Le Conseil ne trouve aucune solution : l’heure d’une Europe à deux vitesses est-elle venue ?

Une alternative à l’impasse institutionnelle de l’Union Européenne

, par Traduit par Hélène Boussi Astier, Anonymous

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

Le Conseil ne trouve aucune solution : l'heure d'une Europe à deux vitesses est-elle venue ?

56% des Irlandais (soit 1% de la population européenne) ont rejeté le Traité de Lisbonne, replaçant l’Union Européenne (UE) sur le théâtre des crises politiques et des incertitudes. Nombreux sont ceux qui s’interrogeront sur la durée de la dernière crise, pendant que d’autres commenceront à se demander si le problème du Traité est le Traité lui-même ou son mode de ratification.

Le Conseil Européen - incapable de trouver une solution lors de sa réunion - a fait ce qu’il fait habituellement dans de telles circonstances : il a reporté les discussions, espérant probablement que dans 6 mois, les Irlandais auront complètement oublié ce qui s’est passé. Ce qui est évident, comme le Président français, Nicolas Sarkozy, l’a une fois de plus répété, c’est qu’il n’y a pas de plan B, ni même aucun désir de recommencer des négociations entre les 27 pays.

L’inattendu vote irlandais représente le troisième rejet des tentatives de réformes du traité européen en trois ans. Il y a peu de doute qu’un certain degré d’insatisfaction existe parmi les citoyens européens, mais ceci devient pour le moins ironique quand les populations rejettent un document destiné à répondre aux problématiques qui ne les satisfont pas. Quel est donc le problème sous-jacent ?

Pourquoi le NON irlandais 

Avant d’évaluer les solutions à cette crise, essayons de cerner les diverses raisons du rejet irlandais. Il ne fait aucun doute que de nombreux Européens se demanderont « comment la croissance économique la plus rapide d’Europe, le pays qui, de manière très apparente, a le plus bénéficié de l’intégration européenne, peut il nous lancer un tel rejet à la figure ? »

De la même manière qu’en France en 2005, la campagne pour le NON prétend être profondément pro-européenne

Interrogeons donc la campagne pour le NON. De la même manière qu’en France en 2005, la campagne pour le NON prétend être profondément pro-européenne. « Il ne fait aucun doute que le futur de l’Irlande est dans l’UE » disent ils. « Nous sommes en faveur de l’Europe, mais pas en faveur de ce traité- nous pouvons espérer mieux. » Cette tonalité vous semble familière ? Chose assez intéressante, la plupart des recherches menées à la suite du référendum montrent qu’environ 70% des personnes ayant voté non, ont rejeté le Traité de Lisbonne car ils croyaient que l’Irlande pourrait renégocier à Bruxelles et « rapporter à la maison des conditions plus avantageuses ».

Les Jeunes Européen en faveur d’un OUI irlandais - l’équipe de campagne en Irlande de la JEF Europe - ont passé deux jours à Dublin pour tenter de dissiper les mythes de la campagne pour le Non. L’équipe a trouvé que les citoyens irlandais étaient particulièrement confus et très mal informés sur les questions relatives au Traité de Lisbonne. La Campagne pour le Non a, avec succès, soulevé de nombreuses questions et créé un climat politique de peur efficace. Avec une campagne irlandaise pour le Oui en grand désarroi et incapable de faire valoir ses arguments, la population s’est retrouvée abandonnée, sans autre choix que de choisir « la voix de la prudence » et de rejeter le traité.

La plupart des arguments tournaient autour de la neutralité irlandaise et des dépenses militaires, de l’avortement, de l’emploi, de la fiscalité et de l’économie. Un grand nombre dirait que ces questions n’ont que peu de rapport avec le Traité de Lisbonne, d’autres affirmeraient que ce traité était trop technique et apparenté à un processus décisionnel et à un système de vote sans thème évident ou clair, d’où les difficultés d’expliquer le traité à la population et de mener à bien un débat à ce sujet. Ceci explique peut être que tous les autres gouvernements de l’UE aient décidé de ne pas recourir au référendum pour la ratification. Ce qui est évident c’est que la campagne pour le Non irlandais a été efficace- ils savaient parfaitement ce que la population voulait entendre.

Monsieur, voterez vous demain pour le référendum ? Je voterais NON. Nous ne pouvons permettre à Bruxelles de contrôler et d’augmenter nos taxes- elles sont déjà bien assez élevées ainsi.

Quelle est votre opinion sur le Traité de Lisbonne, Madame ? Je pense que nous pouvons obtenir mieux. Si nous votons contre, nous serons en mesure de renégocier et de satisfaire nos intérêts.

Tournerez vous le dos au Traité lors du référendum de demain ? J’ai d’ores et déjà voté contre. Pourquoi les autres états européens n’ont-ils pas leur mot à dire ? Pourquoi sommes nous les seuls à voter ? Qu’arrive t-il à la démocratie ?

Beaucoup de ces commentaires ne sont que le pur écho des slogans de la campagne pour le Non et témoignent de l’échec total à porter et unir en faveur d’un Oui Irlandais. Nous pouvons donc dire que le rejet irlandais était principalement la conséquence d’une peur et d’une mauvaise interprétation du traité, d’une faible campagne en faveur du Oui, de la croyance en de futures négociations avec Bruxelles et peut être même, en tant que seul état membre organisant un référendum, d’un sentiment de « pouvoir et de responsabilité » à défendre la démocratie. Il ne s’agit pas - soyons clairs - d’un rejet irlandais de son appartenance à l’UE.

Une solution pour le traité de Lisbonne

La décision irlandaise doit, bien entendue, être respectée et l’UE ne doit pas ignorer le résultat du référendum. Mais de la même manière, il n’est pas concevable que 2 millions de votants puissent arrêter le processus d’intégration européenne pour 500 millions d’Européens. Le gouvernement irlandais devrait analyser les questions brûlantes et les porter devant le Conseil Européen à l’automne. Pendant ce temps, les 7 gouvernements qui doivent encore ratifier le traité devraient continuer en ce sens. Tous les gouvernements européens ont signé le Traité le 13 décembre 2007 à Lisbonne et ils portent tous la responsabilité de s’assurer que la ratification ait lieu dans leur pays- indépendamment de l’issue des ratification dans les autres États. Que le résultat de la ratification en Irlande empêche tous les autres états membres de s’exprimer est contraire aux principes démocratiques.

Si tous les 26 États membres ratifient le traité de Lisbonne, il appartiendra au gouvernement irlandais de faire le choix de ne pas participer ou d’amender ce texte pour la République Irlandaise et par conséquent de présenter le nouveau texte à la population. Après tout, n’était ce pas ce que les Irlandais ayant voté Non demandaient ? Une renégociation ? Cela permettrait au Traité d’entrer en vigueur sans trop de retard. Dans le cas peu probable que l’Irlande rejette le Traité une seconde fois, les 26 devraient appliquer le Traité et laisser l’Irlande d’entrer dans l’inévitable débat « en faisons nous partie ou non ». Ceci aurait de très graves conséquences pour l’Irlande quant à son appartenance à l’UE et pourrait la conduire à un isolement, mais avec une renégociation, il serait peu probable qu’un second rejet ait lieu.

Solution à long terme : Vote majoritaire et Avant-garde européenne

Il devient évident que dans une union à 27 ou dans une potentielle future union à 30 ou davantage, les décisions ne peuvent plus désormais être prises à l’unanimité. Le traité de Lisbonne réduit le principe de l’unanimité et introduit davantage de vote à majorité qualifiée dans davantage de domaines. Mais l’unanimité a besoin d’être mise au rebut et ce plus spécifiquement avec les réformes du traité. L’impossibilité de satisfaire tous les États membres ne fait d’augmenter, et plus l’UE s’élargit, plus l’unanimité devient un obstacle pour l’intégration européenne, empêchant l’UE de se réformer et d’aller de l’avant/ de se projeter en avant. Nous pouvons le constater avec le rejet de la Constitution et maintenant avec le traité de Lisbonne. De plus, il n’y a pas assez de politisation des enjeux au niveau européen et ces derniers sont uniquement débattus dans leurs dimensions nationales - telles fût la discussion sur l’avortement en Irlande lors du référendum sur Lisbonne - quel est le lien exactement ? La réalité cependant est qu’il serait totalement hors des réalités de penser que des pays tels le Royaume Uni, l’Irlande voire la Pologne et le Danemark puissent renoncer à leur droit de veto et d’appliquer avec satisfaction la règle de la majorité qualifiée aux réformes du traité et autres « ambitieux » domaines tels la politique étrangère ou certains aspects de la justice et des affaires intérieures. Aucune solution n’est possible ?

Le premier ministre du Luxembourg -Jean Claude Juncker- a émis l’idée (même s’il s’agit d’un assez vieux débat) d’une Europe à plusieurs vitesse, ou d’une base avant-gardiste européenne composée d’États membres qui sans réserve aucune sur l’intégration politique européenne, la pousserait plus loin- les décisions étant prises à la majorité qualifiée. Cette base serait ouverte à tout état membre, permettant ainsi aux pays de la rejoindre à un autre moment ; non contraint de s’y associer en même temps que le groupe initial de pays.

Une avant-garde permettrait aux pays de s’associer à une union politique plus ambitieuse, seulement si ils se sentent prêts à le faire

En réalité, l’Europe n’a jamais évolué à la même allure - des pays ont pris l’initiative de de s’intégrer dans certaines politiques pendant que d’autres rejetaient cette option, tel que dans le cas de l’Euro ou de Schengen.

Une avant-garde permettrait aux pays de s’associer à une union politique plus ambitieuse, seulement s’ils se sentent prêts à le faire. Généralement, on s’attend à ce que, par nécessité, tous les pays avancent à la même vitesse, et cette idée est souvent contre productive.

Des pays tels que le Royaume-Uni, inconfortable avec l’idée d’une union politique et peut être uniquement intéressé par un partenariat économique plus important, seraient en mesure de s’asseoir dans le « noyau externe » et de permettre à des pays plus ambitieux tels la Belgique, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne d’aller vers des politiques unificatrices. Comme nous avons pu le constater par le passé - tout ce dont nous avons besoin c’est de l’initiative de quelques uns - le reste finira par suivre.

Conclusion

Cet article vise à répondre aux vastes questions entourant la ratification du traité de Lisbonne en Irlande et propose une solution alternative à l’impasse de l’intégration. Le Non Irlandais démontre à quel point l’UE est désormais incapable de progresser et de se réformer dans le cadre des institutions actuelles et des mécanismes de prise de décision. Plus l’UE s’élargit, plus il devient difficile de satisfaire chaque état et plus l’UE est tirée vers le bas.

La réalité est que, dans le cadre communautaire actuel, il est fait en sorte que l’unanimité demeure, et la seule solution efficace face à la stagnation du processus d’intégration, serait la création d’une avant-garde européenne composées d’états membres désirant avancer ensemble, laissant à ceux qui en ont besoin, le temps nécessaire pour s’adapter et peut être obtenir l’assentiment de leurs citoyens. Nous l’avons fait en 1957, pourquoi ne pourrions nous pas le faire 50 ans après ?

Illustration : drapeaux des pays de l’Union européenne. Source : Commission européenne.

Il est précisé que l’opinion exprimée par l’auteur n’engage pas le bureau de la JEF-Europe.

Mots-clés
Vos commentaires
  • Le 10 juillet 2008 à 09:07, par arturh En réponse à : Le Conseil ne trouve aucune solution : l’heure d’une Europe à deux vitesses est-elle venue ?

    Quel aveuglement ! C’est l’UE du déni. La principale raison pour laquelle les irlandais ont voté NON, c’est que ce Traité est totalement illisible. Et l’auteur ne la mentionne même pas !

    Quant à « l’Europe à deux vitesses », ça n’a pas marché plus de deux semaines lors du Congrès de Vienne en 1814. Et pourtant c’était le programme. C’est dire le futur de cette idée. Comme en 1814, une telle politique exploserait en vol dès un début de mise en application.

    Rappelons qu’il n’y a qu’une alternative : l’Europe à 350 millions de citoyens.

  • Le 11 juillet 2008 à 18:24, par Nicolas En réponse à : Le Conseil ne trouve aucune solution : l’heure d’une Europe à deux vitesses est-elle venue ?

    Contrairement au commentaire précéent, je pense que c’est une piste intéressante si l’on veut une Europe à 27 voire à 30...

    Une sorte d’Europe à la carte, avec des fondamentaux, mais laissant le libre choix aux états membres sur certains sujets. Exemple : l’énergie : je ne suis pas sûr que la libéralisation de l’énergie soit une bonne chose pour le consommateur français... rien n’empêchait certains pays de libéraliser leur énergie et d’autres de maintenir le monopole public...

    C’est tout le problème de la construction européenne actuelle qui a une vision « jacobine » de sa mission, au lieu au contraire de se concentrer sur les missions où elle apporte une plus value.

    Mais bon, va comprendre...

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom