La notion de projet au cœur de l’identité européenne
La notion de projet est au cœur de l’identité européenne. Le mot vient du latin et reste présent dans la plupart des langues européennes. Étymologiquement, il signifie « se jeter en avant » ; en philosophie, il correspond aussi à la notion de "sortir de soi-même".
Historiquement, les Européens ont passé leur temps à se jeter en avant. L’Europe a été à la découverte du monde (et l’a colonisé). Elle a réussi cela grâce à de grandes innovations qui ont permis à Christophe Colomb de traverser l’Atlantique. La Chine était aussi développée que l’Europe, mais ne s’est pas jetée en avant. Pourquoi ? En partie parce que les Européens étaient mus par une forme de curiosité, par une volonté de se sortir de soi. Et quel lancer cela a été ! S’embarquer sur un bateau pour des mois en espérant accoster de l’autre côté de la Terre. L’Europe s’est projetée autour du monde depuis le XVème siècle. Ceci n’est qu’un exemple, nous pouvons aussi penser à la traduction comme une manière de se sortir de sa culture et de sa langue. Et l’Europe est l’espace où nous avons le plus traduit.
Après les massacres des deux guerres mondiales et après la décolonisation, les Européens ont arrêté de se jeter en avant spatialement, mais ont continué à se jeter en avant dans le temps, c’est-à-dire à se projeter dans le futur en lançant l’intégration européenne.
Chemins d’identification politique
Quand on parle d’identité politique européenne, c’est-à-dire d’identité liée à une communauté politique, les universitaires présentent deux catégories, d’une part une identité pensée comme celle d’une nation, et d’autre part, une identité post-nationale. La première, la plus populiste, énonce que l’identité politique est fondée sur un héritage partagé, sur des contenus culturels et ethniques. Elle dresse des barrières entre l’Europe et l’Autre qui est vu comme une menace. Elle répond aux préoccupations de ceux qui, s’ils ne sont pas les perdants de l’intégration européenne, n’en perçoivent pas les avantages de manière quotidienne et concrète, comme ceux qui prennent l’Eurostar régulièrement.
L’autre catégorie est une conception cosmopolite de l’identité. Elle se concentre sur la citoyenneté politique c’est-à-dire les valeurs et les droits partagés au sein d’une communauté. Elle conçoit une identité maigre dont la substance est limitée ne laissant que peu de place au sentiment émotionnel d’appartenance au groupe. Elle s’adresse surtout aux élites.
Pour surmonter ce manque d’émotions, Jürgen Habermas a développé l’idée de patriotisme constitutionnel. Pour lui, une identité européenne ressentie est nécessaire pour continuer l’intégration, et peut se réaliser grâce à un patriotisme constitutionnel. La substance de ce patriotisme constitutionnel est une liste de droits et de valeurs que nous, Européens, partageons. Pour Habermas, les Européens peuvent ressentir leur appartenance, leur patriotisme grâce à l’attachement à ces droits politiques.
Le problème c’est qu’on ne nourrit pas une famille avec des valeurs. Dans l’Union telle qu’elle est, avec un taux de chômage croissant, la peur de la crise économique, les valeurs ne sont pas suffisantes pour que les individus s’identifient et, du coup, se sentent solidaires avec les autres Européens.
Comment pouvons-nous renforcer l’identité européenne afin de renforcer ce sentiment d’appartenance non seulement pour les élites mais pour tout le monde ?
Un projet politique pour renforcer l’identité européenne
Nous devrions retourner à cette notion de projet. Dans ces temps de crise plus que dans d’autres, nous avons besoin de nous projeter loin de l’orage. Les Européens ont besoin de savoir quel est le projet de l’Union pour pouvoir y adhérer ou non, et donc de s’y identifier. Nous avons besoin de choisir notre destin commun.
Le projet européen doit être relancé. Depuis la Convention sur le Futur de l’Europe (2000) et surtout après les deux référendums de 2005, il semble que l’Union ne sait plus où elle va, que les dirigeants européens n’ont pas de vision pour l’avenir. Par conséquent, il est impossible d’être en opposition ou en accord sur la base d’un projet puisque celui-ci est absent. Comment les Européens peuvent-ils ressentir leur appartenance à un mouvement large et commun en l’absence de tout projet ?
Je me souviens lorsque j’étais enfant et que nous étions sur le point de changer de monnaie. Je me rappelle des peurs de ma grand-mère, mais je me souviens surtout de mon excitation à l’idée de faire partie de ce grand évènement. Après cette nuit, je serais parmi ces millions de gens, passant à l’Euro. J’avais douze ans, je ne connaissais rien à l’Union européenne, mais je sentais que je faisais partie de ce mouvement commun, de ce saut en avant vers une nouvelle expérience. Ceci a été possible parce que quelques dirigeants européens se sont projetés et nous ont projeté vers un destin commun. Ce n’était pas seulement des droits et des valeurs, c’était une réalisation concrète.
Et maintenant ? Nous ne manquons pas seulement d’un projet européen, nous manquons aussi de dirigeants européens pour porter un tel projet. Deux députés européens essaient notamment de restaurer ce projet. Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit proposent un projet concret pour le future de l’Union européenne en définissant ce qu’elle devrait faire et comment. Ils veulent que cette dynamique mène à un référendum européen qui permettrait aux citoyens européens de décider. Le référendum serait le moment constitutionnel au cours duquel nous, Européens et Européennes, pourrions-nous identifier comme faisant partie d’un même projet. Cela peut sembler utopiste, mais pensez-vous que Christophe Colomb semblait réaliste lorsqu’il partit pour l’Inde ?
1. Le 20 décembre 2012 à 22:37, par cachev En réponse à : Les Européens ont besoin d’un projet pour s’identifier à l’Europe
Les Européens montrent, sondages après sondages, qu’ils ont conscience d’un intérêt commun tout en gardant un attachement sentimental fort à l’échelon national voire « régional ». Vouloir faire du « coeur » là où se trouve la raison ne présente que des inconvénients :
– la Nation (ou la région) auront toujours un temps d’avance sur le « sentiment européen ».
– Ce sentiment d’attachement nous a montré, par le passé, qu’il pouvait produire les pires horreurs s’il était dévoyé Aussi, il me semble que, plutôt qu’un drapeau, un hymne, une devise (etc), l’Europe devrait construire le rassemblement de ses citoyens en créant une protection sociale de ceux-ci, maintenant que l’intégration économique était irréversible.. Et c’est là que sont nos valeurs, à mon sens.
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