Le Mur de Berlin côté russe : une « déconstruction constructive »

, par Aurélien Neu, Tatiana Dmitrieva

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Le Mur de Berlin côté russe : une « déconstruction constructive »

Guerre froide, rideau de fer, mur de Berlin… Dans ce rang des expressions consacrées lorsque l’on évoque la période 1947-1989, on peut constater que le mur de Berlin a l’originalité d’avoir été l’une des seules manifestations visibles du conflit ouvert entre l’Est et l’Ouest.

Ainsi, les Allemands de l’Ouest pouvaient voir au travers de cet énorme mur de béton campé au milieu de la ville, l’ultime expression du clivage opposant le monde capitaliste au monde soviétique. La Guerre Froide était en quelque sorte sous leurs fenêtres. Construit durant l’été 1961 pour endiguer le flot d’émigration des Allemands de l’Est vers l’Ouest, on sait que la chute de ce « Mur de la honte » sera le prélude à l’effondrement de l’URSS. Mais qu’en est-il aujourd’hui de la perception de cet événement en Russie ? Durant le temps des célébrations et autres commémorations à venir, un nouveau mur pourrait-il se dresser entre la satisfaction des Européens et la délicate gestion de cette parenthèse de l’histoire par les mentalités collectives russes ?

Entre construction et déconstruction

On doit d’abord souligner le délicat traitement de cette question au regard de ce qu’il cherche à appréhender : un sentiment, une perception. Vingt années après la chute du mur de Berlin, les deux concepts avancés par Gorbatchev en avril 1985, « glasnost » et « perestroïka », restent considérés comme les éléments moteurs ayant conduit à la fin de l’URSS. Généralement traduit en français par « liberté » pour le premier et « restructuration » pour le second, on oublie souvent de dire qu’ils font d’abord références en russe à un procédé de construction/déconstruction. En un mot, une déconstruction pour la liberté et la construction d’un nouvel espace économique et social au sein des frontières de l’ex-URSS. Cette remarque sémantique nous permet de voir combien l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie en décembre 1999 a coïncidé avec la reconstruction de la « maison Russie ». Mais entre la déconstruction du mur un certain soir de novembre 1989 et le nouveau visage de la Russie « poutinienne », qu’en est-il ?

Bien loin de proposer une généalogie de l’histoire russe au cours des vingt dernières années, on cherchera uniquement à rappeler que la Russie est entrée à partir de l’année 1992 dans une phase de tâtonnement ou d’errement qui a vu son apogée en août 1998 avec une crise financière qui s’est muée en une crise économique. Or si l’on est capable de mesurer quantitativement l’étendue d’une crise, on oublie souvent de calculer ses conséquences qualitatives. Dans le cas de la Russie, une telle crise a été synonyme d’un appauvrissement généralisé de la classe moyenne. Le ressentiment d’une grande partie de la population à l’égard de ses élites s’en est trouvé durablement affecté. Mais doit-on voir dans la seule chute du mur de Berlin le point de départ de ces perturbations politiques, sociales, économiques ? Bien entendu que non. Toutefois, il est indéniable qu’une fois le mur tombé, c’est dans un long tunnel que s’est engouffrée la Russie. Pour s’en extraire, il lui a fallu, il lui faut encore, ou il lui faudra toujours selon les points de vue, repenser des notions aussi élémentaires que l’Etat, le politique ou encore l’économie. Comme l’a brièvement souligné le président Medvedev dans une interview donnée à CNN le 20 septembre 2009, « la Russie est une jeune démocratie ».

Le retour de la Russie

Dans le même temps, on ne compte plus les articles parus il y a un ou deux ans consacrés au retour de la Russie sur la scène internationale. A ce titre, elle reprend aujourd’hui à son compte, par la voix de son ministre des affaires étrangères Serguei Lavrov, une vision « désidéologisée » des relations internationales comme l’avait déjà formulé Gorbatchev en février 1986. La coopération entre les Etats doit être encouragée et leur sécurité garantie. Ce sont là des principes bien éloignés de la politique esltienne à l’oeuvre durant la décennie 1990 qui a été, dans le domaine diplomatique, plutôt isolationniste. Sur le plan intérieur, il convient d’évoquer l’article « Russie en avant » écrit par le président Medvedev en octobre 2009 et qui a trouvé un certain écho dans la presse nationale et internationale. Dans cet article long de deux pages et d’un ton assez vif, le président dresse une sorte d’inventaire des qualités et défaillances de son pays à l’aune du XXIe siècle. Il insiste en particulier sur les limites structurelles de l’économie russe et fait aussi mention de l’héritage soviétique qui a fait de l’Etat dans les mentalités collectives l’unique remède à tous les maux de la société. Le président n’hésite pas non plus à évoquer la persistance d’une sphère sociale encore emprunte de « soviétisme ». La formulation de tels constats il y a encore quelques années aurait certainement nourri bien des oppositions et des critiques dans le pays, signe qu’il existe aujourd’hui en Russie une volonté partagée de construire un lendemain sur les ruines d’un hier, c’est à dire la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique.

Ainsi, on peut retenir que la Russie qui s’apprête à assister indirectement aux célébrations commémorant la chute du Mur présente un tout autre visage que celui qu’elle affichait en novembre 1999. On ne doit pas non plus oublier que l’Union européenne, par son élargissement à l’Est, a aussi changé. Si la frontière entre ce qu’était à cette époque la Communauté Economique Européenne et l’URSS était un mur de plusieurs mètres de haut, elle est aujourd’hui une frontière au tracé reconnu, notamment entre la Pologne et la Fédération de Russie. Gageons qu’il soit de même dans les mentalités collectives de part et d’autre de cette frontière.

Illustration : photographie de Gorbatchev et Reagan, signant le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire à la Maison Blanche de Washington, États-Unis. Source : Wikimedia.

Vos commentaires
  • Le 5 novembre 2009 à 22:29, par Chloé de Berlin En réponse à : Le Mur de Berlin côté russe : une « déconstruction constructive »

    Impossible de passer à coté de cet événement dés que l’on allume la télé, que ce soit sur Arte où sur les chaines on ne parle que de la chute du mur de berlin, il y a d’ailleurs de plus de sites qui y font référence depuis peu comme celui ci sur le http://murdeberlin.fr . Il faut avouer que cet événement a été l’un des plus marquants de ces deux dernières décennies !

  • Le 23 décembre 2009 à 13:10, par D.P. En réponse à : Le Mur de Berlin côté russe : une « déconstruction constructive »

    Pourquoi systématiquement occulter l’existence de deux nouveaux murs dressés par la Russie en Géorgie occupée ? J’ai personnellement été très choqué du manque de commentaires à ce sujet de la part des politiques comme des médias. Fêter la chute du Mur de Berlin était très important en soi, pour rappeler que ce qui semblait impossible il y a 50 ans est devenu réalité en 1989. Mais aussi pour dénoncer que de nos jours se dressent encore de nombreux murs, et que cela se passe aussi en Europe, construits par ceux-là même qui furent présents à Berlin... Que d’hypocrisie et de cynisme de la part de messieurs Poutine et Medvedev, n’est-il pas ? Au moment où ils fêtent le 20ème anniversaire de l’écroulement du mur/monde soviétique, ils en construisent un autre, en toute illégalité et en contravention avec nombres de lois et textes internationaux, entre les provinces d’Abkhazie et d’ « Ossétie du Sud » et le reste de la Géorgie, toujours occupée par l’armée russe, aussi en toute illégalité. Pour rappel, confirmé par le Rapport Tagliavini, l’armée russe commet depuis 1992 un nettoyage ethnique dans ces régions en toute impunité.

  • Le 26 décembre 2009 à 12:45, par Fabien Cazenave En réponse à : Le Mur de Berlin côté russe : une « déconstruction constructive »

    Votre commentaire tombe bien car nous allons publier en janvier plusieurs articles sur la Géorgie, un an après.

    De plus, je vous invite à lire cette tribune publiée dans nos colonnes :

    http://www.taurillon.org/20-ans-apres-les-jeunesses-europeennes-se-dressent-contre-les

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