Directeur de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po Paris et spécialisé dans les relations internationales, Zaki Laïdi se penche sur la nature de la puissance européenne et sa place dans le jeu géostratégique.
Décrivant la construction européenne comme un « projet normatif », Zaki Laïdi pose la question fondamentale de sa pertinence dans un ordre mondial pour lequel la fin de la Realpolitik n’a été qu’une illusion éphémère. L’Union européenne peut-elle réellement développer sa puissance normative en étant dépourvue de puissance politique et militaire ?
Or force est de constater que « la prospérité par le marché » n’est plus un moteur d’intégration politique, et que l’embryon de l’Europe de la défense promet une gestation poussive. Cette panne de l’intégration politique se voit singulièrement renforcée par l’élargissement à l’Est, réunification historique qui signifie le découplage entre l’économie et la sécurité militaire, cette dernière relevant de droit, aux yeux des nouveaux entrants, de l’OTAN. Dans le contexte mondial marqué par la réémergence des grands États-nations, Zaki Laïdi expose les enjeux de l’Europe : défendre son « storytelling planétaire » d’un monde interdépendant et normé, sans pour autant négliger la Realpolitik et la force.
L’empire normatif
L’Union européenne se caractérise par sa préférence pour la norme. Celle-ci peut d’abord s’expliquer par la nature même du projet européen, qui se fonde historiquement sur le refus même de la puissance et sur l’ambition d’instituer un système dépassant le traditionnel équilibre entre États. « La coopération entre les nations ne résout rien. Ce qu’il faut chercher, c’est une fusion des intérêts européens et non pas simplement l’équilibre de ces intérêts », disait Jean Monnet . La construction européenne peut se comprendre comme un modèle de décentrement de l’honneur des nations européennes. Elle cherche à contourner le politique par sa judiciarisation. Zaki Laïdi insiste sur cette stratégie d’évitement de la force propre à l’Union européenne. Le refus du rapport Solana de penser en termes d’ennemi est topique.
Mais au-delà, l’Union européenne se construit sur le partage même de la souveraineté étatique, voire de sa dilution, en faisant de la norme supranationale son fondement ontologique. Comment l’Europe pourrait-elle alors se penser et agir en tant qu’acteur étatique dans l’ordre international sans se renier elle-même ?
L’Union européenne se construit sur le partage de la souveraineté étatique
Ainsi Zaki Laïdi qualifie-t-il l’Union européenne de « puissance normative », voire d’« empire normatif ». Mais une puissance, juge-t-il, condamnée à ne pouvoir prétendre au statut de grande puissance tant qu’elle n’assumera pas la garantie ultime de sa propre sécurité. La grande puissance se définit par l’intentionnalité de sa puissance, la propension au conflit et la domination. L’Union européenne, puissance non intentionnelle qui refuse l’asymétrie et professe un discours d’interdépendance, serait, tout au plus, un soft power à prendre au sérieux.
1. Le 30 mars 2009 à 07:00, par Martina Latina En réponse à : Penser la puissance européenne
La démocratie n’est-elle pas la norme ET la force, le gouvernail ET le cap de l’EUROPE, de ce continent qui reçut en même temps que son nom l’énergie nécessaire à sa cohérence politique ?
La VUE LARGE inscrite dans sa dénomination détermine sa vocation à l’innovation, par-delà même les empires qui se sont succédé sur son sol et tout autour : l’EUROPE aura l’occasion de fêter réellement sa mère mythique, la jeune Orientale EUROPE cristallisant la création historique des moyens les plus efficaces pour l’écriture et la navigation, par les prochaines Elections EUROPEENNES qui coïncideront en France avec la fête des mères...
2. Le 30 mars 2009 à 13:46, par Valéry En réponse à : Penser la puissance européenne
Pour mémoire, j’avais rédigé une chronique de la première édition : La Norme sans la Force, de Zaki Laïdi.
3. Le 2 avril 2009 à 23:10, par Titem En réponse à : Penser la puissance européenne
J’ai déjà entendu dire de l’Union européenne qu’elle était d’abord une puissance normative, mais c’était pour lui en faire le reproche. Or comme le dit bien cet article, ce projet normatif est le moyen « d’instituer un système dépassant le traditionnel équilibre entre États ». Si l’on veut s’entendre sur des règles communes, harmoniser nos politiques, nos règlements, nous avons besoin de cet aspect normatif.
Sur la puissance, il est à noter que Barack Obama est en train de négocier la dénucléarisation de l’Europe. Gordon Brown le soutient dans ce projet, ce qui risque d’obliger la France à agir de même. C’est peut-être aussi une occasion de (re)lancer le débat sur l’Europe de la défense, dans la perspective des élections européennes, ce serait pleinement justifié ! Il y aurait même déjà une affiche de campagne toute prête, à consulter ici.
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