Le SEAE : un nouvel outil pour une politique extérieure européenne « intelligente » et intelligible

, par Matray Marine

Le SEAE : un nouvel outil pour une politique extérieure européenne « intelligente » et intelligible
Catherine Ashton, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Mohamed Morsi, président de l’Egypte © Services audiovisuels de la Commission européenne

En rupture avec l’image assez critique du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) véhiculée par les médias, Pierre Vimont, Secrétaire général exécutif, est revenu, devant les étudiants de Sciences Po Toulouse sur les origines et les objectifs de ce service, dernier-né des organes de l’Union, souvent mal connu des citoyens mais pourtant symbole de la volonté de l’Union de parler d’une voix unique.

Lisbonne et le SEAE : état des lieux et réalisations

Le Service Européen d’Action Extérieure, innovation majeure introduite par le traité de Lisbonne [1], est un service distinct de la Commission et du Conseil des ministres de l’UE, placé sous l’autorité du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (Catherine Ashton). Depuis sa mise en œuvre en 2011, le SEAE a été soumis à de nombreuses critiques de la part des médias. Celles-ci sont en réalité l’illustration du défi inhérent au développement d’une politique diplomatique européenne. Pourtant selon Pierre Vimont, ce service a connu des succès nombreux mais méconnus.

La création du SEAE a du faire face à une contradiction fondamentale : d’une part, la volonté des citoyens, de certains Etats-membres mais aussi des partenaires internationaux de l’Union, d’une plus grande visibilité et unicité de celle-ci dans ses prises de position sur les évènements internationaux ; d’autre part, le fort attachement de certains Etats-membres à leur souveraineté et à leur voix diplomatique à l’étranger. Loin d’être une supra-diplomatie européenne, terme qui aurait fait grincer des dents certains Etats (dont le Royaume-Uni), le SEAE n’a pas pour vocation de remplacer les chancelleries nationales mais de travailler en coopération avec les services diplomatiques des Etats membres.

Rappelons ainsi que le Haut Représentant pour l’Union, exerce dans le domaine des affaires étrangères, les fonctions qui jusqu’alors incombaient à la présidence tournante semestrielle, au Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et commissaire chargé des relations extérieures. Ainsi la mise en place d’un Haut Représentant unique s’est accompagnée d’un important gain de visibilité et de cohérence vis-à-vis des partenaires étrangers de l’Union qui savent désormais « à quelle porte frapper » dans leurs échanges diplomatiques avec l’UE. Le défi fut de taille puisqu’il s’agissait de mettre les différents acteurs, Conseil et Commission principalement, d’accord mais aussi de leur faire accepter un certain transfert de compétences vers le Haut Représentant de l’Union ; rien d’évident, car dans l’exercice de leurs compétences, les Commissaires bénéficient d’une forte autonomie.

Etats-membres et SEAE : complémentarité et coopération

La politique étrangère est un attribut majeur de la souveraineté nationale à laquelle se montrent viscéralement attachés les Etats membres. Au sein du SEAE se pose donc la question de la conciliation des différentes politiques étrangères nationales. Cependant, selon Pierre Vimont cette tâche s’est avérée plus facile que prévu dans la mesure où les intérêts de chacun (des Etats membres entre eux mais aussi vis-vis du SEAE) bien que souvent différents, se montrent bien plus complémentaires qu’opposés. Malgré les nombreuses critiques adressées à l’UE, la crise libyenne a été un exemple de coopération européenne. En effet après le feu vert du Conseil européen demandé par le Premier Ministre Britannique David Cameron et le Président Français Nicolas Sarkozy pour le lancement de l’opération, les Européens se sont montrés très unis dans la répartition des tâches. De même, dès le début de la crise syrienne qui s’est accompagnée de la fermeture de plusieurs ambassades européennes, certaines délégations sont restées ouvertes et ont accueilli des représentants des ambassades fermées afin de pouvoir maintenir une présence et un contact sur le terrain. Se mettent donc en place de manière spontanée des modalités de coopération et de travail en commun, non prévu par les traités, mais qui permettent à chaque Etat de travailler.

Le SEAE : « courtier » européen et promoteur d’une vision d’ensemble

Le Traité de Lisbonne a réellement constitué une innovation dans la mesure où il place le SEAE en position d’intermédiaire entre la Commission, garante des intérêts de la Communauté, et le Conseil, représentant des intérêts étatiques de ses membres. En tant que « remplaçante » du Haut Représentant pour la PESC (poste jusqu’alors occupé par Javier Solana), Catherine Ashton exerce des activités relevant du Conseil, tout en étant vice-présidente présidente de la Commission. Réciproquement, elle défend les propositions de la Commission tout en présidant le Conseil « Affaires étrangères ». Pourtant cette position de « courtier » s’avère être un atout, soulève Pierre Vimont. Cette ambivalence et cette unicité statutaire lui offrent une vue d’ensemble considérable.

Le succès des délégations de l’Union à l’étranger

Les délégations de la Commission sont devenues les délégations de l’Union européenne, placées sous l’autorité du Haut Représentant et parties au SEAE. Ces délégations ont eu un véritable succès auprès des partenaires internationaux mais aussi, de manière plus inattendue, auprès des ambassades des Etats membres. Dans une interview publiée le 28 janvier 2010 dans le Figaro, Catherine Ashton rappelait ainsi qu’ « il ne s’agit pas de doublonner ou de reproduire ce que les États membres font déjà très bien. Il s’agit de voir où l’Europe peut apporter une valeur ajoutée, à vingt-sept pays ». A l’heure actuelle, le réseau de représentation de l’UE (plus de 130 délégations et représentations de l’Union européenne dans toutes les régions du monde) constitue les yeux, les oreilles et la voix de l’Union européenne dans leur pays d’accueil.

Vers un premier bilan du SEAE : le rapport d’étape de 2013

Juillet 2013 marquera un rendez-vous important pour le SEAE puisqu’il s’agira de faire un premier bilan et état des lieux du service. Ce rapport suscite déjà beaucoup d’intérêt de la part des institutions européennes mais aussi des Etats membres, qui travaillent à la formulation de propositions et/ou de projets. Au moins deux pistes de réflexion seraient à explorer selon Pierre Vimont.

Dans un premier temps, les questions de la structure et de l’organisation du SEAE devraient être discutées, notamment au sujet de sa dépendance vis-à-vis de la gestion du budget mais aussi du recrutement. Un des défis majeurs de cet organe réside dans son recrutement parmi les fonctionnaires de la Commission, du Conseil et des fonctionnaires nationaux. Ces fonctionnaires restent traditionnellement très attachés à leur culture institutionnelle propre et continuent, au sein du SEAE, d’appliquer certains raisonnements propres à chaque institution. Le SEAE doit encore créer sa propre identité organisationnelle et s’imposer en tant qu’organe européen à part entière, sui generis. Enfin, il serait nécessaire de discuter de l’ambition que les Etats membres veulent donner à ce service. Plus généralement, il s’agit de s’interroger sur le rôle et l’aspiration de la « diplomatie européenne ».

L’enjeu est ainsi de savoir si nous continuerons à nous cacher derrière des euphémismes tels que « relations extérieures », « représentant » pour désigner un service qui relève pourtant de par ses actions, d’un embryon de « diplomatie européenne », n’en déplaise à certains de nos concitoyens, notamment britanniques.

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[1Sur la base légale voir

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