Pouvez-vous préciser ce qu’est une fédération pour Michel Mouskhely ?
C’est la notion de souveraineté qui fonde la différence entre confédération et fédération. La confédération repose sur un traité et la fédération sur une charte constitutionnelle. La confédération est une société d’États, la fédération est en plus une société d’individus. Dans la fédération, le droit prime la force.
La fédération est investie des pouvoirs de dimension fédérale que les États fédérés ne sont plus (ou pas) à même d’exercer utilement (défense, politique étrangère, politique économique, etc.). La distribution des pouvoirs se fait selon le principe de subsidiarité : les États fédérés détiennent tous les pouvoirs qui n’ont pas été formellement attribués à l’État fédéral. Ces pouvoirs se rapportent à des affaires de dimension nationale, régionale, cantonale (Suisse)… qu’ils sont parfaitement capables de gérer eux-mêmes (éducation, législation civile et pénale, assistance publique, etc.).
Dans sa préface, Lucio Levi écrit « on peut identifier un aspect historico-social du fédéralisme, qui peut être défini comme une situation dans laquelle le dépassement des divisions entre les classes et les nations est devenue possible ». En quoi ce dépassement est-il plus possible aujourd’hui qu’avant ?
L’école fédéraliste italienne « albertinienne » (du nom de Mario Albertini professeur de philosophie politique à l’Université de Pavie, fondateur de la revue de politique Il Federalista et ancien Président de l’UEF Europe, à laquelle nous nous rattachons, distingue dans sa théorie du fédéralisme trois aspects : l’aspect de valeur (la Paix), l’aspect de structure (les institutions fédérales) et l’aspect historico-social découlant de l’apport du matérialisme historique comme méthode scientifique pour comprendre le cours de l’histoire. L’analyse de ce dernier concept nécessiterait un long développement impossible ici. Nous pourrions le développer dans un autre cadre ; ce sera fait en tout cas à l’occasion, en 2013, de l’édition par Fédérop et Presse fédéraliste du livre de Lucio Levi, Théorie du fédéralisme, actuellement en cours de traduction.
Michel Mouskhely écrit que dans le fédéralisme : « l’équilibre entre l’autorité et la liberté est ainsi réalisé par la conciliation de l’autonomie nationale avec la soumission à un ordre commun ». Pouvez-vous préciser ?
Pour Michel Mouskhely, l’autonomie nationale est conciliée avec la soumission à un ordre commun à travers l’autonomie constitutionnelle des États membres, la superposition des institutions gouvernementales, la participation des États membres à la formation de la volonté de l’Union, la répartition des compétences et l’institution d’une Cour de justice fédérale de caractère arbitral.
En d’autres termes, et en 1948 (un an avant le 1° texte de Mouskhely repris dans l’ouvrage, un autre juriste de renom, le britannique Kenneth C. Wheare, auteur du livre magistral, Le gouvernement fédéral (éd. Oxford University Press, Londres, New York, 1948, pp. 278), qu’il conviendrait de rééditer en français, rappelle que dans une fédération les deux niveaux de gouvernement fédéral et des États fédérés sont tout à la fois « indépendants dans leur sphère d’activité réciproque » et « coordonnés ».
Michel Mouskhely parle de la constitution fédérale en spécifiant qu’elle doit être courte et proposer un « idéal commun ». Quel serait cet idéal commun européen ?
Dans leur projet de Constitution européenne, daté de 1949, le préambule de Michel Mouskhely et Gaston Stefani évoque les principes de la démocratie politique et sociale reposant sur la paix et la justice sociale, dans l’unité de la fédération et la diversité de ses États fédérés. On peut en rester là.
Il spécifie ensuite que si « la Constitution adoptait une certaine logique économique et sociale, elle introduirait dans la fédération des motifs de discorde qui pourraient provoquer des discussions fatales au maintien de l’union ». N’est-ce pas ce à quoi l’on est en train d’assister avec l’affrontement entre austérité et relance ?
Il apparaît effectivement difficile d’imaginer que la Constitution de la Fédération adopte une certaine idéologie économique et sociale au risque de voir s’opposer frontalement les gouvernements des États membres. C’est au gouvernement fédéral, sous le contrôle démocratique du peuple européen qu’incombe de tels choix qui pourront évidemment fluctuer au fil des élections européennes successives. Aujourd’hui devant la difficulté de prendre des décisions au niveau européen, de par la nature confédérale de l’Union, les gouvernants tentent de constitutionnaliser des décisions, comme dans le cas du pacte budgétaire, qui ne devraient pas être de caractère constitutionnel. On aurait très bien pu en rester au Traité de Maastricht. Cette attitude est en fait un aveu d’impuissance dû avant toute à la mauvaise gouvernance de l’Union.
Rappelons, par ailleurs, que Michel Mouskhely était aussi un spécialiste reconnu du droit soviétique. A ce titre, il était certainement très conscient que le fédéralisme véritable (l’URSS se présentant comme un État fédéral) est incompatible avec des régimes à parti unique ou dictatoriaux.
Michel Mouskhely précise plus loin que les États fédérés « garderont leurs armées nationales (…) et continueront d’assurer eux-mêmes leur représentation diplomatique ». Quel intérêt trouve t’il dans le maintien de cette double diplomatie ? Est-ce bien efficace ?
Les deux textes repris dans notre livre datent de l’immédiat après-guerre et de la période de la guerre froide et surtout de la bataille pour ou contre la Communauté européenne de défense. Ces textes semblent manifester en ce domaine (armée / diplomatie) une grande prudence qui n’est plus de mise dans le texte du seul Mouskhely en1964 lorsqu’il écrit que « dans la fédération, les armées d’États sont fondues en une armée unique sous le commandement du gouvernement fédéral. La politique étrangère est également du ressort exclusif de la fédération ».
Pour conclure, Michel Mouskhely écrit que « il faut partir des réalités européennes et adapter le fédéralisme à ces réalités. Car il n’appartient pas à l’Europe de se plier aux exigences du principe fédéraliste mais plutôt au principe fédéraliste de se mouler sur la réalité de l’Europe ». Cela ne veut-il pas dire que la forme du fédéralisme européen reste encore à inventer ?
Michel Mouskhely insiste sur la richesse et la souplesse du principe fédératif qui tient compte de toutes les situations de fait, aussi complexes et délicates qu’elles soient. Nul doute que la Fédération européenne ne prenne une forme adaptée à la forte personnalité et à la longue histoire des États nationaux qui la constitueront. C’est en cela que l’on peut considérer a priori que la Fédération européenne ne sera semblable à aucun système fédéral préexistant.
Elle ne sera, en fait et en outre, qu’un État souverain parmi d’autres ; une étape vers la Fédération mondiale qui seule permettra la pleine réalisation du fédéralisme par le dépassement universel de la logique de la guerre, conséquence de la souveraineté des États, et son remplacement par la logique de la paix perpétuelle et par la suprématie du droit sur la force.
1. Le 21 juin 2012 à 00:02, par Xavier En réponse à : Michel Mouskhely, confédération et fédération : l’antithèse
Très intéressant.
Il ne manque plus qu’à le vulgariser et à le faire comprendre aux Français qui semblent particulièrement ignorant de ce qu’est potentiellement le fédéralisme.
« la suprématie du droit sur la force » J’aurai plutôt dit "la suprématie du droit PAR la force". ^^ Détail.
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