quelque chose qui « doit être établi » à travers un ordre légal ou imposé par une autorité mondiale supérieure à chaque Etat individuel (paix positive). En définissant la paix comme une organisation politique qui « met fin à toutes les guerres pour toujours », Kant identifia précisément la ligne qui sépare la paix de la guerre et plaça la trêve (la situation dans laquelle, bien que les hostilités aient cessé, la menace qu’elles puissent se rouvrir demeure toujours) du côté de la guerre.

Quel est le moteur qui met ce processus en marche ? C’est l’évolution du mode de production. On peut établir une relation entre le mode de production et la taille de l’Etat, et en particulier entre le mode de production agricole et la cité-Etat, entre la première phase du mode de production industriel (utilisation du charbon et de la machine à vapeur) et l’Etat-nation, entre la seconde phase du mode de production industriel (utilisation de l’électricité, du pétrole et du moteur à combustion interne) et l’Etat de taille aussi importante que des régions entières du monde. Avec la révolution scientifique de la production matérielle (et la révolution dans les télécommunications et les transports) la Fédération mondiale devient possible et nécessaire. Il y a donc une relation spécifique entre le processus de la globalisation qui n’est rien d’autre qu’un processus d’intégration économique et sociale à l’échelle du monde, et le mode de production scientifique. Ce processus est progressivement en train de créer la base économique et sociale pour la formation d’une société civile globale et l’organisation de cette dernière dans le cadre de nouvelles formes d’étatisme mondial. La Cour pénale internationale est l’exemple le plus récent et le plus significatif de ce processus.

Ce processus de pacification est en même temps un processus d’extension de la démocratie au-delà des frontières des Etats : la démocratie d’assemblée a permis de pacifier les tribus et de les unifier dans la cité-Etat ; la démocratie représentative a permis de pacifier les cités et de les unifier en Etats nationaux ; la démocratie fédérale représente l’innovation institutionnelle sur la voie de la construction de la paix entre les nations à travers leur unification.

La globalisation a rompu les deux piliers sur lesquels repose la construction de la conception stato-centrique. Le premier est la subordination de la société civile à l’Etat qui exerce le monopole de la violence et constitue l’instrument de la paix à l’intérieur de ses frontières. Le second, c’est que les Etats, du fait qu’ils ne reconnaissent aucun pouvoir au-dessus d’eux sont les protagonistes exclusifs des relations internationales, qu’ils modèlent l’ordre international et sont le vecteur de la guerre.

Aujourd’hui, pourtant, face à la globalisation des marchés et de la société civile, la politique continue à utiliser les pouvoirs nationaux. Cette contradiction produit un repli de la politique, comprise comme sphère de la poursuite du bien commun, et la crise de la démocratie, comprise comme l’ensemble des institutions à travers lesquelles les citoyens participent à la détermination de leur propre destin. D’autre part, des acteurs non-étatiques (des sociétés et des banques multinationales, des mouvements de la société civile globale, des organisations religieuses, des organisations criminelles et terroristes, etc.) rivalisent avec les Etats pour le pouvoir décisionnel au niveau mondial. En somme, les Etats ont perdu le contrôle de la société civile et ne sont plus les protagonistes exclusifs des relations internationales. Ils ne constituent plus le lieu des grands choix politiques. Nous devrions donc nous demander combien de temps la démocratie pourra durer dans un monde où les citoyens sont exclus de la participation aux décisions qui déterminent leur destin. La globalisation doit être démocratisée avant qu’elle détruise la démocratie.

Si la politique veut véritablement poursuivre l’objectif de réguler la globalisation, les Etats doivent transférer une partie de leur pouvoir au niveau international à travers le renforcement et la démocratisation des organisations régionales et de l’ONU, comme l’a montré l’exemple de l’Union européenne. En fait, l’UE - en dépit du stade inaccompli de la construction de son unité représente la tentative la plus réussie pour constitutionnaliser et démocratiser les relations internationales. Après des siècles de guerres, les institutions de l’UE ont assuré la période de paix la plus longue de l’histoire européenne. Qui plus est, le Parlement européen, en dépit du déficit démocratique qui l’empêche d’exprimer toutes ses potentialités, montre le parcours que l’humanité doit entreprendre pour devenir maîtresse de son propre destin : l’irruption des citoyens dans la politique internationale.

Article issu du numéro 158 de la revue Fédéchoses et initialement paru en février 2013

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