Questions sur une future adhésion de l’UE à la Convention Européenne des Droits de l’Homme

, par Jonathan Cotraud

Questions sur une future adhésion de l'UE à la Convention Européenne des Droits de l'Homme

Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH) retrouve le devant de la scène, l’occasion de revenir sur le passé de cette question lancinante, et son incidence sur un hypothétique futur espace paneuropéen des droits de l’homme.

L’idée de l’adhésion n’est pas neuve. Elle était déjà évoquée à la fin des années 1970. Abandonnée puis reprise, elle n’a cessé d’occuper les esprits européens. L’affaire était mal engagée. Saisie de la question, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait jugé qu’un tel changement, d’envergure constitutionnelle, ne pouvait, en l’état actuel du droit, relever de la compétence des Communautés, ni explicitement, ni sur la base de l’article 308 CE.

Un serpent de mer

La Cour craignait en effet l’ampleur d’une telle atteinte à l’autonomie de l’ordre communautaire. Les traités de Maastricht et d’Amsterdam semblaient même sonner le glas de cette adhésion en accordant en leur sein une place centrale aux droits de l’homme, laissant augurer l’élaboration d’un système de protection communautaire autonome, la voie de l’adhésion étant barrée. Il faut replacer ces évolutions dans la perspective de l’époque, celle d’un élargissement de la nouvelle Union aux pays d’Europe centrale et orientale, imposant une exigence accrue en matière de respect des droits de l’homme, et d’un approfondissement de la construction européenne autour des piliers Justice et Affaires intérieures (JAI) et Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC).

La question, trop tardive pour être abordée avec Amsterdam, fut reportée à Nice et cependant, paradoxalement renouvelée par l’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, particulièrement par son article 52 § 3, qui indique que les droits et libertés inscrits dans la Charte étant de même nature que ceux protégés par la Convention, leur sens et leur portée doivent être interprétés comme les mêmes que ceux que leur confère la CESDH, avec les réticences que cela a pu susciter, notamment en Grande-Bretagne, de voir un catalogue étendu de droits, dont certains sociaux, intégrer le droit originaire. Le traité établissant une Constitution pour l’Europe, élaboré et pensé comme un acte symbolique fort par la convention VGE, dans l’euphorie des nouvelles adhésions à venir, allait enfin jusqu’au bout du raisonnement en prévoyant l’adhésion de l’Union européenne à la CESDH à son article 9 § 2.

Aujourd’hui, d’un point de vue textuel, la question semble doublement résolue. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, reprenant les dispositions du défunt Traité constitutionnel, et l’approbation toute récente par la Douma russe du protocole n°14 annexé à la CESDH, qui autorise l’adhésion de l’Union à la Convention, permettent de rendre possible cette intégration.

Une meilleure garantie des droits dans l’Union européenne

Si l’on a pensé, et tenu à faire entrer l’UE dans le système conventionnel de la CESDH, c’est bien qu’elle doit avoir quelque intérêt. Et cette utilité, c’est en faveur de la garantie des droits dans l’ordre communautaire qu’on la trouve. Il s’agit de mettre fin au paradoxe de l’absence de lien de droit entre l’Union et le Conseil de l’Europe, avec pour conséquence que les règles applicables aux Etats ne s’appliquent pas à l’ensemble supranational dont il font partie.

A l’origine, le traité de Rome ne disait rien sur la question des droits de l’homme. En effet, il laissait cette question au Conseil de l’Europe, et à son instrument conventionnel, la CESDH, dont l’ampleur du succès fut inattendue. Cette carence a rapidement posé problème. Contrairement à ce qu’on pensait, la nature économique des Communautés pouvaient malgré tout toucher aux droits fondamentaux. Cette lacune devenait en outre incohérente avec la progression des Communautés vers une union politique.

Elle a de surcroît déstabilisé la construction communautaire, en suscitant une fronde de Cours constitutionnelles nationales, notamment allemande et italienne , qui ont menacé de ne plus donner effet à la primauté du droit communautaire sur le droit national, tant que la protection des droits n’y serait pas mieux garantie. La CJCE a réagi en bâtissant un corpus de principes généraux du droit communautaire, comme élément à part entière de la légalité que doivent respecter les institutions européennes. Plutôt que de réaction et de confrontation, pour être fidèle et non caricatural dans l’appréhension de ce conflit, il faudrait parler d’un dialogue des juges. La CJCE a devancé, et non suivi les Cours constitutionnelles nationales, par une anticipation de leurs demandes .

L’idée d’insérer les droits de l’homme dans l’ordre communautaire est née d’un besoin. Néanmoins, en l’absence d’adhésion à la CESDH, et malgré la Charte des droits fondamentaux, les palliatifs élaborés apparaissent insuffisants au regard de l’attrait que présente une telle innovation.

D’un point de vue symbolique, l’entrée de l’UE illustrerait l’attachement aux valeurs communes de l’identité européenne, au premier rang desquelles figurent les droits de l’homme, avec une volonté affichée de créer une véritable communauté de droit. C’est une logique du « qui peut le plus peut le moins » par l’instauration d’un second rideau de protection.

La protection des droits y gagnerait naturellement en cohérence, en évitant toute velléité concurrentielle ou divergence dommageable entre les deux ordres juridiques, avec l’application de doubles standards, selon le champ dans lequel on se trouve. L’existence de recours individuels devant la CEDH permettrait de compenser l’étroitesse d’accès au prétoire de la CJCE pour les requérants particuliers. C’est surtout du justiciable qu’il faut partir pour s’apercevoir de l’intérêt de l’adhésion, car c’est lui qui se présentera devant la Cour pour faire contrôler la conventionalité du droit de l’Union.

En outre, cela ne ferait qu’entériner le contrôle déjà existant, certes limité, que la Cour européenne des droits de l’homme opère sur les actes de l’Union européenne. Il s’agit d’un contrôle indirect, à l’occasion de l’examen de la compatibilité des mesures nationales de mise en œuvre du droit communautaire avec la Convention. Si l’Etat disposait d’une marge d’appréciation, la Cour se reconnaît compétente. En son absence, elle décline sa compétence, sous réserve que l’ordre communautaire offre une protection équivalente à celle offerte par la CESDH.

De la même manière, la CJCE, même si elle ne s’est jamais considérée comme tenue par la Convention, l’a consacrée comme une source d’inspiration première pour dégager ses propres principes généraux du droit . De plus, il faut éclairer le système de clauses transversales attaché à la Charte : il laisse la possibilité de toujours aller plus loin, et quand la Charte reprend des dispositions de la CESDH, le juge communautaire, lorsqu’il les interprète, doit se référer obligatoirement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, diminuant encore le risque de conflits d’interprétation.

En définitive, l’Union européenne se trouverait placée dans une situation comparable avec celle des Etats, dont la Constitution protège les droits fondamentaux, et qui ont accepté de se soumettre au respect de la Convention et donc, au contrôle de la Cour. Cela pourrait même avoir pour effet d’étendre les compétences de contrôle de la CJCE à des domaines dont elle ne connaît pas actuellement, et ce en vertu de l’article 6 § 1 de la CESDH, notamment le domaine JAI, puisqu’on ne peut plus parler de pilier depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Le champ PESC demeure une bulle d’incompétence de la CJCE, mais la CEDH pourrait en connaître par le biais des mesures d’application. En outre, le contrôle serait complété par l’exception récemment dégagée par la CJCE s’agissant des décisions apportant une restriction aux droits fondamentaux, notamment en matière de lutte contre le terrorisme.

Des aménagements juridiques mineures

L’adhésion impliquerait des bouleversements, plus ou moins importants, de part et d’autre. La première conséquence, et la plus évidente, serait la soumission de l’Union à un autre droit que le sien, un droit qu’elle n’aurait pas élaboré. Et plus encore, elle serait touchée par le contrôle externe que la Cour opèrerait sur elle, tout en tenant compte de la spécificité de cette construction. Il faut ensuite éclaircir la possibilité ou non de recours entre les Etats et l’Union elle-même devant la CEDH, alors même que de tels différends relèvent en principe exclusivement du droit communautaire. Dans le cadre d’un dialogue des juges, un mécanisme dit de « renvoi préjudiciel » entre le juge communautaire et le juge européen pourrait être mis en place aux fins d’interprétation de la CESDH pour assurer l’uniformité des jurisprudences.

La CESDH devrait également s’adapter. Elle n’est actuellement apte qu’à accueillir des Etats, et non des organisations internationales. Un amendement à la Convention (article 46) devrait être prévue pour que l’Union puisse superviser, au sein du Comité des ministres, l’exécution des arrêts de la Cour. Pour les termes présents dans la Convention mais n’ayant de sens que pour un Etat, il convient d’ajouter une clause générale d’interprétation précisant que ces termes s’appliquent de la même manière à l’Union.

D’un point de vue contentieux, l’article 35 de la Convention devra être modifié, dans la mesure où il prévoit que la Cour ne peut statuer après une autre instance internationale de règlement, les voies de recours auprès de la CJCE devant être alors regardées comme des voies de recours internes. En outre, concernant les formations de jugement, le risque est de voir juger des affaires concernant l’Union par des juges d’Etats qui n’en sont pas membres. Il faudra choisir entre formation ad hoc, consacrée au droit communautaire avec des juges provenant d’Etats membres, ou une formation classique, en faisant confiance à l’impartialité des juges, la polémique au sujet d’éventuelles représailles politiques liées aux relations tendues entre l’Union et certains candidats à l’adhésion devant être naturellement écartée. Un mécanisme prévoyant une intervention de l’Union, se joignant à un Etat contre lequel est dirigé un recours, dès lors qu’on soulève une question de droit communautaire, est envisageable. L’Union doit en outre être représentée par un juge, élu, au sein des formations de jugement, comme toutes les parties à la Convention.

Des réticences politiques reportant l’adhésion

En définitive, on trouvera toujours une solution pour les difficultés techniques. De ce point de vue, l’adhésion sera mise à l’épreuve par l’usage. Les relations entre CEDH et CJCE ne devraient pas être plus conflictuelles que celles entre les Etats et l’Union. La difficulté réside de ce fait non au niveau d’une collaboration institutionnelle entre les Cours, mais de réticences étatiques. Ce sont toujours les enjeux politiques, bien plus que juridiques qui entravent le processus. Il apparaît que le lien que créerait l’adhésion entre Union et Conseil de l’Europe est un facteur de survie de ce dernier, en redorant son office et en apportant un regain de contentieux. A l’inverse, la jurisprudence de la CEDH est toujours ressentie comme iconoclaste et mal vécue par les Etats, d’où leur réticence à l’égard de la question de cette adhésion. C’est pourquoi malgré l’intérêt et l’utilité indiscutable que les deux Europes encore dos à dos y trouveraient, voilà une solution qui ne va toujours pas de soi.

Le présent article fait suite à un entretien avec Catherine Gauthier, maître de conférences en droit public à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, le mercredi 9 décembre 2009.

Illustration : Salle du Conseil de l’Europe

Source : Flickr

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