Les droits de l’Homme font partis de cet héritage et il convient donc d’observer quelles sont leur influence sur cette construction originale en droit international pour montrer qu’ils sont finalement, selon nous, au cœur de cette construction comme l’illustre les propos de Monsieur Jean-Paul Costat, président de la CourEDH : « les droits de l’homme ne sont pas « une idée neuve en Europe », comme Saint-Just le disait du bonheur. Ils ne sont pas non plus, heureusement, une idée révolue. »
Les droits de l’Homme comme origine philosophique des fondements de l’Union européenne
L’histoire du continent européen a considérablement influencé la construction européenne actuelle. L’Europe s’est en effet inspirée des différents centres intellectuels et culturels qu’elle a pu connaître. Par exemple, force est déjà de constater que le système d’organisation « à la romaine » avec pour caractéristique principale la séparation entre les ordres public et privé, se retrouve encore de nos jours dans plusieurs Etats, comme en France. De plus, une autre opposition apparait entre deux systèmes : s’oppose au système romain le système anglo-saxon du Common Law qui va lui apparaître presque dix siècles après. Certains donnent même une date à cette apparition du système du Common Law : la bataille de Hastings de 1066, qui est d’ailleurs l’un des premiers débarquement militaire de l’histoire de l’humanité. Les troupes de Guillaume Le Conquérant auraient alors rapporté en Angleterre la coutume qui était appliquée en Normandie.
Quant aux grecs, ils nous ont, eux, apportés l’amour de la sagesse et une conception originale de l’homme avec un grand « H » tout comme le système démocratique qui est encore débattu de nos jours. Ainsi, selon l’historien du droit Aldo Schiavone, « si nous devons aux Grecs la naissance du « politique », nous devons aux Romains celle du « juridique. »
Ainsi, le système juridique européen est marqué par cette influence gréco-romaine tant du point de vu de l’organisation juridique de la Cour de justice de l’Union européenne (et non plus la cour de justice ces communautés européennes depuis le traité de Lisbonne) que de celui des déclarations de droits existantes. En effet, du point de vu de l’organisation juridique de la CJUE on constate qu’il y a souvent une certaine incompréhension entre le système de droit romain et le système du Common Law : celle-ci se traduisant notamment par le fait que les sources du droit utilisées ne sont pas les mêmes puisque le système romain penche plus en faveur de normes écrites et le système anglo-saxon est plus basé sur le système du « case » ou de la coutume.
Les déclarations des droits de l’homme et du citoyen tel que la Bill of Rights de 1689, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France ou encore l’ensemble de la philosophie des lumières ont également eu une certaine influence sur les différentes déclarations de droit de l’Union européenne telle que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Enfin, il convient de noter l’importance de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne des 7 et 8 décembre 2000 car ce texte constitue pour l’Union européenne un fondement et une finalité à poursuivre. De ce fait, un certain nombre de droits vont être réaffirmés et notamment la question de la citoyenneté, la question des discrimination, l’Etat de droit, la dignité de la personne humaine, l’interdiction de l’esclavage, la liberté d’expression, d’association, les principes de la justice. A l’occasion de l’adoption du traité de Lisbonne, la Charte de 2000 est adoptée et elle acquière une valeur juridique contraignante du fait de la nouvelle rédaction de l’article 6 du traité de l’Union européenne.
Si l’influence des droits de l’homme apparaît de manière évidente, il convient maintenant de se pencher sur l’effectivité de ces droits afin de montrer quel est l’intérêt juridique de ces droits. Il s’agit là d’un des aspects les plus originaux de l’Union européenne et c’est ce qui la différencie par ce fait des autres organisations internationales tel que les Nations-Unies par exemple.
Des droits fondamentaux au centre du système européen
L’originalité de l’influence des droits de l’homme sur le système juridique de l’Union européenne est de deux ordres : ces droits sont invocables directement par les particuliers et les hautes juridictions nationales acceptent de jouer le jeux de la conventionalité.
Le 4 novembre 1950, la ConvEDH est signée et une instance juridictionnelle est créée, il s’agit de la CourEDH. Cette dernière a pour mission, selon les textes européens, d’assurer l’effectivité des droits défendus par la Convention et elle représente en outre un modèle de protection des droits fondamentaux. Depuis 1999, un droit au recours individuel est ouvert de manière général ce qui permet à tout justiciable de saisir cette juridiction européenne après avoir épuisé les voies de recours internes (1ère instance, appel, cassation). Le juge naturel de cette Convention reste comme on peut le constater le juge national. Certains auteurs ont pu distinguer trois catégories de droits défendus par la CourEDH : la première rassemble les droits qui sont les mieux protégés (droit à la vie, interdiction de la torture…) ; la seconde rassemble les droits auxquels il est possible de déroger en état d’urgence (article 15 de la Convention) et enfin, la troisième rassemble les droits pouvant êtres aménagés en fonction des impératifs de démocratie, de sécurité, de santé ou de morale.
En outre, il apparaît évident que le droit de la ConvEDH est un droit de la protection de la personne humaine. En effet, l’originalité de cette convention, on ne l’aura jamais assez dit, c’est de reconnaître des droits aux individus face à l’Etat : on trouve ainsi l’article 6§1 de cette convention qui garantis le droit à un procès équitable, l’article 8 qui reconnaît le droit de mener une vie de famille, l’article 13 qui consacre le droit au juge… On constate ainsi, qu’en plus des droits reconnus au niveau étatique, la construction européenne a également consacré ou explicité des droits nouveaux qui jouent un rôle considérable dans les systèmes juridiques internes actuels. L’article 6§1 en est l’illustration la plus parfaite en ce sens qu’il garantit à « Toute personne (le) droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable. »
Ces notions « de procès équitable » et de « délai raisonnable » servent désormais de fondement à une action devant toutes les juridictions internes pour s’opposer à des décisions de justice. Le juge interne, français ou allemand, accepte d’appliquer directement cet article dans l’ordre juridique interne. La France a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs condamnations par la CourEDH pour violation de cette disposition européenne et on peut notamment citer la célèbre saga de la garde à vue à la française ou encore l’affaire des procureurs français qui sont mal perçus par les juges de la CourEDH car ils remettraient en cause, selon eux, la notion du « droit à un procès équitable » puisqu’ils agiraient en tant que partie à un procès. Cette dernière critique est d’ailleurs infondée puisque le procureur ne fait que représenter l’intérêt général et il n’est là que pour garantir à la société que la procédure est régulière de la garde à vue jusqu’au procès. Le procureur n’est donc pas « un chasseur » comme certains ont pu le prétendre.
L’appellation même de « Cour européenne des droits de l’homme » ou de « convention de sauvegarde des libertés fondamentales » démontre qu’il y a une véritable volonté d’humaniser cette construction internationale. Sur ce point, l’Union a l’avantage d’assurer véritablement l’effectivité des libertés fondamentales, à la différence de d’autres cours de justice que l’on peut retrouver dans d’autres constructions internationales puisqu’elle est dotée de tous les moyens nécessaires pour parvenir à cette fin.
De l’aveux de Monsieur Costa (président de la CourEDH), dans son discours du 28 janvier 2011, « il est exact que l’effet horizontal donné à (la responsabilité étatique) par notre jurisprudence, a élargi (cette responsabilité), mais qui pourrait s’en étonner ? L’effectivité des droits, leur meilleure protection, implique une telle évolution. » De ce fait, la CourEDH invite, à juste titre, à sauvegarder et à garantir au mieux le développement de ces droits, les droits et libertés n’étant jamais définitivement acquis. S’agissant de leur développement, il s’agit, pour reprendre Condorcet d’un « progrès de l’esprit humain » qui est fondamental pour garantir les bonnes relations entre les individus. On constate également que la jurisprudence de la CourEDH illustre parfaitement le fait que « le droit des droits de l’homme déborde de ses limites traditionnelles » en ce sens que plusieurs types de contentieux peuvent entrainer leur application : droit de vote, droit des étrangers, droit international privé, relations entre les religions ou encore les relations entre l’Etat et les particuliers… Enfin, « la diversification des atteintes aux droits de l’homme devrait avoir pour corollaire (nécessaire) celle des réponses à apporter pour les prévenir et les combattre » (monsieur Costa).
La ConvEDH ne doit pas être confondue avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne puisque celle-ci ne concerne que l’Union Européenne, il s’agit d’une convention qui n’a pas une portée aussi pratique et enfin, elle n’a reçu une force contraignante qu’en décembre 2009 lors de la ratification du traité de Lisbonne (même si elle est issue du traité de Nice de 2000). Pour l’ensemble de ces raisons, on comprend que les prétoires des différents Etats parties à l’Union européenne sont plus réticents à appliquer cette charte des droits fondamentaux que la ConvEDH qui a reçu elle toute ses lettres de noblesse.
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