Quelle sera la diplomatie du président Obama ?

Interview de Dario Battistella, spécialiste des relations internationales

, par Laurent Nicolas

Quelle sera la diplomatie du président Obama ?

Dario Battistella est enseignant à Sciences-Po Bordeaux, spécialiste des relations internationales. À la veille de l’intronisation de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, son expertise nous guide dans la compréhension de ce que pourra être la diplomatie de la première puissance du monde pendant les prochaines années.

Taurillon : Hilary Clinton, nommée par Obama au poste de Secrétaire d’Etat [1] a dit lors de son audition de confirmation devant le Sénat, que la diplomatie américaine pendant la présidence d’Obama devra être « un mariage de principes et de pragmatisme » [2]. Que sait-on de ces principes ? Y a-t-il, dans l’histoire des démocrates au pouvoir, des indices qui permettent d’y voir plus clair ?

Dario Battistella : Pour ce qui concerne les principes à appliquer aux alliés des Etats-Unis, l’un de ces principes, formulé et pratiqué par Madeleine Albright, c’est le multilatéralisme, la concertation dans le cadre de l’ONU. Pour Bush, la règle était le cavalier seul, et si l’on ne pouvait vraiment pas faire autrement, on tentait la concertation. On peut s’attendre au fonctionnement inverse pendant les prochaines années.

Dans les relations avec les adversaires des Etats-Unis, l’administration Obama devrait davantage tenter de les intégrer plutôt que de les braquer. Ce fut le cas déjà sous la présidence de Bill Clinton avec la Chine, dont le processus d’intégration à l’OMC date de cette époque. Toutefois, en cas d’opposition ou de blocage, il ne faut pas s’attendre à voir les démocrates plus réticents que les républicains à utiliser des moyens plus musclés.

Taurillon : Pendant les deux mandats de G.W Bush, les deux principaux conflits internationaux, l’Afghanistan et l’Irak, se sont réglés par la force, avec les résultats désastreux que l’on connaît sur le terrain comme pour l’image des Etats-Unis dans le monde. Après à ces échecs, la diplomatie américaine peut-elle encore brandir la menace d’une intervention militaire pour peser dans la résolution des conflits internationaux ?

DB : Il ne faudrait pas avoir la naïveté de croire que le recours à la force soit a priori exclu par les démocrates. La force redevient un moyen légitime lorsque la diplomatie ne donne pas satisfaction. La question est celle du seuil : à partir de quand est-il rationnel de recourir à la force ? Face à la Chine, certainement pas. Mais dans le cas de l’Iran, pourquoi pas ?

Il faut également tenir compte de ce qui a changé chez les alliés des Etats-Unis, à commencer par l’Europe. La politique étrangère de Nicolas Sarkozy n’est pas celle de Jacques Chirac. Les déclarations de Bernard Kouchner, se refusant à écarter l’éventualité d’une guerre en Iran, sont révélatrices de ces changements. Le constat vaut également pour l’Allemagne. L’opinion publique reste toujours aussi réticente, c’est évident. Mais les manifestations au Royaume-Uni ou en Espagne en 2003 n’avaient pas empêché ces pays d’envoyer des troupes en Irak.

L’utilisation de la force par l’administration Bush a rencontré tant d’opposition parce qu’elle n’avait pas de raison d’être. Mais si les Etats-Unis se retrouvaient face à une crise internationale objectivement valable, le recours à la force est toujours possible. Tout le problème réside dans le fait que les preuves qui justifient ou réfutent la légitimité d’une intervention militaire relèvent du secret des politiques étrangères. Le cas de la guerre en Irak est l’a encore rappelé.

Taurillon : Hilary Clinton a également affirmé lors de son audition qu’elle entendait renforcer les relations avec l’Allemagne et la France. Pour la nouvelle chef de la diplomatie américaine, ce sont donc toujours les nations qui, en Europe, demeurent les interlocuteurs privilégiés. Mais les Etats-Unis ne gagneraient-t-ils pas plus aujourd’hui à miser sur le renforcement de la diplomatie européenne au lieu de jouer la carte nationale ?

DB : C’est l’éternel problème du « trouble partnership » : les Etats-Unis sont à origine de l’intégration européenne après 1945, et les Européens sont d’une certaine manière à l’origine de l’OTAN, en refusant à l’époque une défense européenne capable de se protéger du communisme. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis étaient une superpuissance incontestée, en état de grâce. Tandis qu’aujourd’hui, sans parler de déclin, des rivaux sérieux émergent, en Inde, en Chine, pour contester ce leadership.

Dans ce contexte, ce qu’a peut être voulu dire Hilary Clinton, c’est qu’il devient nécessaire pour les Etats-Unis de consulter d’autres alliés que les britanniques. Cette consultation a existé par le passé, pendant la guerre froide, lors de la guerre du Vietnam ou plus récemment dans les conflits nés de la dislocation de la Yougoslavie.

Si l’on peut effectivement parler de déclin, et ce sentiment existe parmi les élites américaines, alors oui, les Etats-Unis auraient intérêt à voir s’organiser une « division du travail diplomatique » au sein d’une alliance. De là à savoir si l’Europe serait capable d’imposer son point de vue aux Américains... Sur le dossier du changement climatique, la puissance normative peu jouer. Mais en cas de rapport de force plus sérieux, sur l’Iran par exemple, les normes pèseront peu.

Même dans une alliance, les intérêts nationaux de disparaissent pas. Les Européens sont bien placés pour le savoir. Dans la politique étrangère de la France en Afrique il y a par exemple peu de place pour la concertation européenne.

Taurillon : Dominique Moïsi, chercheur à l’Institut Français des Relations Internationales, qualifiait la vision américaine de l’Europe d’un « léger intérêt dominé par une indifférence croissante ». Que vous inspire cette description ? [3]

DB : L’indifférence croissante des Américains tient au fait qu’ils ont désormais les yeux davantage tournés vers le Pacifique que vers l’Atlantique. Les relations économiques et commerciales avec l’Asie en sont la raison principale. Par ailleurs depuis la fin de la guerre froide, l’Europe n’est plus un problème, alors pourquoi s’y attarder ? Les Américains se concentrent sur les zones du monde où les conflits peuvent surgir, de Gaza à la Mer de Chine.

Taurillon : Les Européens attendent, de la présidence d’Obama, entre autre, un plus grand respect du multilatéralisme. Pensez-vous que le sentiment de destinée manifeste, ce devoir des Etats-Unis à intervenir dans les affaires du monde, est toujours aussi important dans le « psychisme national », pour reprendre la formulation de Dominique Moïsi ?

Ce psychisme national n’est pas une donnée intangible, fixé une fois pour toute. Ce sentiment de devoir pourrait tout à fait se traduire par une volonté de donner l’exemple. L’idée qui domine aux Etats-Unis c’est « Nous sommes différents ». De la naissance de la nation américaine jusqu’à Pearl Harbour, cette différence s’exprimait par l’isolationnisme. Le sentiment de destinée manifeste peut aussi prendre la forme d’un leadership bienveillant comme ce fut le cas vis à vis de l’Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale ou avec la Russie post-89.

Le psychisme national est un élément important, mais les intérêts des élites qui mènent la politique étrangère de la nation, en est un autre. Alors la question se retourne : pourquoi les Etats-Unis sont-ils perçus différemment ? Les élites américaines sont conscientes du relativisme de leur croyance dans la supériorité de leur pays.

Il y a en tout état de cause coexistence des deux directions du questionnement, mais la croyance dans un destin particulier de la nation américaine va évoluer selon des intérêts plus prosaïques. Au final la politique reprend le dessus. La participation d’Hilary Clinton au gouvernement de Barack Obama en est la meilleure preuve.

Illustration : Barack Obama pendant la campagne présidentielle de 2008

source : Le site de campagne de Barack Obama

Notes

[1l’équivalent français du minsitre des affaires étrangères

[2Voir l’article du Monde.fr sur ce sujet

Vos commentaires
  • Le 5 avril 2009 à 10:16, par ségo En réponse à : Quelle sera la diplomatie du président Obama ?

    Article extrêmement intéressant, et d’autant plus pertinent qu’il éclaire des évènements très actuels. Merci au Taurillon

  • Le 7 avril 2009 à 06:18, par Martina Latina En réponse à : Quelle sera la diplomatie du président Obama ?

    L’article datant de plusieurs semaines, posons-nous d’autres questions : et si l’Europe, dont l’unité, voire la jeunesse, ont été soulignées à travers « la tournée » européenne du président Obama, se décidait à avoir une politique internationale plus concertée, une défense plus pacifique, bref une VUE plus LARGE, donc plus digne de sa jeune créatrice EUROPE ?

    Et si l’Union EUROPEENNE rayonnait courageusement son idéal de justice, de paix, en multipliant, en diffusant, en perfectionnant en un mot, ses innovations qui visent toutes à promouvoir la démocratie ?

    Sans doute faut-il pour réaliser ces virtualités aussi prometteuses que d’ores et déjà lumineuses la signature commune d’un traité à bien des égards peu commun - mais d’abord des Elections européennes qui requièrent à la fois une audace et une responsabilité pleinement EUROcitoyennes.

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