Comment éviter de revivre les erreurs du passé, comment créer les conditions d’une paix durable entre les ennemis d’hier ?
Le coeur du problème réside dans la relation entre la France et l’Allemagne. Il faut créer un lien entre ces deux pays et réunir autour d’eux tous les pays libres de l’Europe pour bâtir ensemble une communauté de destin.
Bref, il s’agit donc désormais de substituer à l’Europe d’autrefois, déchirée et saccagée par le fer et par le feu, une autre Europe. Mais par où et comment commencer ?
Et pourquoi ne pas essayer de construire une Europe unie par le charbon et l’acier ?
Puisque tel allait être le projet de deux pères fondateurs de l’Europe : Jean Monnet et Robert Schuman.
Deux Pères fondateurs : Jean Monnet et Robert Schuman
Un homme, riche d’une expérience unique de négociateur et d’homme de paix a une idée et va la proposer au gouvernement français et aux gouvernements européens, cet homme s’appelle Jean Monnet. Et il va être entendu et écouté, au moins par le ministre français des affaires étrangères : Robert Schuman.
Nous sommes le 9 mai 1950 et il est environ dix-huit heures. Dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, une centaine de journalistes, dont beaucoup d’étrangers attendent. Non loin de là, une homme avance : Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères depuis le 26 juillet 1948.
La France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne
Né au Luxembourg de parents lorrains, Allemand jusqu’en 1918, cet avocat est entré en politique comme député de la Moselle en 1919. Catholique austère, il est démocrate-chrétien. Membre du gouvernement de Paul Reynaud en mars 1940, il a voté les pleins pouvoirs à Pétain, avant de quitter le gouvernement le 10 juillet 1940. Déporté en 1942, il a repris sa carrière au MRP (démocrate-chrétien) dès 1945 et a été ministre des finances et président du Conseil avant de diriger la diplomatie française.
Il entre. Le silence se fait. Il parle. Avec cet accent rude, heurté, qui rappelle celui des « Boches » : « Messieurs, il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif... La France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne. »
Un contexte historique bien particulier
L’Allemagne. L’obsession française. Trois guerres, 1870, 1914, 1939. Comment faire pour que cela ne recommence pas ? Pour la France, la solution est simple : éviter toute renaissance d’un Etat allemand. Mais la guerre froide en a décidé autrement.
Face à la progression du communisme en Europe de l’Est, les États-Unis veulent faire de l’Allemagne de l’Ouest un avant-poste du combat contre Moscou en Europe. La RFA naît le 23 mai 1949. Dès lors, il n’y a, pour la France, d’autre solution que d’éviter la renaissance du nationalisme outre-Rhin en proposant de lier les deux pays dans le cadre d’une Europe unie.
Pacifier l’Europe par la mise en commun des instruments de la guerre
D’où la proposition Schuman : mettre en commun les productions de charbon et d’acier (harmonisation des politiques de prix, des règles commerciales, etc.), celles par qui la guerre est possible, sous l’égide d’une « Haute Autorité » supranationale, avec à ses côtés un Conseil des ministres et une Assemblée élue par les parlements nationaux.
Cette déclaration fait l’effet d’une bombe. Le secret a été bien gardé. Un travail de commando d’hommes de l’ombre. A sa tête, Jean Monnet, qui a parcouru le monde pour sa maison de cognac, pour la Société des Nations, pour les banques américaines. Cet ami des Etats-Unis est obsédé par la renaissance de l’Europe. D’une Europe nouvelle qui fasse éclater le cadre des nations -trop dangereux pour la paix, trop étroit pour l’économie- et qui soit le relais des États-Unis sur le continent face à l’URSS. Avec lui, commissaire au Plan depuis 1946, Robert Marjolin, Étienne Hirsch, Pierre Uri, Paul Reuter, ont convaincu Schuman.
Tempête politique
À peine celui-ci a-t-il parlé que la tempête politique commence. À Londres, c’est la fureur. On récuse l’Europe fédérale. On craint un continent uni et une Angleterre isolée. En France, les gaullistes refusent la supranationalité, le tête-à-tête industriel avec les Allemands. De Gaulle dénoncera : « le méli-mélo de l’acier ». Les communistes éructent : « Nouvelle trahison, nouveau pas vers la guerre » écrit l’Humanité.
Schuman a pourtant fait des heureux : le MRP et la SFIO au pouvoir, européens de la première heure ; et, hors de France, Bonn et Washington. Le chancelier d’Allemagne, le démocrate-chrétien Adenauer, est enthousiaste. Il ne sait comment réhabiliter son pays encore au ban des nations. Il saisit la balle au bond. Et le président américain Harry Truman salue la proposition : une Europe forte, alliée des États-Unis, bastion face à l’URSS, c’est tout ce qu’il souhaite.
Vers la mise en oeuvre
Les négociations commencent. Monnet fait le commis voyageur. Echec à Londres. Succès à Rome, à Luxembourg, à Bruxelles, à la Haye. Le 18 avril 1951, le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est paraphé au Quai d’Orsay : le texte du traité a été imprimé par l’Imprimerie nationale française, sur du vélin de Hollande, relié en parchemin de Belgique, avec un ruban italien, de la colle luxembourgeoise et de l’encre allemande.
Les signataires du Traité du 18 avril 1951 instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) sont : Konrad Adenauer (pour l’Allemagne fédérale), Joseph Bech (pour le Luxembourg), Joseph Meurice et Paul van Zeeland (pour la Belgique), Robert Schuman (pour la France), Carlo Sforza (pour l’Italie), Dirk Stikker et Johannes van der Brink (pour les Pays bas).
Les parlements ratifient vite le traité et, le 10 août 1952, Jean Monnet est nommé président de la « Haute autorité » qui s’installe à Luxembourg. Il déclare alors : « De quoi s’agit-il ? De rendre graduellement européen ce qui est national. Les choses suivront dès que les circonstances le permettront. La forme juridique que prendra cette Europe, on ne le sait pas. »
Ainsi six pays décidaient de mettre en oeuvre une forme de coopération internationale entièrement nouvelle qui doit assurer paix et prospérité aux peuples de États membres. Ce traité fondant la première communauté européenne ouvrit ainsi la porte à l’Europe des réalisations concrètes. D’autres réalisations allaient suivre...
NDLR : cet article a déjà été publié le 8 mai 2006.
- Sources :
D’après un texte de Pascal Fontaine (professeur de l’IEP de Paris), texte tiré de « Sept jours en Europe », document publié par l’Office des publications officielles des Communautés européennes.
D’après un texte de Jean-Michel Gaillard, tiré de l’ouvrage : « Les grands jours de l’Europe, 1950-2004 » (ici pages 23 à 26), opus cit. dans notre rubrique Bibliothèque.
- Illustrations :
Photographies de Robert Schuman et du Quai d’Orsay. Sources : wikimédia (Copyright © Ministère des affaires étrangères - service photographique).
1. Le 8 mai 2006 à 17:56, par Ali Baba En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
Excellent article qui nous plonge dans l’ambiance de l’époque pour mieux nous montrer l’audace des pères fondateurs. Puissions-nous aujourd’hui vite retrouver cette audace. De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace !
2. Le 9 mai 2006 à 11:44, par Fabien En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
Quand je pense que dans le clip du MAE, il n’y a pas l’explication de ce qu’était cette date...
Le journal de 13heures sur France 2 a atteint des sommets de non explication, mélangeant pratiquement dans le même reportage 8 mai / 9 mai fête de l’europe / 9 mai pour Staline à Berlin...
L’Européisme ne suffit plus !
3. Le 8 mai 2007 à 12:20, par Ronan En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
L’ennui, c’est que l’armistice de 1945 a effectivement été signé en deux étapes : le 8 mai, à Reims (pour le front de l’Ouest et les armées alliées occidentales) et le 9 mai, à Berlin (pour le front de l’Est et les armées soviétiques), lesquels fronts n’étaient néanmoins distants que de quelques maigres kilomètres (et lesquels alliés ayant déjà fait leur jonction depuis belle lurette : le 25 avril 1945, à Torgau, en Saxe, sur l’Elbe...).
Ce qui vient effectivement ’’télescoper’’ la date du 9 mai (1950).
4. Le 10 mai 2007 à 23:59, par J.-P. Chauvin En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
A vous lire, le processus de la « déclaration Schuman » n’est pas vraiment démocratique et transparent : pas étonnant que cela n’ait pas été apprécié. Question : que sont devenues la CECA, et la sidérurgie européenne ?
5. Le 12 mai 2007 à 11:36, par Ronan En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
– 1- On peut effectivement considérer que la « déclaration Schuman » est davantage l’expression d’une initiative privée et plus ou moins ’’politiquement’’ solitaire que (malgré le ’’bourgeonnement’’ euro-fédéraliste de ces années 1945-1955...) l’expression politique d’une authentique lâme de fond populaire. Il n’empêche, il fallait bien que quelqu’un ait cette idée et prenne cette initiative. A ce titre, Schuman fut un visionnaire et un précurseur... et mérite d’être là salué en tant que tel.
– 2- Aujourd’hui, j’ai le sentiment diffus que la sidérurgie européenne n’est pas nécessairement dans un très bel état (Cf. récents épisodes Mittal-Arcélor). Mais cela c’est normal, en cinquante ans l’économie mondiale a considérablement évoluée (et la notre aussi...). Et d’autres activités économiques que la sidérurgie ont aujourd’hui des taux de productivités plus importants... et il ne me paraît donc pas complètement absurde que nos sociétés se tournent davantage vers celles-ci que vers celle-là. Même si cela doit s’accompagner d’une mutation sociale et d’une réorientation des populations vers d’autres activités, processus souvent longs et douloureux.
Mais n’oublions pas non plus que - par delà sa dimension économique (i. e : marché commun du charbon et de l’acier, suppression des droits de douane, libre circulation des produits et marchandises concernés, etc) - ce projet de CECA avait essentiellement un but non pas strictement économique mais surtout politique (avec les productions de charbon et d’acier plus comme opportunité et comme prétexte que comme véritable raison d’être...) : permettre la coopération économique entre anciens ennemis de la seconde guerre mondiale et crérr des liens entre eux, notamment en jetant les premières bases de leur possible réconciliation et en cherchat à rendre impossible la guerre par le contrôle supranational des productions stratégiquement à la base des industries d’armement.
– 3- Ce qu’est devenu le Traité CECA, voilà en tout cas ce qu’en dit l’encyclopédie en ligne wikipédia : « Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a été signé à Paris le 18 avril 1951 (par la Belgique, la France, l’Italie, la République fédérale d’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas). Initié par Jean Monnet, il avait une validité de 50 ans ; il est entré en vigueur le 23 juillet 1952. La CECA n’existe donc plus depuis le 23 juillet 2002. »
Mais, encore une fois, il faudrait sans doute moins ici se focaliser sur le charbon en tant que tel et l’acier seul (productions dont nos sociétés ont sans doute moins besoin de nos jours qu’auparavant...) pour davantage regarder tout ce que ces productions ont alors rendu possibles, en seuls termes d’accords politiques et de mise en place de structures institutionnelles communes. Sans même parler là de l’exemplarité d’un tel processus alors initialisé.
6. Le 5 mai 2008 à 11:52, par max En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
Excellent article et trés bon idée d’avoir mis une partie du discours.
7. Le 5 mai 2008 à 23:39, par Ronan En réponse à : Le 9 mai 1950 : la Déclaration Schuman
Le déroulé de la conversation sur un fil voisin (voir ci-dessous) me conduit à nuancer certains propos tenus dans l’introduction. Notamment « ça » : « La guerre froide fait peser la menace d’un conflit entre l’est et l’ouest du continent. Cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les anciens adversaires sont loin d’être réconciliés ».
– 1- Car si la construction européenne a considérablement reserré les liens entre France et Allemagne (de l’Ouest) (et ce fut une bonne chose...), il ne faut tout de même pas oublier que la décision de la paix ou de la guerre « européenne » (et « entre européens ») ne se décide alors ni à Paris, ni à Berlin mais bel et bien à Washington et à Moscou. (Et que - soumis à ce « co-dominium » - les Européens ne sont tout simplement pas en mesure de souverainement décider de s’entretuer...) (et la CEE à naître n’y est alors pour rien...).
– 2- Si la construction européenne a - par la suite - empêché la guerre froide de dramatiquement se réchauffer (merci, donc...), c’est surtout en faisant en sorte que l’Europe occidentale soit économiquement moins vulnérable (par le resserrement des liens économiques entre partenaires européens) et en éloignant - politiquement - la désastreuse perspective (et redoutable alternative à la construction européenne...) d’une Allemagne unie telle que l’avaient alors rêvée Staline et ses immédiats successeurs : réunifiée et dénucléarisée (mais neutre, « finlandisée » et... sous contrôle soviétique).
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