En 2009, la célébration des vingt ans de l’anniversaire de la chute du mur de Berlin a donné l’occasion de dresser un état des lieux des murs qu’il restait à abattre selon le même scénario, espérait-on, que le défunt mur de Berlin. Il était alors vivement question du « retour des murs » dans les relations internationales contemporaines. La tentation du mur pour un État n’est pourtant pas une caractéristique exclusive de la modernité, les exemples de murs défensifs du passé sont légions comme en témoigne la Muraille de Chine, le Mur d’Hadrien, la Ligne Maginot ou encore le Rideau de fer.
En Europe, le constat est à la multiplication des « murs » contrairement à l’illusion que la chute du mur de Berlin marquerait l’ère d’un « monde sans frontières [1] ». L’ Europe compte encore deux exemples de mur de l’époque de la Guerre Froide comme les Peacelines de Belfast installées entre les quartiers catholiques et protestants et le Mur de Chypre, murs imposant de facto une séparation militaire entre deux populations et ainsi diminuant les contacts et donc les risques de frictions. Les murs contemporains européens (Ceuta et Melilla, le blindage de la mer Méditerranée, le renforcement de la frontière slovaco-ukrainienne ou encore le cas récent de la frontière gréco-turque) relèvent d’une logique politique bien spécifique dont l’enjeu n’est pas la sécurité en tant que question de défense mais bien le marquage du territoire pour mieux contrôler des flux de population jugés menaçants.
Plus que des « murs » : des dispositifs de séparation pour contrôle
Ces dispositifs sécuritaires sont communément réduits à un mur/barrière concret, d’où l’emploi généralisant du terme « mur ». Matériellement, ces dispositifs contemporains prennent la forme d’un « blindage » [2] soit de frontière reconnue (frontière mexico-américaine, frontière gréco-turque), de limite territoriale de fait ou de Territoires contestés (Cisjordanie occupée, Sahara occidental). Se focaliser sur la matérialité de ces blindages serait oublier que leur érection relève d’une politique composée de construction d’infrastructures (barrière, camps de rétention), de mise en place de pratiques de contrôle et de surveillance, de réglementations et de législations sur l’accès à un territoire et enfin de discours et de décisions politiques concernant la sécurisation de ce territoire.
Pourtant le phénomène « mur » n’est pas uniforme. Les murs de séparation les plus fréquents et les plus médiatisés, les cas de blindages de frontière, relèvent d’un sécuritaire civil et militaire : ils sont censés protéger le territoire national du terrorisme, des trafics et de l’immigration clandestine [3]. C’est évidemment la justification des décisions de blindage entre l’Espagne et le Maroc et plus largement dans la mer Méditerranée entre l’Union européenne et l’Afrique. D’autres murs relèvent d’une logique sécuritaire sociale comme dans l’Est de la Slovaquie et en Hongrie, où plusieurs communes ont décidé d’ériger des murs autour des quartiers où ont été relégués les Roms. Là encore, la logique est d’enfermer dehors « ceux qui dérangent » comme dans le cas des Gatedcommunities ou des zones touristiques blindées.
Un constat : la multiplication des « murs » autour et dans l’Union européenne
Les murs physiques européens les plus emblématiques demeurent les doubles clôtures entre Ceuta et Melilla et le Maroc. Le gouvernement espagnol a choisi en 1993 d’enfermer ses enclaves derrière une barrière qu’il n’a eu de cesse depuis de renforcer et de moderniser. Autour d’elles, une double clôture s’étend haute de 3,5 mètres pour l’externe et de 6 mètres pour l’interne surmontées de caméras [4]. Les 8 et 9 juins derniers, 200 migrants ont essayé de franchir de façon « collective » cette frontière pour « rentrer en Europe ».
Ce modèle fait des émules notamment en Grèce où face aux blindages successifs de la Méditerranée les flux migratoires se sont déplacés. A la frontière gréco-turque, le gouvernement grec a entrepris d’ériger une barrière de barbelés longue de 12 kilomètres équipée de caméras thermiques et de capteurs sensoriels. Le projet acté début 2011, inauguré en février 2012 et dont les travaux de terrassement ont commencé début mai devrait coûter 3 millions d’euros, entièrement assumé par le gouvernement grec puisque la Commission européenne a refusé de le financer. Le contexte financier grec actuel laisse planer des doutes quant à la mise en place réelle du dispositif. Depuis octobre 2010, la frontière est plutôt pilotée, à la demande de la Grèce, par Frontex et contrôlée virtuellement.
Les « murs » européens sont en grande partie « immatériels », c’est d’ailleurs le type de surveillance soutenue par la Commission européenne [5]. En octobre 2004, l’Union se dote d’une agence dédiée à la surveillance des frontières extérieures en coordination avec les États membres : Frontex. En 2006, l’agence participe à des opérations d’interception au large des Canaries et de Malte. Depuis, elle mène des actions de surveillance navale en Méditerrannée et aux frontières Est de l’Union européenne via l’installation de caméras. Le Conseil européen de juin 2011 a d’ailleurs augmenté les pouvoirs et les moyens de Frontex. L’U.E. mise également avec l’adoption du programme « Eurosur » en 2008, dont la mise en place devrait être acté par le Parlement dans l’année, sur la virtualisation de la surveillance avec le déploiement de drones et l’application systématique de la biométrie à l’intérieur de l’espace Schengen pour mieux lutter contre les « illégaux ».
Une logique politique partout similaire : « Enfermer dehors les Indésirables »
La mise en place de ces dispositifs relève donc de politiques sécuritaires de séparation pour contrôle avec une stratégie dominante : « enfermer dehors les indésirables [6] ». Dès lors et face à la mise en cause sur le terrain de l’efficacité des dispositifs, la mission défensive sécuritaire affichée, sur laquelle les dirigeants politiques communiquent pour justifier le recours aux blindages, peut être elle-aussi critiquée.
La préoccupation première de ces murs serait donc à chercher en politique intérieure : il ne s’agit pas de lutter contre de nouvelles menaces mais bien de « contrôler un extérieur jugé menaçant pour l’intérieur [7] ». L’enjeu pour la/les sociétés qui s’emmurent est peut-être l’identitaire comme enjeu de politique interne.
Le mur a des effets identitaires qui se manifestent dans les discours le légitimant ancrés autour des thèmes de la réassurance collective et l’identification à un territoire et dans les pratiques quotidiennes de contrôle établissant une hiérarchie entre nationaux et étrangers. En politique intérieure, le Mur est donc un outil puissant pour apaiser et conforter des fantasmes d’invasion migratoire, fantasme exacerbé récemment dans divers pays européens par des leaders politiques dans le cadre de compétition électorale. Le Mur vient ainsi conforter des poussées de xénophobie propres aux sociétés qui s’emmurent car paradoxalement en cherchant à masquer l’Autre, la politique du Mur vient souligner son « indésirabilité ».
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