Le chantier de la coordination économique européenne

, par Laurent Nicolas

Le chantier de la coordination économique européenne

BCE, Eurogroupe, Etats : comment coordonner une politique monétaire et 27 politiques économiques ?

Comme les autres grandes banques centrales, la BCE est compétente pour fixer les taux directeurs et donc contrôler les liquidités en circulation dans la zone euro. Par rapport à la Federal Reserve qui poursuit le double objectif de lutte contre l’inflation et de soutien à la croissance, la BCE a pris au pied de la lettre l’article 105 du Traité de Maastricht faisant de la stabilité des prix sa priorité absolue.

S’il lui reste un peu de temps, et si ça ne l’empêche pas de lutter contre l’inflation, on peut lire à l’article 105 du même traité que la BCE « apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté », que sont le développement durable des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, ou la protection de l’environnement [1].

Le flou sur les opérations de change

Pour tout ce qui concerne les opérations de change, d’après les traités, c’est l’ECOFIN, après consultation de la BCE, qui est censé s’en charger. Ce qu’on appelle les opérations de change, c’est le fait d’acheter ou de vendre des devises (par exemple, acheter de l’euro). C’est autrement dit l’intervention sur le marché des devises, dans le but de faire s’apprécier ou se déprécier sa monnaie en fonction des objectifs que l’on se fixe (par exemple acheter de l’euro pour faire monter sa valeur). Ces opérations de change nécessitent une prise de décision politique.

On a reproché aux Etats-Unis d’agir sur le marché des devises, plus ou moins ouvertement, afin de maintenir le dollar volontairement bas face à l’euro. Ces opérations de change sont un détournement du système de changes flottants, mais elles permettent aux autorités politiques de défendre leur monnaie si celle-ci est attaquée, c’est à dire si une vente ou un achat massif et volontaire de la devise est orchestré par d’autres organisations financières dans le but d’influencer le taux de change.

Officiellement, nous l’avons évoqué, c’est le Conseil qui doit décider de réaliser ces opérations de change lorsque cela est nécessaire. Mais dans les faits, l’Ecofin ne s’est jamais emparé de cette compétence. Les raisons de ce vide sont essentiellement politiques : il est beaucoup plus difficile de définir des opérations de change lorsqu’il faut mettre d’accord l’ensemble des Etats de la zone euro, qui font face à des situations nationales différentes.

La BCE ayant, tout comme la nature, horreur du vide, elle s’est donc proclamée responsable des opérations de change. On peut lire sur le site de la BCE qu’ « en l’absence d’accords formels ou d’orientations générales, l’Eurosystème (la BCE ndlr.) peut décider, le cas échéant, de procéder à des interventions de change soit de sa propre initiative (intervention unilatérale), soit dans un cadre coordonné impliquant d’autres banques centrales (intervention concertée). ».

La situation pourrait être satisfaisante si la BCE remplissait effectivement son rôle. Or on a pu observer qu’entre 2002 et 2007, alors que l’euro s’appréciait dangereusement, le directoire de la BCE ne souhaitait ni intervenir sur les marchés des devises pour contenir la hausse du taux de change, ni d’ailleurs jouer sur les taux d’intérêts. À chaque fois Trichet a mis en avant l’objectif unique de stabilité des prix pour justifier cette non intervention.

Deux logiques distinctes de la gouvernance économique européenne

C’est à cette occasion que certains responsables nationaux, dont Nicolas Sarkozy, ont vivement critiqué ce qu’ils jugeaient être une preuve d’autarcie de la BCE face à un euro trop fort qui freinait, selon eux, les exportations et la croissance. A posteriori, la ligne de la BCE et de son président, Jean Claude Trichet, apparaît difficilement critiquable. De nombreux analystes s’accordent pour dire que la BCE a eu un temps d’avance dans la perception de la crise financière et que sa gestion de la crise des liquidités a été appropriée et, pour une fois, réactive. Elle a en effet ramené ses taux directeurs à 2,50, soit une baisse de 0,75 point, jeudi 4 décembre. Cette baisse est réellement spectaculaire de la part de la BCE qui, lorsqu’elle ose toucher aux taux directeurs, ne le fait généralement que dans des marges de 0,25 point.

Mais dans les derniers mois de la crise financière, entre septembre et novembre 2008, on a pu une fois de plus observer qu’il y a véritablement deux pôles bien distincts dans la gouvernance économique de la zone euro, deux rythmes de l’action, deux logiques différentes, qui ne communiquent pas ou pas assez et qui entretiennent le flou sur les orientations de la zone euro.

Les politiques économiques nationales : une coordination en chantier

Face à la BCE, l’Eurogroupe. L’Eurogroupe est une structure ad-hoc, qui n’apparaît pas dans les traités, et qui réunit les ministres de l’économie et des finances des pays de la zone euro. L’Eurogroupe se réunit généralement la veille de la rencontre mensuelle de l’Ecofin, qui regroupe lui tous les ministres de l’économie et des finances de l’Union. L’Eurogroupe discute les positions que les pays de la zone euro vont soumettre au vote lors de la réunion de l’Ecofin. C’est en fait un moyen d’alléger l’ordre du jour de la réunion du Conseil, et de traiter plus efficacement, car avec moins de participants, des problèmes qui ne concernent que les pays de la zone euro.

Mais Eurogroupe ou Ecofin, le problème de fond reste le même : la coordination des politiques économiques nationales est beaucoup trop aléatoire, et ce même en ce qui concerne la politique budgétaire et les déficits publics. Or, la coordination des politiques économiques est considérée comme un enjeu d’intérêt commun, c’est en tout cas ce qu’affirme l’article 99 du traité de Maastricht.

Les GOPE, de simples recommandations

Les Etats européens sont censés se conformer à des « GOPE », des Grandes Orientations de Politique Economique, prévues par Maastricht. Les GOPE sont votées à la majorité qualifiée par l’Ecofin, mais ne sont pas contraignantes ; ce sont de simples recommandations. Depuis 2003, les GOPE sont déclinées pour chaque Etat membre, afin d’assurer une meilleure surveillance multilatérale de la part du Conseil. Mais n’étant pas contraignantes, les GOPE restent de belles déclarations d’intentions. Pour la France, les GOPE 2003-2005 recommandaient par exemple d’ « affecter tout surcroît de recettes ou tout ralentissement du montant des dépenses à la réduction du déficit » et de « faire en sorte que l’assainissement budgétaire se poursuive après 2005, par une réduction constante du déficit budgétaire corrigé des variations conjoncturelles d’au moins 0,5 % du PIB par an. » . Or depuis 2006 le déficit budgétaire augmente à nouveau, tout comme la dette des administrations publiques [2].

Le Pacte de Stabilité : un cadre, pas une stratégie

L’autre outil qui est censé coordonner les politiques économiques des pays de la zone euro c’est le pacte de stabilité. On a beaucoup commenté le pacte de stabilité, disant notamment qu’il produisait des effets contra-cycliques, limitant la croissance lorsque l’activité redémarrait, ou parce qu’il ne forçait pas les Etats à constituer des réserves budgétaires en période de croissance pour prévenir les retournements de conjoncture. Ces critiques, pour la plupart, sont fondées, et ont d’ailleurs donné lieu à certains aménagements.

Mais le problème du pacte de stabilité c’est qu’il n’est en rien un outil d’élaboration de la stratégie économique européenne ; il ne permet pas de clarifier les objectifs. Et outre le fait que les sanctions qu’il prévoit ne sont jamais appliquées, il demeure un ensemble de cadres, qui sont parfois des contraintes. Le pacte de stabilité est à l’image du projet européen : incapable d’indiquer une direction.

Un « bon » taux de change pour l’euro ?

Au final il y a donc autant de politiques économiques que d’Etats membres. Si des efforts sont faits pour les inciter à se coordonner, l’absence d’une stratégie claire et précise est criante dans la zone euro. Dans l’attente d’une meilleure coordination des politiques nationales c’est soit la BCE, soit les Etats, chacun de leur côté, qui comblent les vides politiques de la gouvernance économique européenne.

Le taux de change de l’euro ne peut jamais être pleinement satisfaisant pour tous les pays de la zone euro. Pour trouver le « bon » taux de change de l’euro, il est nécessaire d’améliorer la lisibilité des objectifs de la zone euro et de l’Union européenne dans son ensemble, tous les pays de l’Union ayant vocation à adopter la monnaie unique.

Le Traité de Lisbonne, sans résoudre les problèmes de fond, donnerait à l’Eurogroupe, s’il était ratifié par tous les Etats membres, une existence institutionnelle. Ce pourrait être le point de départ de l’affirmation d’une véritable gouvernance économique et budgétaire, qui reprendrait en main les opérations de change et améliorerait le policy-mix européen. Mais sans volonté de rénover le projet européen, les traités peuvent toujours se succéder, rien n’y fera, l’euro restera une monnaie politiquement faible, quelque soit son taux de change.

Illustration :

 Service presse de la Commission européenne : présentation d’un euro-kit à Bruxelles, le 15/12/2001

Notes

[1Les objectifs de la Communauté sont énumérés à l’article 2 du Traité CE, le Traité de Rome mis à jour au fil du temps

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