Taurillon : Vous êtes un blogueur intéressé par la vie politique, par le débat public en général. Comment concevez-vous la place des blogues dans le débat public ? Est-ce seulement une affaire de jeunes nés avec un clavier entre les mains, ou peut-on retrouver dans la blogosphère des débats qui soient représentatifs de l’opinion publique ?
Alex Joubert : La place des blogs est primordiale. A l’heure de 20 Minutes, de l’info trash et du zapping, les médias sont contraints, principalement pour des raisons économiques, de réduire la part d’analyse et d’approfondissement dans leur traitement de l’information ; d’ici quelques années ce phénomène aura empiré.Or, la plateforme blog peut permettre à certaines plumes de développer, de commenter, d’analyser l’évènement qui sera uniquement évoqué par une dépêche AFP dans les médias traditionnels payants. Bien sur, une capacité de synthèse et sélection de l’information est nécessaire pour se constituer une blog-liste enrichissante. De plus, il ne s’agit pas d’une affaire nés avec un clavier entre les mains pour reprendre votre expression. Au contraire puisque nombre de commentateurs si ce n’est acteurs de la vie politique tels que Christophe Barbier, Jacques Attali ou Jean-Luc Mélenchon et qui ont tout de même quelques printemps derrière eux ont saisi la formidable opportunité que pouvait constituer pour eux le blog ! De plus, il n’est pas rare que des personnages âgés animent un blog.
Taurillon : Sur votre blogue comme sur de nombreux autres, la frontière entre journalisme et blogage est ténue. Vous-considérez vous comme journaliste ? Le blogueur et sa production sont-ils d’après-vous aussi bien perçus par leurs lecteurs que le journaliste et ses articles ?
Alex Joubert : Tout d’abord, me concernant, il est clair que je n’ai pas même acquis le centième des capacités d’un journaliste. De plus je n’ai aucune expérience du terrain et la conception de mes billets se résumé à une heure passée dans mon bureau. Quand à l’opinion des journalistes sur les blogueurs, je ne pense pas que ces derniers soient bien tenus en considération. Cela dit, n’ayant aucun contact avec des journalistes je m’en tiens à de simples préjugés et articles de journaux.
Taurillon : Dans votre éditorial du 26 septembre 2009 vous faites une profession de foi fédéraliste, affirmant que le système fédéral est le plus juste démocratiquement. Lorsque vous imaginez une Europe fédérale, quels changements majeurs voyez-vous par rapport à l’Europe dans laquelle nous vivons ?
Alex Joubert : Tout d’abord, l’Europe deviendrait, et cela constituerait un changement majeur et historique, non plus une organisation d’état mais un état fédéral. Actuellement, les prérogatives de l’Union sont assez limitées d’autant plus qu’une large majorité de thématiques est soumise à la règle de l’unanimité, même si cette règle archaïque va être marginalisée dans le cadre du traité de Lisbonne. Or, le changement majeur apporté à cette Europe fédérale serait la suppression de la règle de l’unanimité.
Cependant, je sais que la future Europe, qui constituera l’état multinational le plus varié en matière linguistique ne saurait être bati sur des bases solides si il est trop centralisé. C’est dans ce sens que je suis favorable à une Europe des régions. Je suis persuadé que l’Europe fédérale n’a aucun avenir si elle s’avère être un empire multi-national, conception archaïque qui n’a jamais fonctionné dans l’histoire. Regardez l’empire de Charlemagne, de Napoléon, le royaume d’Autriche-Hongrie, l’URSS, la Yougoslavie et la Chine Populaire qui un jour ou l’autre éclatera.
Donc l’Europe devra s’appuyer une identité régionale forte, un sentiment d’appartenance à sa région chez le citoyen. C’est pour cela que les états actuels n’ont pas vocation à être conservés. Les Alsaciens, les Bretons, les Corses, les Basques, les Savoyards, les Ch’ti partagent beaucoup plus entre eux, que ce soit au niveau lingustique, culturel, culinaire, du mode de vie que les français entre eux. Car que partageons nous ? Le fromage, le vin, le pain, la Tour Eiffel et Napoléon. Pas assez pour impulser un véritable ressentiment national.
Taurillon : Pourquoi parle-t-on si peu de politique européenne, dans les médias traditionnels ou sur internet ?
Alex Joubert : Sans doute parce que les insitutions européennes sont trop complexes, et la répartition des pouvoirs entre les états et l’Union trop abstraite du point de vue des français que les médias peinent à vulgariser l’actualité politique européenne. En outre, les clivages au sein de la scène politique continentale sont peu perceptibles, ce pourquoi de véritables débats supranationaux peinent à s’imposer.
Taurillon : Que pensez-vous de la reconduction de José-Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne ?
Alex Joubert : Je suis partagé. José Manuel Barroso n’a en aucun cas l’autorité, le charisme et l’influence d’un véritable chef de file. Donc de ce point de vue la l’action européenne va continuer à être orientée par le Conseil Européen. Or, dans le cadre d’une future Europe Fédérale, la mission de la Comission correspondra à celle allouée aux gouvernements nationaux actuels. Et avec José Manuel Barroso à sa tête, la commission européenne se tiendra à la fonction technicienne qui lui est allouée. De plus, ce dernier est favorable à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Or, en vue de l’europe fédérale régionale que je défends dans votre troisième question, cette perspective n’est pas vraiment réjouissante car comme je le rappelle, l’état européen ne pourra contenir en son sein des divergences culturelles trop importantes tel qu’entre la Turquie et un pays nordique par exemple ! La nomination de José Manuel Barroso à la présidence de la commission européenne est donc un coup bas porté aux fédéralistes.
Cependant, grâce au Traité de Lisbonne qui je l’espère sera très rapidement mis en application, l’UE pourra se doter, aux côtés du technicien Barroso, d’un président permanent du conseil européen, qui saura imposer son leadership. Un homme tel que Tony Blair...ou Nicolas Sarkozy. Qui sait, le président pourrait bien décider de quitter l’Elysée dès 2012...
1. Le 25 octobre 2009 à 06:44, par Alex Joubert En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Merci beaucoup pour m’avoir permis ainsi de m’exprimer, je tiens cependant à vous signaler une coquille dans la question relative aux Etats-Unis d’Europe, ci-dessous :
Taurillon : Dans votre éditorial du 26 septembre 2009 (il sera ici en lien, une fois l’itw publiée) vous faites une profession de foi fédéraliste, affirmant que le système fédéral est le plus juste démocratiquement. Lorsque vous imaginez une Europe fédérale, quels changements majeurs voyez-vous par rapport à l’Europe dans laquelle nous vivons ?
2. Le 26 octobre 2009 à 13:18, par Otton Wann En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Bonjour !
Pour compléter, voici tout de même quelques questions.
Le fédéralisme a plusieurs sens. L’État fédéral ou la fédération, ou encore la Fédération. L’Europe comme une union d’États sans instance fédérale, ou avec ?...
Si vous pouviez inviter cinq intellectuels françaises pour donner leurs visions de l’Europe, qui choisiriez-vous ?
3. Le 26 octobre 2009 à 18:39, par Antilope En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Alex vous semblez, après la mauvaise nouvelle que représente la reconduction de Barroso, quelque peu rassuré par la perspective de la nomination à la tête du Conseil européen d’un homme ou d’une femme sachant imposer son leadership, perspective que permettent d’envisager les dispositions du Traité de Lisbonne.
Comme vous, je souhaitais également quelqu’un de charismatique, qui évoque l’Europe à n’importe quel citoyen ou pays dans le monde et soit l’interlocuteur numéro en cas d’affaire à traiter avec les 27.
La lecture d’un article de Jean Quatremer m’a cependant fait changer d’avis (voir ici : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/10/conseil-européen-comment-blair-a-fait-pschiiiiiiiiit.html) Le journaliste de Libération montre qu’au contraire, pour des personnes attachées comme nous au processus d’intégration des politiques européennes, c’est plutôt quelqu’un d’effacé qu’il faudrait placer à la tête du Conseil européen.
C’est là qu’il faut se rappeler que le Conseil européen est un organe intergouvernemental censé représenter la volonté des Etats, tandis que la Commission doit selon les textes représenter l’intérêt général (supranational) et le Parlement celui des citoyens.
Voilà pourquoi certains petits Etats, attachés au fédéralisme, ont montré leur soutien au discret Balkenende tandis que la France a d’abord soutenu Blair, dont la personnalité serait capable d’écraser un Barroso déjà peu enclin à s’imposer face aux Etats. Cela entérinerait ainsi le processus entamé sous Barroso I et par lequel la Commission est en train de devenir la chambre d’enregistrement des Etats-nations.
Ainsi, comme Jean le dit, « c’est une certaine vision de l’Europe qui se joue » en ce moment (puisque maintenant c’est sûr le traité entrera en vigueur, Mr Klaus venant d’obtenir de la présidence suédoise un opting-out par rapport à la Charte des droits fondamentaux).
Je ne serai en revanche pas du tout opposée à la nomination d’un vrai leader au poste de « Ministre des Affaires étrangères européennes » créé par Lisbonne : celui-ci fusionnera le poste de Haut Représentant à la PESC détenu aujourd’hui Javier Solana et la DG des relations extérieures, et sera le vice-président de la Commission.
A mon avis, c’est à ce poste-là que l’on peut compenser le manque de volontarisme de Barroso avec un plus grand bénéfice pour l’Europe que nous défendons.
4. Le 26 octobre 2009 à 22:19, par Florent Beck En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Bonjour, tout d’abord merci pour cette interview intéressante.
Je voudrais réagir à l’idée développée dans la réponse à la troisième question. Vous exprimez l’importance qu’il faudra, selon vous, concéder aux régions, auxquelles il est plus facile de s’identifier qu’à un État, souvent trop vaste, contenant trop de facettes. Cette analyse de l’identification aux régions me semble tout à fait pertinente. Et du coup, croyez vous, ou imaginez vous, que dans l’hypothèse d’un état européen, les états actuels puissent être amené si ce n’est à disparaître, au moins à s’effacer pour ne devenir qu’un échelon d’administration intermédiaire entre des régions plus fortes et un gouvernement (fédéral ?) européen ?
Autrement formulé : Que deviendraient les Länder allemands (par exemple) en cas de fédération des états européens ? En France il y a une loi, valable partout, mais en Allemagne et il me semble dans (de nombreux ?) autres pays européens, il y a (au moins) deux niveaux de législation. Qu’adviendrait-il alors de ces différents niveaux de législation. Est-il envisageable de les conserver ou bien devrait-on « faire sauter » un niveau ? Est-il envisageable de « faire sauter » les législations nationales actuelles pour ne plus avoir que des compétences ou régionales, ou européennes ?
5. Le 27 octobre 2009 à 07:19, par Valéry En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Je ne trouve pas le lien pour laisser un commentaire sur ce blog... Si il n’y a pas de commentaires, ce n’est pas vraiment un blog.
6. Le 27 octobre 2009 à 08:47, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Je vous invite sur ces questions à consulter cette série d’articles publiés sur ces sujets : La pensée fédéraliste et la construction européenne.
7. Le 27 octobre 2009 à 11:21, par Alex Joubert En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Oui, on est d’accord, c’est intéressant. Mais dans ce cas la on a besoin d’un président de la commission imposant. Donc pas Barroso... En revanche, le ministre des Affaires Etrangères n’aura pas sous sa coupe un organisme tel que la Commission qui possède
8. Le 27 octobre 2009 à 11:25, par Alex Joubert En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Les régions et le gouvernement fédéral seraient les deux échelons phares de ces Etats-Unis d’Europe. Pas question en revanche de supprimer l’échelon national : il s’agira d’un rassemblement de toutes les régions qui composaient l’état auparavant et qui pourraient entamer une coopération.
Quand à l’Allemagne, sachant que les lois fédérales s’appliquent directement à tous les Landers qui doivent l’inclure dans leur arsenal législatif, la question ne se pose pas.
9. Le 27 octobre 2009 à 11:26, par Alex Joubert En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
Effectivement, j’ai du faire une fausse manip, merci de me l’avoir signalé, les commentaires sont à nouveau disponibles.
10. Le 27 octobre 2009 à 21:47, par Florent Beck En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
J’aime bien pousser la réflexion un peu loin et me poser des questions de manière un peu prématurée mais je trouve ça passionnant, alors :
Croyez vous qu’il puisse s’opérer un redécoupage régional qui aboutirait à la formation de régions supra-étatiques composées de tout ou partie de régions appartenant à des états différents ? Par exemple, pourrait-on imaginer une région européenne alsace-badewürtemberg ?
Je pense que dans l’état actuel, il doit y avoir des problèmes de gestion du à cette configuration poly-étatique. Le fait de créer un gouvernement européen ne permettrait-il pas de réaménager les entités administratives afin de mieux répondre à certain problèmes de gestion et/ou d’aménagement du territoire ou encore à des problèmes de gestion des ressources et/ou des risques naturels ? Il existe certes des coopérations, mais ne serait-il pas plus simple d’avoir une seule entité de gestion plutôt que de devoir toujours faire dans le compromis ou la conciliation ?
Il me semble qu’il doit y avoir en Europe de nombreux cas de régions frontalières qui sont (très) proches de leurs voisines « étrangères », je pense notamment au « dreieck » Pays-Bas, Allemagne, Belgique. Je n’en connais de tête pas d’autres, mais j’imagine que ce genre d’affinité doit bien exister en Europe.
Qu’en pensez vous ?
11. Le 28 octobre 2009 à 15:29, par Manu En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
C’est une vision qui part d’un postulat très « violent » : la disparition des Etats-Nations, dans le droit fil du fédéralisme d’Alexandre Marc et Denis de Rougemont.
C’est intellectuellement sans doute très intéressant, mais à mon sens assez détaché de la réalité de l’Europe, où la nation reste - qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite - un cadre privilégié d’identification. Et rien ne serait pire que de combattre cet état de fait ; en réalité les nations ont cette désagréable tendance à se renforcer lorsqu’on essaie de les ignorer ou de les combattre. Mieux vaut donc y aller plus subtilement, plutôt qu’aussi frontalement, à mon sens.
Ceci dit, s’il devait y avoir des Euro-régions, alors leurs limites devraient être adaptées à des réalités historiques, culturelles ou géographiques.
A cet égard - je le dis étant Alsacien - raccrocher l’Alsace au Bade-Wurtemberg serait aussi contre-productif que de fusionner l’Alsace et la Lorraine comme cela avait un temps envisagé par le comité Balladur.
Un Alsacien a aussi peu à voir avec un riverain du Lac de Constance, ou même de Stuttgart qu’avec un Nancéen... En fait, l’espace de vie naturel se situe immédiatement autour du Rhin, entre les Vosges et la Forêt-Noire.
La prise en compte de la réalité culturelle et géographique serait alors de créer une région du Rhin Supérieur (qui d’ailleurs existe déjà : http://www.conference-rhin-sup.org/), regroupant l’Alsace et le seul Pays de Bade (et pas de Wurtemberg !)
Mais une fois encore, celà relève largement du fantasme et ne correspond à aucune réalité. On peut créer des Eurorégions pour la coopération transfrontalière, mais c’est vraiment ignorer le fait national - et coup la nature même de l’Europe - que de croire qu’on pourra se passer des Etats et se contenter de deux niveaux : un européen et un (euro)régional.
12. Le 29 octobre 2009 à 22:22, par Florent Beck En réponse à : Le Nouvel Hebdo : nouveau regard dans la blogosphère europhile
merci beaucoup pour votre réponse !
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