Géopolitique

Quel avenir pour la PESD ? (II)

De grosses lacunes capacitaires...

, par Marie Molinié

Quel avenir pour la PESD ? (II)

Dans ce deuxième article consacré à l’avenir de la PESD, sera abordée la question brûlante des graves lacunes capacitaires de l’actuel dispositif. Et - donc - de la survie de notre base industrielle de technologie et de défense et, ipso facto, du maintien de nos ambitions.

Une volonté de projection extérieure

La PESD a aujourd’hui à son actif plusieurs opérations extérieures. Des missions militaires ou de police, sur le continent européen mais aussi en Afrique et tout récemment en Asie (à Aceh) et au Proche-Orient (entre la bande de Gaza et l’Egypte).

Le premier ’’battle group’’ sera déployé en République Démocratique du Congo, en juin, pour permettre d’assurer le bon déroulement des élections législative et présidentielle. Une force européenne de gendarmerie vient d’être lancée au début de l’année 2006. Toutefois, ces résultats plutôt positifs et encourageants ne sauraient dissimuler une part d’inquiétude quant à l’avenir de la PESD.

L’opération Artémis, menée en Ituri (en RDC), a certes été un succès mais elle n’a duré que trois mois et n’a mobilisé que 700 hommes. Elle a surtout révélé de grosses lacunes en terme de mobilité des troupes, de déployabilité, de communication et de ravitaillement. La ’’nation-cadre’’, la France, a du faire appel à des Antonov ukrainiens pour transporter ses troupes sur place. Qu’en aurait-il été si la mission avait duré plus longtemps, mobilisé plus d’hommes et impliqué plus d’Etats membres ? Cette mission a mis en lumière notre défaillance capacitaire.

Certes, la PESD conduit des opérations extérieures. Certes, elle est pourvue d’institutions en la matière. Mais ce n’est pas parce qu’elle dispose d’un comité militaire et d’un Etat-major de l’UE que l’on peut dire de la PESD que son avenir est assuré. A partir du moment où la PESD se donne comme mission la conduite d’opérations de rétablissement de la paix, il lui est nécessaire d’être dotée de capacités militaires autonomes et surtout efficaces.

Un déficit capacitaire évident

La PESD souffre d’un cruel déficit capacitaire qui, s’il n’est pas comblé, menace à terme la base industrielle de technologie et de défense des Etats membres et donc l’autonomie politique et la souveraineté de ces derniers. La PESD rencontre encore un obstacle de taille à travers la règle de l’unanimité et la logique intergouvernementale qui lui est propre.

Enjeu traditionnel de l’Etat, le domaine de la défense est parfois victime de « souverainite aïgue » or défense de la souveraineté nationale et efficacité de la PESD ne font pas forcément bon ménage. Enfin, le manque de volonté parfois flagrant de la part des Etats membres a des répercutions sur la PESD dans ses rapports avec l’OTAN.

Les missions de l’OTAN sont de plus en plus proches de celles de la PESD. Une forte volonté politique sera nécessaire si l’on ne veut pas voir la PESD disparaître pour cause de concurrence otanienne. La PESD devra faire preuve d’originalité mais aussi - et avant tout - combler son retard par rapport à l’OTAN.

L’avenir de la PESD est compromis pour trois raisons : l’absence de marché européen de la défense, une absence d’engouement réel pour les programmes d’armement en commun, l’absence de travaux communs en matière de recherche et développement dans le domaine de l’armement.

Réorganiser la production des armements

Aujourd’hui en effet, les marchés nationaux des équipements de défenses sont fermés. Alors, doit-on en déduire qu’il n’y a pas de marché européen de la défense ? En effet, les Etats membres, pour faire survivre leurs industries de défense, doivent vendre sur le marché international et y subissent la concurrence directe et féroce des Etats-Unis, qui eux, proposent des équipements de meilleure qualité et nettement moins chers.

Les Etats membres ont largement interprété l’article 296 du Traité d’Amsterdam alors qu’il ne concernait à la base que la production et le commerce d’armes, munitions et matériels de guerre. Ils refusent ou acceptent difficilement de mettre en commun leurs travaux de recherche, ce qui permettrait d’éviter qu’un Etat travaille sur un équipement faisant déjà l’objet de recherche par un autre Etat. Du temps et de l’argent seraient ainsi économisés grâce à la réalisation d’économies d’échelle.

Pour résumer, les équipements européens sont aujourd’hui peu efficaces car relativement vieux (le Transal date des années 60), de moins bonne qualité et plus chers que ceux des Etats-Unis (qui, en plus, bénéficient d’un large panel d’alliances politiques pour les écouler...). Et les programmes d’armement mis en commun sont avant tout pour les Etats membres (règle du juste retour), le moyen de développer chez eux de nouvelles compétences industrielles et de dynamiser leurs industries de défense.

Or, cela a surtout pour effet de ralentir la production de l’équipement en question et de gaspiller temps et argent. En outre, l’absence d’équipements en commun signifie à terme des problèmes d’interopérabilité entre les équipements de défense des Etats membres : ce qui pourrait se révéler problématique lorsqu’une mission impliquera plusieurs Etats membres.

Problèmes politiques, problèmes budgétaires

Tout ceci nous amène à la question suivante. Les Etats souhaitent-ils l’existence de la PESD parce qu’ils croient sincèrement en la nécessité d’une Europe politique forte et efficace, acteur incontournable des relations internationales, ou voient-ils tout simplement en elle le moyen de doter leurs industries de défense de nouvelles compétences industrielles ?

Le sort qu’ils ont réservé aux travaux du groupe d’experts de « l’Organisation de l’Armement de l’Europe Occidentale » sur une éventuelle « Agence européenne de l’armement » laisse encore perplexe. Ils ont en effet convoqué ce groupe pour le dissoudre après qu’il a rendu un rapport n’allant pas dans le sens des intérêts des Etats membres ayant présidé à sa constitution. Sans tenir compte des conclusions de ce groupe, ils n’ont fait que le dissoudre après quatre ans de travail...

Dans le même ordre d’idée, le fait que le budget européen consacré à la défense (60 millions d’euros) soit inférieur au budget affecté à la traduction, le fait qu’alors que depuis la dernière décennie, les dépenses en matière de défense aux Etats-Unis aient augmenté de 28% quand celles de l’UE ont baissé de 2% est également inquiétant. L’argent est rare et mal utilisé. Alors qu’aucun Etat membre ne peut aujourd’hui monter seul une opération, chaque Etat dispose pourtant encore d’un Etat-major, d’une structure de commandement, de structures organisationnelles. Les sommes devraient être allouées plus aux équipements et moins aux personnels.

A cela il convient d’ajouter que tous les Etats membres n’accordent pas la même importance à la PESD. Les aspirations ne sont pas les mêmes entre les anciens et les nouveaux, les petits et les grands, les atlantistes et les autres, les membres permanents du Conseil de sécurité et ceux qui ne le sont pas, ceux qui disposent de leurs propres industries de défense et ceux qui dépendent de l’extérieur pour assurer leur défense.

Et le problème va certainement s’aggraver au fur et à mesure que se poursuivront les élargissements. Dernier obstacle majeur, donc, quant à l’avenir de la PESD : l’actuelle posture concurrentielle de l’OTAN...

- Illustration :

Avion de chasse Dassault Rafale (Sources : Arnaud Gaillard, janvier 2006, wikimedia).

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