Ratification de Lisbonne : le repli des eurosceptiques ?

, par Florent Guérin

Ratification de Lisbonne : le repli des eurosceptiques ?

La situation semble enfin se débloquer après la ratification de la Pologne, ce samedi 10 octobre, et la déclaration du Président tchèque, samedi 17 octobre, dans laquelle il exprime son regret de ne plus être en mesure de mettre un frein au processus de ratification du Traité de Lisbonne. Le « oui » irlandais semble donc avoir fait basculer la donne et accéléré le processus : quels ont été les déterminants du vote ?

Le 6 octobre dernier, alors que les résultats du referendum irlandais venaient de tomber, les Jeunes Européens-Bordeaux organisaient un café-débat sur le thème « Oui irlandais : Quels changements pour l’avenir européen ? ». Marie Gautier-Melleray, professeur de droit public à l’Université Montesquieu Bordeaux-IV et Anne Harris, Vice-Présidente du MEF 33 et ancienne eurodéputée, étaient présentes pour répondre à nos questions.

Une meilleure compréhension du Traité

Même si les conditions de vote d’un second referendum sur une même question peut s’apparenter à un travers démocratique fondé sur une stratégie de l’épuisement, il n’en demeure pas moins que le score a été sans appel et encourageant : 67,13 % en faveur du oui avec 59% de mobilisation. Ce résultat marque-t-il pour autant le retour de l’Irlande au cœur de l’Europe ?

Cette stratégie a montré ses fruits car les Irlandais semblent avoir davantage saisi la portée du Traité de Lisbonne. En effet, une large campagne de publicité a été conduite sous l’égide du gouvernement irlandais qui a travaillé en collaboration avec d’autres petits partis politiques, excepté le Sinn Féin et les plus eurosceptiques d’entre eux. Cette action pédagogique, première du genre à cette échelle, s’est fondée sur une enquête menée par la Commission européenne à la suite du vote négatif au premier referendum. Les conclusions de ce rapport ont souligné l’ignorance comme principal vecteur plutôt que l’attachement à des garanties nationales comme la neutralité militaire ou l’interdiction de l’avortement.

Cette campagne de diffusion a mobilisé des acteurs plutôt insolites. Si l’Église n’avait pas pris position lors du premier vote, elle est entrée en scène pour démentir les arguments contre le Traité portés par les partis nationalistes d’extrême droite. Concernant le financement de cette campagne, les compagnies Intel – malgré une astreinte record récemment payée à la DG-Concurrence – et Ryan Air, ont largement investi pour la soutenir.

L’impact de la crise économique dans les mentalités ne paraît donc pas si décisif entre les deux votes, surtout si l’on rappelle que la crise pointait déjà le bout de son nez dès la tenue du premier referendum.

Les garanties dérogatoires : une fiction juridique ?

La feuille de garanties du Conseil européen qu’a obtenue l’Irlande ne semble avoir qu’une simple portée déclaratoire. Il ne s’agit que d’une décision qui peut être périssable car elle n’a pas la valeur d’un Traité. Il faut d’abord rappeler que l’avortement relève d’une clause du protocole de 1992, aucunement modifiée par le Traité de Lisbonne. De plus, la neutralité militaire qui n’est pourtant pas une spécificité de la seule Irlande, relève toujours du pilier PESC qui conserve le vote à l’unanimité. Il en va de même pour la fiscalité qui est un sujet trop sensible pour basculer à la majorité qualifiée. Enfin, la déclaration fait mention « solennelle » du respect des droits des travailleurs sans toutefois apporter plus de contenu juridique à cette garantie. Tout dépendra finalement de la valeur que les États-membres voudront bien donner à cette déclaration. C’est donc un texte essentiellement écrit pour rassurer les citoyens irlandais.

Même si les tractations sur ces garanties ont pu être dérangeantes, il est sans doute aussi rassurant pour les autres États-membres de constater qu’ils adoptent bien le même Traité.

Vers une prochaine entrée en vigueur du Traité…

La ratification irlandaise a sans conteste accéléré la cadence pour la Pologne et la République Tchèque. La première a tenu sa promesse, samedi 10 octobre, en signant le Traité après une issue favorable au vote irlandais. Pour la seconde, son Président V. Klaus n’a pas cessé de faire parler de lui. Il a tout d’abord envoyé un recours juridictionnel, par l’intermédiaire de ses soutiens au Sénat, auprès de la Cour constitutionnelle tchèque pour qu’elle statue sur la nature juridique de l’Union, alors même que le nouveau Traité innove peu en la matière par rapport au Traité de Nice. Le Président de cette Cour, plutôt europhile, s’est d’ores et déjà montré optimiste quant à l’issue de ce recours et statuera au plus vite fin octobre.

Les conservateurs anglais, un peu jaloux du « droit » à une deuxième consultation irlandaise sur la base de dérogations négociées, ont alors, par la voix de leur leader Cameron, écrit une lettre à Klaus pour qu’il tienne bon dans son blocage à Lisbonne jusqu’aux élections anglaises prévues au printemps, à la suite desquelles ils ont promis d’organiser une nouvelle consultation, par referendum, du peuple anglais.

V. Klaus, constatant l’épuisement de ses moyens de blocage, n’a alors pas trouvé mieux que de brandir une affaire de la Seconde Guerre mondiale pour obtenir une nouvelle clause dérogatoire au Traité. Il s’agit de proscrire toute restitution des biens des Allemands des Sudètes confisqués lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui peut surprendre, c’est que cette condition qui se veut être l’objet d’un vote au Conseil européen soit liée à la Charte des droits fondamentaux, à l’instar de la Pologne et de la Grande-Bretagne. L’émergence tardive de cette dernière volonté ne suffira pas à remettre en cause tout le processus de ratification. Samedi dernier, Klaus a en effet lâché du leste en déclarant qu’il n’était plus possible de bloquer davantage et qu’il n’était plus en mesure d’attendre les élections en Grande-Bretagne.

Donc si le Président tchèque respecte ses engagements et signe après une issue favorable au recours constitutionnel, on peut penser, de façon optimiste, à une entrée en vigueur du Traité d’ici décembre 2010. Mais il demeure toujours un problème d’incertitude juridique concernant la nomination de la nouvelle Commission qui prendra ses fonctions au 1er novembre. Il faudra attendre la tenue du Conseil européen des 29 et 30 octobre prochains pour connaître le Traité qui servira de base juridique pour définir le nombre de Commissaires et s’il existera parmi eux un Haut Représentant pour la PESC. Si la position tchèque est clarifiée d’ici là, M. Barroso pourra être en mesure de prolonger le mandat de la Commission jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau Traité, comme convenu lors du sommet de juin dernier. Ce sera l’occasion pour lui de prouver l’ambition de ses choix politiques.

Les Jeunes Européens invitent à dépasser le stade où un État-membre peut bloquer seul la ratification d’un Traité en optant pour la tenue d’un référendum paneuropéen organisé à une même date. C’est le moyen le plus viable pour éviter chantages et jalousies dans une Europe qui se veut unie.

Illustration : photographie des drapeaux irlandais et européen en face de la Commission européenne, à Bruxelles.

Source : Flickr.

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Vos commentaires
  • Le 30 octobre 2009 à 16:31, par Villon En réponse à : Ratification de Lisbonne : le repli des eurosceptiques ?

    « Donc si le Président tchèque respecte ses engagements et signe après une issue favorable au recours constitutionnel, on peut penser, de façon optimiste, à une entrée en vigueur du Traité d’ici décembre 2010. » Le traité entre en vigueur au premier jour du mois suivant le dépot de tous les instruments de ratification, donc on table plutôt sur Décembre 2009 plutôt non ?

  • Le 30 octobre 2009 à 23:13, par Florent Guérin En réponse à : Ratification de Lisbonne : le repli des eurosceptiques ?

    Oui, c’est une faute de frappe. Il ne reste plus qu’à connaître la décision de la Cour tchèque dont le verdict sera rendue le 3 novembre pour que le Président tchèque, qui a finalement eu gain de cause par la Présidence suédoise pour obtenir sa dérogation sur la CEDH dont la portée juridique est toujours incertaine, ratifie définitivement et permette ainsi l’entrée en vigueur du Traité au 1er décembre 2009.

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