Les fonds souverains étrangers : opportunité ou menace pour l’Union européenne ?

, par Aurélien Neu, Julien Le Roy

Les fonds souverains étrangers : opportunité ou menace pour l'Union européenne ?

En tant qu’acteurs majeurs du système financier international, l’actualité n’a de cesse de rappeler l’importance prise par les fonds souverains depuis une cinquantaine d’années.

Autrefois diabolisés, ces fonds sont apparus comme de véritables chevaliers blancs au cours de la récente crise des subprimes, sauvant, par leurs injections massives de liquidités, les plus grandes banques américaines, européennes et suisses. Considérés en effet comme un formidable véhicule d’investissement par certains, perçus par d’autres comme des entités nourries d’ambitions géopolitiques, le débat sur les fonds souverains n’a pas fini de susciter des controverses et des inquiétudes. Alors de quoi s’agit-il ?

Selon la définition donnée par le Fond Monétaire International, citée par le rapport d’Arnaud Demarolle sur les fonds souverains, sont fonds souverains les fonds d’investissement qui répondent à trois principaux critères : ils sont possédés ou contrôlés par un gouvernement national, ils gèrent des actifs financiers dans une logique de long terme et leur politique d’investissement vise à atteindre des objectifs macroéconomiques comme la diversification du PIB ou assurer l’épargne intergénérationnelle. Les liquidités qui alimentent ces fonds peuvent être issues du de la rente pétrolière, comme dans le cas du Moyen-Orient, ou d’excédents commerciaux ou budgétaires comme le montre l’exemple des fonds souverains asiatiques. Cette véritable manne de ressources financières a progressivement conféré aux pays détenteurs de ces fonds - lesquels sont principalement des émergents - un outil particulièrement utile dans le cadre de leur processus de développement économique. La structure économique propre à chacun de ces pays amène en effet ces derniers à élaborer des politiques macroéconomiques précises répondant à leurs objectifs particuliers.

De la structure économique, dépendra ainsi l’objectif conféré à tels ou tels fonds. Il apparait évident qu’une Arabie Saoudite à la recherche de diversification économique et de pérennisation des revenus d’hydrocarbure ne confèrera pas les mêmes objectifs à son ou ses fonds qu’une Chine désirant optimiser le rendement de ses réserves de change. En tout état de cause, en gestionnaires avisés, ces pays entendent se prémunir contre les conséquences prévisibles du tarissement de ces ressources, du fait de l’épuisement des gisements de pétrole ou de gaz, ou du renchérissement des coûts de production. Ils recherchent donc des investissements de long terme, porteurs de revenus futurs afin de préserver l’avenir de leurs populations. On estime aujourd’hui que les fonds souverains représentent un volume total de liquidité proche des 3500 milliards de dollars.

Vers un fond souverain européen ?

Véhicule d’investissement, moyen de diversification, les fonds souverains sont aussi le reflet des déséquilibres observés dans les pays occidentaux, qu’il s’agisse des finances publiques ou de la balance commerciale, comme l’a souligné le sénateur Jean Arthuis dans une tribune parue dans le journal les Echos à l’été 2008. En d’autres termes, pour constituer un fond souverain à l’échelle européenne, il serait nécessaire, avant tout, de générer des excédents. Or les pays de l’Union européenne ne disposent que de très faibles réserves en hydrocarbures, à l’exception de la Norvège, et de par leur structure économique, ne parviennent pas à dégager des liquidités issues d’excédents budgétaires ou commerciaux. A court terme, la constitution d’un tel fond paraît par conséquent quelque peu compromise eu égards aux gigantesques déficits publics observés dans la plupart des économies de l’UE. Toutefois, la volonté de l’Allemagne de dynamiser son commerce extérieure – grâce notamment à l’actuelle dévaluation de la monnaie unique – ainsi que de consacrer constitutionnellement l’interdiction de tout déficit public supérieur à 0,35% du PIB à partir de 2016, lui permettra probablement de dégager des excédents de liquidités.

Cela encouragera peut-être les autorités européennes à initier une réflexion, à l’échelle européenne, sur la pertinence de la constitution d’un fond souverain européen garant des intérêts économiques et financiers de la zone. Car un fond souverain européen aurait la vertu de financer et de protéger les entreprises européennes, qu’elles soient des PME ou de grands groupes. La création du Fond Stratégique d’Investissement (FIS) français à l’été 2008 va dans ce sens. Doté de cinq milliards d’euros, le FIS a ainsi pour vocation d’entrer au capital d’entreprises qui disposent d’un potentiel de création de valeur, c’est-à-dire appelées à se développer rapidement en vue d’occuper une position de leader sur des secteurs jugés stratégiques (énergie, défense, transport, communication..) pour l’économie française. Or, le risque est de voir des fonds souverains étrangers remplir cette tâche, ce qui leur permettrait ainsi d’obtenir un pouvoir de décision non négligeable au sein de la gouvernance de ces entreprises. Le récent échec de la compagnie Dubai Ports World dans l’affaire des « ports américains » illustre tout à fait les crispations générées par l’attitude et l’opacité de certains fonds souverains à l’international [1].

L’Union européenne et la protection des secteurs stratégiques

Une note publiée en décembre 2009 par le Centre d’analyse stratégique français a récemment rappelé que la protection des secteurs stratégiques dans l’UE s’apparentait à une « voie étroite ». En effet, si le droit communautaire est intrinsèquement favorable à la libre circulation des capitaux (article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’UE), c’est aux États que revient l’application des mesures dites de protection des intérêts stratégiques, mesures qui sont toutefois censées être compatibles avec le droit communautaire. La Commission européenne n’a ainsi pas donné suite à la proposition d’une norme communautaire qui poserait comme principe la protection des intérêts stratégiques vis-à-vis des investisseurs étrangers. La raison invoquée ? Une telle norme supposerait une identification unanime des secteurs jugés stratégiques. Aussi, faute d’un dispositif commun, c’est aux États que revient la défense et la protection des secteurs qu’ils jugent stratégiques.

Gageons que l’avenir permettra de concilier plus largement les principes du droit communautaire et les impératifs stratégiques portés par les États, en vue de créer un corpus juridique clair et de formuler une doctrine politique européenne à l’encontre à des fonds souverains.

Illustration : photographie de billets et de pièces d’euros. Source : Wikimedia.

Notes

[1Voir le rapport Ramses 2010 de l’Institut Français des Relations Internationales.

Vos commentaires
  • Le 16 novembre 2010 à 10:54, par BG. En réponse à : Les fonds souverains étrangers : opportunité ou menace pour l’Union européenne ?

    Merci à ces auteurs d’être aussi clairs dans ces domaines que d’aucuns rechignent à bien saisir.

    Il faudrait ajouter, pour aller plus loin, que ces portes feuilles pétroliers ou balances commerciales bénéficiaires sont très différents dans leur « essence » même s’ils peuvent produire les mêmes effets semblables.

    Nos pays , pour l’instant habitués à la surconsommation, l’épaisseur du matelas adipeux sur ventre,ne sont pas dans cette cour.

    Un fond souverain généré par un groupe d’entrepreneurs, est bien différent de celui généré par une rente pluridecenale pétrolière ;

    Il y a fort à parier que les seconds seront moins regardant au gaspillage et au jeu de la roulette. D’autre part, l’étroitesse du nombre des bénéficiaires de la manne pétrolière, limite la capacité spirituelle imaginative de ces groupes, sachant que l’intelligence est proportionnelle au nombre. Ils ne sont pas taillés pour aller bien loin.

    On peut penser que le monde asiatique, chinois en particulier, a beaucoup plus de ressources ; Cependant il en est comme de toutes les ressources générées par l’effort, pour durer elles aussi, elles doivent être soumises à,un certain nombre de conditions, ou l’esprit de cupidité est plutôt un point négatif.

    En clair l’intérêt des pouvoirs, fussent-ils financiers, gagnent toujours à générer des idées imaginatives de dépassement dans la recherche des développements ; A ce stade il n’y a de sorti qu’à envisager un développement humain plus audacieux, un monde de la connaissance beaucoup plus large, et vouloir le réaliser.

    Repousser les limites, avec toujours la même devise : « Prendre garde, mais ne pas prendre peur ».

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