Cette réaction doit nous interroger sur ses motivations, porteuses d’enseignements pour une France à l’engagement européen fluctuant : peut-on aimer tout autant l’Europe et son pays ? En France, la vision du renforcement de l’Union européenne est souvent perçue comme menant à une perte de souveraineté, d’identité. Pourtant l’exemple de la Pologne nous montre que : direction supranationale peut aussi signifier pour les citoyens, renforcement de l’identité nationale. Les raisons de cette attitude à la polonaise sont nombreuses : économiques certes, mais aussi historiques, sociologiques, psychologiques… comme souvent en Pologne, les attitudes présentes sont liées aux enseignements du passé.
Une histoire tumultueuse
L’attitude des dirigeants polonais et d’une bonne partie de leur population au sortir de la guerre froide a été de se tourner vers l’UE. Cela ne signifiait pas pour eux renoncer à l’identité profonde de la Pologne : au contraire, cela constituait un « retour au bercail » d’un pays trop longtemps privé de ses racines culturelles. La Pologne se perçoit comme pleinement partie du monde occidental, et se voyait dans les années 1990 comme un élément non seulement légitime mais nécessaire à la construction européenne, en ce qu’elle y amenait des valeurs morales. En échange des fonds structurels et régionaux de l’Union, la Pologne se proposait donc d’y apporter des principes.
Cette vision de la Pologne, comme un élément central de la défense des valeurs européennes, est liée à une très ancienne vision héritée de l’empire romain de la Pologne comme antemurale de la chrétienté. Pays à la limite du limès, la Pologne s’est forgée une image de dernier défenseur de la foi contre les armées « barbares », image réadaptée et renforcée à travers les siècles. Cette perception est un élément profondément inscrit dans le subconscient polonais, et intrinsèquement lié à ces deux derniers siècles.
Alors qu’au XIXe siècle la Pologne est partagée entre la Prusse, la Russie et l’empire des Habsbourgs, son élite intellectuelle s’exil à l’étranger, et en particulier en France d’où s’est développé le romantisme polonais. De là est née une vision de la Pologne comme prisonnière de puissances étrangères certes, mais avant tout culturellement éloignées de la vision polonaise de la gouvernance politique et de la culture. Car dans le même temps que les empires étouffaient dans l’œuf toute expression de la polonité – qui se réfugia de ce fait très souvent dans les églises catholiques, renforçant l’amalgame entre nationalité et religion en Pologne – ces puissances ont stoppé un processus politique qui était né dans la Pologne des siècles précédents.
En effet, l’histoire politique de la Pologne est marquée par un élément original dans le paysage européen : la période des rois élus. Ainsi, pendant plusieurs siècles, la Pologne a développé un système à mi chemin de la monarchie et d’une démocratie censitaire. Les grands seigneurs (Magnats) polonais élisaient à la Sejm (parlement) le roi polonais. Ce qui est révélateur pour notre sujet est que de très nombreuses fois, ce roi n’était pas polonais. Ce fut le cas par exemple en 1573 lorsque le français Henri de Valois fut élu par la Sejm roi de Pologne (sous le nom de Henryk Walezy). Certes, il se hâta de quitter la Pologne par la petite porte deux ans plus tard, lorsque la situation politique en France lui permettait d’espérer y obtenir le trône. N’en demeure pas moins le fait que cet héritage politique est au moins autant inscrit dans l’imaginaire polonais que celui des temps d’occupation (autrichienne, prusse, russe, nazie ou communiste) : cette période des rois élus, qui prend fin avec les partages de la Pologne de la fin du XVIIIe siècle, est considérée comme un « âge d’or » de la civilisation polonaise. L’Europe, vue de Pologne, est donc un garant de rayonnement culturel, avec et peut-être même avant d’être une opportunité économique.
L’adhésion à l’Union européenne signifie une perte d’identité ?
Ces courtes explications à la croisée de l’histoire et de la psychologie permettent de commencer à saisir les raisons pour lesquelles les Polonais, au sortir de la Guerre Froide, n’ont pas considéré l’adhésion à l’UE comme une menace. Tout simplement parce que les Polonais ont réussi à concilier une vision de l’intérêt national avec celle d’une gouvernance étrangère, du moment qu’ils y trouvaient culturellement leur compte.
En France, l’Union européenne est encore trop vue comme une menace à la culture, à l’identité nationale. Mais au contraire du vertige de l’élargissement, l’Union est aussi un moyen de maintenir vivante cette culture européenne faite d’influences nationales croisées et d’histoire partagée. Dans ces temps de crise économique, il convient parfois de se souvenir de l’essentiel : en nous amenant à coopérer les uns avec les autres, en nous poussant à mieux comprendre l’autre, l’Union européenne nous apporte plus que des fonds. Elle nous permet de définir et de comprendre notre identité en tant qu’Europe et dans l’Europe.
1. Le 15 janvier 2012 à 11:09, par gnarf En réponse à : Pourquoi les Polonais aiment-ils l’Europe ?
>>Cette vision de la Pologne, comme un élément central de la défense des valeurs européennes, est liée à une très ancienne vision héritée de l’empire romain de la Pologne comme antemurale de la chrétienté. Pays à la limite du limès, la Pologne s’est forgée une image de dernier défenseur de la foi contre les armées « barbares », image réadaptée et renforcée à travers les siècles.
Le premier souverain du royaume de Pologne s’est converti au christianisme pour ne pas donner au Saint Empire Germanique la legitimite d’annexer la Pologne paienne. Une fois converti, avec un emissaire de Rome installe a demeure, il put lutter contre l’Empire Germanique.
Ca a evolue apres avec les invasions barbares et suedoises, mais au depart, la Pologne est devenue chretienne pour ne pas etre annexee par des conquerants europeens ;) Etonnant non ?
Donc chaque parti politique pioche ce qu’il veut dans l’histoire. Les eurosceptiques se referent a l’empire germanique, aux chevaliers Teutoniques de la bataille de Grunwald, aux partages. Les Europhiles se referent a Sobieski courant sauver Vienne de l’invasion Turque, a la Pologne repoussant les sovietiques en 1920. Il y en a pour tout le monde :)
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