La Constitution de 2008 affirme le caractère laïc de l’État ainsi que la multiethnicité de la société kosovare. Le port du foulard est donc interdit dans les lieux publics, au nom du respect des minorités religieuses, notamment orthodoxes et catholiques. Ainsi, dans une société à 90% musulmane, les manifestants se sentent discriminés par leur propre État. Cette frustration se retrouve dans les slogans lancés par la foule : « Le Communisme est terminé ! », « N’utilisez pas l’État contre nous ! ».
Un ami me confiait d’ailleurs récemment : « En tant que Kosovo-albanais, j’ai l’impression que les Serbes, ici, qui ne représentent pourtant que 5% de la population, ont bien plus de droits que nous », ajoutant que « le port du voile dans les lieux publics est un droit pour les musulmans ». Un sentiment assez répandu dans la société, même si les défilés du 11 mai et du 18 juin n’ont réuni que 1000 à 5000 manifestants. Le représentant de la Kosovo Iislamic Ccommunity (KIC), Naim Tërnava, entend défendre sa cause devant la Cour constitutionnelle du Kosovo. En cas de rejet (fort probable), il a déclaré cette semaine vouloir saisir la Cour européenne des Ddroits de l’Homme.
Neutralité religieuse comme passeport pour l’Europe ?
Pour que l’indépendance du Kosovo puisse être acceptée par la communauté internationale, la nouvelle Constitution se devait d’être un modèle de tolérance et de protection à l’égard des minorités. La situation est si sensible avec la communauté serbe orthodoxe, que Pristina se devait de jouer le jeu de la neutralité absolue. On ne peut cependant s’empêcher de penser que le caractère laïc de l’État kosovar a également été un moyen pour Pristina de souligner sa volonté d’appartenance à l’Occident. Ou bien, s’agit-il d’une condition implicite de l’Europe pour une hypothétique adhésion du Kosovo à l’Union. En effet, un Kosovo musulman n’est pas très vendeur pour une Europe en proie aux discours identitaires. Regardons simplement les débats au sujet de l’adhésion de la Turquie, du voile en France et en Allemagne, des minarets en Suisse, etc. L’UE serait-elle seulement capable d’intégrer un pays dont l’écrasante majorité de la population est musulmane, si celui-ci ne reniait pas totalement son appartenance religieuse ?
Toutefois, au regard de l’histoire du pays, ces questions ne peuvent se poser en ces termes. En effet, le rapport à la religion de la société albanophone est un cas unique dans les Balkans. A la différence de leurs voisins slaves, les Albanais n’ont jamais eu à ériger la religion comme élément fondateur de leur identité. La langue albanaise, qui dérive d’une branche unique de l’indo-européen, suffit à marquer une frontière nette avec le monde slave. Les Serbes, Croates et Bosniaques partagent, eux, la même langue. L’élément distinctif de l’identité de ces peuples devient, entre autres, la religion : les Serbes sont slaves orthodoxes, les Croates sont slaves catholiques, les Bosniaques sont slaves musulmans. Et chacun a dû, d’une manière ou d’une autre, affirmer cette appartenance pour se différencier des autres. Les albanophones des Balkans se différencient ainsi par la langue et la culture albanaises, et sont majoritairement musulmans (70% en Albanie, 95% au Kosovo).
D’un Islam "de façade" à un Islam de tradition
La conversion des albanophones à l’Islam est relativement tardive puisqu’elle, remonte au XIVème siècle. L’Empire ottoman, qui occupait la région jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, encourageait fortement les conversions par l’exonération de lourdes taxes et des facilités d’accès et de progression dans l’administration de l’Empire. Toutefois, au cours de cette période, beaucoup ont adopté un Islam « de façade » et ont continué à pratiquer, en secret, la religion catholique. L’Islam s’est ainsi largement répandu au sein de la société albanaise, cependant dans une forme très modérée. Le Kosovo n’a jamais été une terre propice au radicalisme musulman.
Si on entend le muezzin dans les rues de Pristina, les Kosovars ne fréquentent guère les nombreuses mosquées du pays. Dans la rue, les habitudes vestimentaires sont très occidentales, on ne voit que très peu de femmes voilées. Les récentes manifestations pour le port du voile à l’école sont inédites au Kosovo, mais semblent quelque peu étrangères à la tradition et à l’histoire du pays.
Ainsi, le débat sur la laïcité s’installe progressivement au Kosovo sous une forme originale : tiraillé entre adhésion à une Europe peu encline à la diversité religieuse et consolidation de l’identité kosovo-albanaise.
1. Le 8 août 2010 à 06:21, par Martina Latina En réponse à : Laïcité au Kosovo : entre aspiration européenne et consolidation identitaire
L’Europe sait par l’histoire de la démocratie que la laïcité est la seule garantie de liberté religieuse, donc de respect créateur et de paix civile. Le cas du Kosovo contribue à le rappeler.
Suivre les commentaires : |