Le déficit démocratique de l’UE expliqué par de trop faibles partis européens

, par Guido Montani

Le déficit démocratique de l'UE expliqué par de trop faibles partis européens
democracy, par rajosta, certains droits réservés

Dans un Etat démocratique, les partis politiques sont le lien indispensable entre les citoyens et les institutions. Un parti politique recueille les valeurs du peuple et élabore un programme pour les réaliser. Le déficit démocratique actuel de l’UE s’explique en partie par la faiblesse des partis européens.

La construction d’une démocratie supranationale va de pair avec la construction d’un Etat supranational, même si la vitesse des deux processus peut être différente. La CECA et la CEE furent construites sans la mise en oeuvre significative d’institutions européennes démocratiques. Mais, après l’élection directe du Parlement européen, on peut observer une interdépendance plus étroite des deux processus, même si les partis européens n’ont pas joué leur rôle pleinement.

Durant les trente premières années de l’intégration européenne, dans l’Assemblée européenne, les partis européens évoquaient le symbole des valeurs supranationales de leur idéologie, mais seuls les gouvernements nationaux promouvaient la construction européenne. Les partis nationaux étaient habituellement passifs, à l’exception des phases de ratification. L’Europe était considérée comme une question de politique étrangère de leur gouvernement. Après l’élection directe du Parlement européen une certaine amélioration se produisit.

La Passivité du Parlement européen

En vérité, le Parlement européen put exploiter toutes les réformes proposées par les gouvernements pour obtenir davantage de pouvoirs. Mais, le Parlement européen -si l’on exclut le Projet Spinelli de 1984- ne fut jamais capable de prendre une initiative autonome pour une réforme constitutionnelle. L’attitude passive du Parlement européen est difficile à expliquer. Le Parlement européen est le seul représentant légitime des citoyens et dispose de nombreux pouvoirs -s’il veut les exploiter- pour imposer un débat à l’échelle européenne pour des réformes sur lesquelles les citoyens européens sont d’accord, comme une force européenne de réaction rapide et un Plan pour une croissance et un développement durable. Les citoyens ne peuvent pas ne pas penser que le comportement du Parlement européen signifie implicitement une subordination au Conseil.

Le rôle passif du Parlement européen est certainement l’une des causes de son insignifiance dans l’opinion publique et de la faible participation à l’occasion des élections européennes. La critique de Jean-Jacques Rousseau de la démocratie représentative correspond bien au cas européen. « La souveraineté ne peut pas être représentée -écrivit Rousseau dans le Contrat social-... les députés du peuple ne sont pas, et ne pourraient pas être ses représentants... Le peuple anglais croit qu’il est libre ; c’est une grave erreur ; il n’est libre que durant l’élection des membres du Parlement ; dès que les membres sont élus, le peuple est asservi ; il n’est rien ». En effet, les citoyens européens votent pour un Parlement qui ne se bat pas pour affirmer une Europe plus démocratique : après le jour de l’élection, « le peuple européen est asservi ; il n’est rien ». En conséquence, il est facile pour les eurosceptiques de continuer à affirmer que le peuple européen n’existe pas et que le Parlement européen est un gaspillage d’argent public.

L’idéologie de la primauté de la démocratie nationale

Il y a deux causes étroitement liées expliquant le rôle passif des partis politiques : la première, c’est l’idéologie de la primauté de la démocratie nationale sur la démocratie européenne ; la seconde, c’est le manque d’autonomie organisationnelle des partis européens vis à vis des partis nationaux. Pour ce qui concerne la démocratie nationale, il suffit de citer l’affirmation pertinente de Carl Schmitt : « La Révolution française de 1789... a établi la nation française comme un fait historique ; ...une nation modèle un Etat, un Etat intègre une nation » (Verfassungslehre). Il est vrai que la construction de l’Etat- nation et la progression de la démocratie sont deux processus parallèles qui se renforcent. Néanmoins la nation est établie comme « un fait historique », une entité prépolitique, un mythe. Aujourd’hui, les relations de la société civile débordent au-delà des frontières, mais une démocratie supranationale ne peut pas avoir de racines nationales : l’Europe n’est pas une nation. Pour des personnes rétrogrades, c’est un obstacle insurmontable.

La plupart des leaders politiques préfère se battre pour un pouvoir national au lieu de se battre pour un siège au Parlement européen, où ils peuvent aiguillonner la démocratie européenne. Ce comportement montre qu’ils croient que l’avenir de leur peuple national dépend davantage de la survie de la souveraineté nationale que de l’UE en tant qu’union politique des peuples nationaux qui gère leurs souverainetés en commun. Les leaders nationaux n’acceptent pas de donner plus de pouvoirs à l’UE, particulièrement dans les domaines de la politique étrangère et de la politique budgétaire. Chacun d’eux préfère être l’un des 27 leaders d’une Europe faible et désunie plutôt que d’être l’architecte d’une Europe unie et forte. L’autre aspect de la suprématie de la démocratie nationale, c’est la faible, voire parfois inexistante, organisation démocratique des partis européens. Les prétendus congrès européens ne sont rien de plus que les anciens meetings internationaux avec un nom nouveau.

Le manque d’autonomie organisationnelle des partis européens

Habituellement, seuls les leaders nationaux y parlent parce que les troupes européennes n’existent pas. Le véritable débat politique se passe au sein des congrès des partis nationaux où l’Europe est considérée comme un sujet de politique étrangère. Ce sont uniquement les congrès des partis nationaux qui élisent les leaders et décident d’une ligne politique. Dans les congrès européens, les leaders nationaux négocient un compromis entre plusieurs programmes nationaux et, naturellement, le programme européen est le plus petit dénominateur commun. L’inexistence d’une réelle vie de parti démocratique européen a plusieurs effets négatifs : les citoyens ordinaires ne connaissent pas l’existence de leur propre parti européen et les décisions prises au niveau européen sont pratiquement sans effet sur les partis nationaux. Les vicissitudes de la Constitution européenne sont un bon exemple. Une grande majorité du Parlement européen -y compris le Parti socialiste- a invité les citoyens européens et les parlements nationaux à ratifier la Constitution.

Mais, en France, une fraction du Parti socialiste, contestant la décision du Parti européen, décida de lancer une campagne pour rejeter le projet à l’occasion du référendum national (disons que ce comportement a été rendu possible en raison de la mauvaise procédure de ratification : un référendum européen, approuvé par une double majorité d’Etats et de citoyens aurait rendu impossible d’exploiter les divisions des partis nationaux).

Le nécessaire développement de l’ICE

La construction de la démocratie européenne ne s’oppose pas à la démocratie nationale. Au contraire, aujourd’hui, l’Etat national est si faible qu’il y a de sérieux risques de sécessions dans certains pays et la naissance de partis populistes où un leader est capable de montrer qu’il/elle, avec le soutien direct des citoyens, surmontera l’absence de pouvoir de l’Etat. En vérité, la politique nationale n’est plus l’arêne dans laquelle les citoyens peuvent faire face aux défis mondiaux. C’est pour ces raisons que l’ICE peut élargir, même si c’est progressivement, l’horizon de la politique européenne. L’ICE peut être exploitée de différentes manières :

a) la société civile peut attirer l’attention des partis européens sur des problèmes particuliers, ignorés ou sous-estimés jusqu’à présent ; en vérité , les lobbies économiques sont aujourd’hui plus influents au sein du Parlement européen que les citoyens ;

b) les membres des partis européens qui veulent renforcer l’organisation européenne de leur parti peuvent promouvoir une ICE, en accord avec les organisations de la société civile ;

c) la création d’un réseau d’organisations de la société civile, dans la perspective d’une ou plusieurs ICE, renforcera les troupes européennes des partis politiques et favorisera la transformation de la coalition actuelle de partis nationaux en un véritable parti européen fédéral, basé sur un congrès démocratique et avec des leaders européens.

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Vos commentaires
  • Le 3 novembre 2011 à 12:08, par Robin H-N En réponse à : Le déficit démocratique de l’UE expliqué par de trop faibles partis européens

    Merci pour cet article.

    Pour information et éventuellement pour continuer le débat, un groupe de travail de la Commission Politique (CoPo) des Jeunes Européens - France s’était penché sur le sujet des partis politiques européens l’année dernière.

    Le groupe de travail avait notamment publié l’article suivant : http://www.taurillon.org/Et-si-les-partis-politiques-europeens-ressemblaient-enfin-a-des

    Et le Conseil d’Administration avait adopté à l’unanimité cette résolution faisant office de prise de position des Jeunes Européens - France :

    Proposition de résolution pour une réforme des partis politiques européens

    Alors que l’abstention aux élections européennes atteint un niveau inquiétant, les partis politiques au niveau européen (partis politiques européens) doivent apparaitre comme un acteur pertinent pour construire un véritable espace public européen et renforcer la légitimité démocratique du Parlement européen, dans le but de créer une Europe politique.

    Pour cela, les partis politiques européens, jusqu’ici absents de la vie politique européenne, devraient jouer le rôle de tout parti politique : fédérer des militants, élaborer un programme et une stratégie politique, et présenter leurs propres candidats aux élections européennes.

    Par ailleurs, la réalité est encore très loin des grands principes que les traités formulent à propos des partis politiques européens, censés « contribuer à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union », dans la perspective d’une démocratie représentative européenne (article 10 du Traité sur l’Union Européenne).

    L’UE a donc un rôle à jouer, dans le respect de leur liberté d’association et d’expression, pour amener les partis politiques européens à jouer le rôle qui est le leur.

    Afin de placer les militants au cœur de la vie politique européenne, les Jeunes Européens – France invitent les partis :

     à désigner leur candidat à la présidence de la Commission avant chaque élection européenne, et à impliquer leurs militants afin qu’ils puissent participer directement à cette décision par le biais de primaires internes ou de primaires ouvertes ;

     à organiser la participation systématique des militants aux choix cruciaux que sont ceux de la ligne politique, de leurs représentants et des alliances ;

     à autoriser l’adhésion à un parti politique européen indépendamment de l’adhésion à un parti politique national.

    En outre, les Jeunes Européens-France demandent au Parlement européen et au Conseil des ministres de l’Union européenne :

     de renforcer les partis politiques européens dans la procédure de désignation des candidats présentés aux élections européennes ainsi que dans la participation financière à cette campagne ;

     d’accorder un statut juridique spécifique aux partis politiques européens ;

     de n’assouplir les modalités de financement qu’en faveur des partis politiques européens engagés à présenter un candidat à la présidence de la Commission, comme cela est possible depuis le traité de Maastricht.

    Dépositaires : Robin HUGUENOT-NOEL Iris PASSY Nessim ZNAIEN

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