Qui va bouger la Biélorussie ?

, par Aleksandra Tomczak, Dumitru Drumea

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Qui va bouger la Biélorussie ?

Le 18 mars, on va commémorer le second anniversaire de l’occasion perdue pour démocratiser la Biélorussie. M. Loukachenko est président depuis 1994 et la constitution récemment modifiée permet au président de se présenter aux élections autant de fois qu’il voudra. Malgré le fait que la politique étrangère de l’Union européenne (UE) a pris plus de corps et que ses frontières ont été repoussées vers l’Est, la Biélorussie reste toujours une destination à part, où domine « la dernière dictature de l’Europe » à la croisée des mondes russe et européen.

Depuis la sortie de leur premier album en 1994, année où Alexandre Loukachenko a pris le relais Biélorussie, NRM (aka Rêve d’une République Indépendante) a résolument mené une campagne pour la liberté, contre le pouvoir autoritaire du président Loukachenko. Avec 10 albums en 10 ans, NRM est le groupe de rock qui a connu le plus de succès en Biélorussie, continuant de composer des aires dissidentes malgré tous les obstacles et les restrictions que le régime leur a imposés.

En 2007, les leaders - des groupes du rock à moitie interdits ont rencontré le responsable principal du cabinet du président Colonel Aleh Pralaskouski. Il a proposé aux groupes d’autoriser la diffusion de leur musique sur les ondes radio et de faciliter leur accès aux concerts publics. En échange, il leur a demandé de ne plus participer aux concerts organisés par l’opposition. Krama et Neuro Dubel ont accepte et NRM a fait de même.

A l’Est, rien de nouveau

Elu en 1994 avec 80% des voix, Loukachenko a réformé la Constitution de Biélorussie deux ans plus tard et a remplacé le Parlement élu par une assemblée nationale nommée par le président. Depuis, l’OSCE n’a pas cessé de critiquer le pays de ne pas se conformer aux normes des élections démocratiques. En 2004, le président Loukachenko a organisé un référendum qui lui a permis de se présenter aux élections sans limite en termes de nombre de mandats. Avec les vents du changement qui sont passés en Ukraine et en Géorgie et qui ont amené au pouvoir des présidents démocratiquement élus, la communauté internationale espérait voir un tel scénario en Biélorussie. Toutefois, ni le scénario Orange, ni celui des Roses ne s’est réalisé et Loukachenko a remporté les élections de 2006 avec 82% de voix. L’UE et l’OSCE ont condamné la violation des normes démocratiques par les autorités en Biélorussie, mais rien n’a empêché Loukachenko de conserver sa position de « dernier dictateur de l’Europe ».

La Société Civile biélorusse n’a pas de capacité suffisante pour construire une coalition anti-establishment efficace, compte-tenu du fait que les autorités en Biélorussie font tout pour limiter la liberté de la Presse et la liberté d’Association. Selon Reporters Sans Frontières, il n’y a que 15 autres pays où la Presse est moins libre qu’en Biélorussie. Rien qu’en 2004, avant le référendum et les élections, 160 organes de presse écrite ont été fermées. La plupart des ONG qui s’opposent au pouvoir est sévèrement persécutée pour des irrégularités administratives mineures. Plus récemment, le Comité Belarus d’Helsinki, le seul groupe restant qui milite pour les Droits de l’Homme a été fermé pour évasion fiscale.

« La société biélorusse est fermée et contrôlée. Le régime est autoritaire. Il n’y a virtuellement pas de place pour les Droits de l’Homme ». Le rapport des Nations Unies de mars 2005 critique sévèrement la situation politique en Biélorussie. En même temps, les Européens de l’Est s’étonnent de nos questions excitées concernant l’autoritarisme dans leur pays. « La vie n’est pas aussi dure que le font croire les médias » est la réponse la plus courante. Je crois que mes amis de l’Est ont raison – on peut s’habituer a beaucoup de choses. La nouvelle génération a le « confort » supplémentaire de ne pas avoir vécu sous un régime démocratique. La liberté de parole et la reconnaissance des partis d’opposition sont devenus des buts très lointains : nombreux sont ceux qui ont mis une croix sur les reformes démocratiques, tandis qu’une bonne partie en a seulement peut être entendu parler.

Les sociétés contrôlées peuvent créer des habitudes de comportement adaptées à la structure rigide de la vie quotidienne. Un étudiant biélorusse de l’Université de Cardiff avoue que sa langue natale lui manque. Il n’avait qu’un seul cours de biélorusse par semaine. Son frère, ainsi que son oncle se sont fait déjà arrêtés 5 fois pour avoir prononcé le serment dans des lieux publics. Apres tout, arrêter les serments n’est pas si difficile et le biélorusse peut être réservé à la communication en famille. La question est de savoir si on peut accepter que ces normes étranges continuent à exister en Europe moderne, sur notre continent ?

Les vertus de flexibilité et d’adaptabilité sont inacceptables quand les valeurs démocratiques sont en jeu. L’adaptabilité de ceux qui vivent sous un régime autoritaire peut paraître nécessaire. L’adaptabilité du monde extérieur ferait preuve de sa lâcheté

Euro-sentiments de la rue

Ayant une force d’attraction, l’Union Européenne a très peu d’excuses pour maintenir sa position prudente envers le règne de Loukachenko. Les anciens pays communistes et la Biélorussie ont beaucoup en commun ; des politiques sclérosées et une société civile endormie prédominent. Mais en regardant les villes biélorusses on ne voit que des ‘Euro-magasins’, ‘Euro-voitures d’occasion’ et d’autres ‘Euro-enseignes’, qui rayonnent en jaune claire sur un fond bleu. Tout comme les Etats-Unis durant la Guerre Froide, l’Union Européenne est devenue le synonyme du bien-être et de la liberté pour les Européens de l’Est après la chute du mur. L’Union Européenne a une force d’attraction sans utiliser la coercition, mais les querelles permanentes, ainsi que les divisions internes, ne permettent pas au Rêve Européen d’atteindre son potentiel.

La logique de « soft power » est non seulement de promouvoir certaines valeurs et comportements, elle est aussi d’agir en tant que moteur qui pousse vers l’activisme Le professeur Joseph Nye de l’Université d’Harvard est un des plus réputés partisans de la politique qui se fait a travers la culture, les valeurs et les idées. Il distingue trois méthodes pour exercer l’influence : bâtons, « carottes » et « soft power », autrement dit, la capacité d’attraction.

L’UE détient des « carottes » d’une valeur indiscutable pour le peuple biélorusse : les aides financières, la sécurité et la stabilité politique seraient les bénéfices majeurs. Dans la « superpuissance européenne », John McCormick explique qu’en proposant une alternative au pouvoir coercitif des États-Unis, l’UE s’est aussi avéré une ‘soft-power’ efficace. Avec ces points forts, l’UE ne devrait pas tolérer qu’un régime autoritaire en Biélorussie manipule ses citoyens à la porte même de l’Union Européenne.

Euro-Jargon pour alimenter l’espoir ?

Actuellement il n’y a pas de Plan d’Action pour la Biélorussie et le progrès de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) dépend de la bonne volonté des autorités biélorusses de respecter les valeurs démocratiques et l’État de droit. Malheureusement, les autorités ne sont pas enclins à entamer des réformes et Loukachenko continue d’étouffer la société civile.

Dans son « Nouveau message au peuple biélorusse », publié en novembre 2006, la Commission européenne explique les avantages d’une démocratisation de la Biélorussie ainsi que les bien faits potentiels dont les Biélorusses pourraient profiter si la coopération commençait. Le Commissaire européen pour les affaires extérieures Benita Ferrero-Waldner regrette que le Gouvernement de Minsk empêche les citoyens de participer aux avantages d’une Politique Européenne de Voisinage complète. Dans sa lettre au peuple biélorusse, le Commissaire réassure que l’UE va continuer de soutenir les médias indépendants… alors que la majorité des ONG ont été fermées ou ont délocalisé en Pologne. En réalité, l’UE se concentre plutôt sur les « carottes » existantes qui ont déjà prouvé leur inefficacité dans les relations avec Loukachenko et ses séides. La Société Civile devrait être réanimée et protégée pour que le Peuple de Biélorussie puisse contrôler et exercer une pression sur le gouvernement et assurer les droits et les libertés élémentaires. L’instrument de la PEV 2007 – 2010 tente de répondre à ces attentes.

Après le développement économique et social, le soutien à un développement démocratique et a la bonne Gouvernance est le deuxième grand volet de la PEV développée pour la Biélorussie. Avec ce programme, l’UE tentera d’encourager l’échange entre les gens, et de soutenir davantage les ONG dans leur développement interne. Grâce au dévouement de certains pays de l’Europe de l’Est pour cette cause, quelques des nouveaux pays membres peuvent être invites à jouer un rôle très important dans la mise en œuvre du projet. Il s’agit notamment de la Pologne, qui est un des plus grands défenseurs de la Biélorussie et de l’Ukraine et qui accueille sur son territoire de nombreuses ONG persécutées en Biélorussie.

L’efficacité de la nouvelle stratégie n’est pas inscrite dans son dessin technique mais elle va dépendre de l’audace des leaders européens et de leur capacité à dialoguer avec la Russie. Les Américains ont donné aux démocraties populaires la rhétorique de Reagan à la Porte de Brandebourg. L’UE donne aux Biélorusses un document technocratique sur la Politique Européenne de Voisinage qui les inspire très peu. Maintenant que les symboles européens sont mis en retrait, on ne peut même pas leur donner notre drapeau.

La politique de l’Union européenne relève plutôt du management et manque d’inspiration. Hors, la Biélorussie, les Balkans de l’Ouest et l’Ukraine ont besoin de plus que d’une triste administration. Les gens qui vivent de l’autre côté de la frontière européenne veulent plus d’énergie, de motivation et de soutien pour surmonter l’apathie politique, la passivité et l’isolation. Les encouragements financiers de la part de l’UE se montrent insuffisants pour faire craquer l’entêtement des gens au pouvoir.

Quelle carotte… ou le modèle russe des 4 libertés

Les autorités biélorusses ne se pressent pas d’avaler la « carotte » européenne, malgré le « cri européen » venant de la rue. Loukachenko essaie de construire à la place une « politique multi – dimensionnelle » qui combine son indisposition européenne et ses aspirations russes. En avril 2005, la Russie et la Biélorussie ont signé un programme commun sur la politique étrangère, qui devrait rapprocher davantage les 2 pays en suivant la logique de l’Union douanière et du libre marché établie en 1999. Cette évolution ressemble beaucoup à la construction européenne de l’après-guerre. L’Espace Economique Commun qui est au stade de négociation devrait regrouper la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine dans un projet qui établira les 4 Libertés (la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des travailleurs).

Il n’y a rien de plus réjouissant que de voir la Russie suivre le modèle européen, cependant ce projet russe n’aura pas grande chose en commun avec l’intégration européenne si les réformes démocratiques et la protection des Droits de l’Homme continuent d’être ignores. Par ailleurs, si le mode de gouvernance en Russie ne subit pas de brusque transformation les 4 libertés inspirées du modèle européen vont probablement rejoindre le club absurde de droits constitutionnellement établis et légalement violés.

L’Ode à la Joie, ce n’est pas pour demain

Maintenant que la Société Civile en Biélorussie s’est laissé dominer, il est peu probable qu’elle fasse du rock en solitaire. Au même temps la Russie joue à un orchestre complet et coupe les cordes à ceux qui sonnent faux. En essayant de mettre fin a une improvisation chaotique dans le Moyen Orient, les Etats-Unis n’envisage actuellement rien d’autre que ‘la petite musique de nuit’.

Pendant ce temps la, l’Union Européenne est toujours en train de choisir son instrument.

Illustration : « Spirit of Belarus » sur FlickR. Visuel dans le domaine public.

Vos commentaires
  • Le 21 mars 2008 à 21:02, par Ronan En réponse à : Qui va bouger la Biélorussie ?

    Où l’on découvre que les autorités communautaires en charge du dossier biélorusse, engluées dans une réalpolitik millimétrée à l’égard de la Russie, font preuve sur cette question d’une tiédeur coupable, d’une timidité excessive, d’une apathie bureaucratique inquiétante et d’un évident manque d’imagination face au pouvoir biélorusse.

    Cet article est intitulé « Qui va bouger la Biélorussie ?! ». Mais on serait donc presque tenté de répondre : « Qui pour secouer l’UE ?! ».

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