Royaume-Uni – UE : “Je t’aime moi non plus”

Les Britanniques, tous eurosceptiques ?

, par Chloé Fabre

Royaume-Uni – UE : “Je t'aime moi non plus”
Entretien entre David Cameron, Premier ministre britannique, à gauche, et José Manuel Barroso © Services audiovisuels de la Commission européenne

Alors que David Cameron vient d’annoncer qu’un référendum sur la sortie du Royaume-Uni aurait lieu entre 2015 et 2017, il est important de revenir sur ce débat de longue date. L’équilibre des forces entre ceux qui sont satisfaits de l’intégration européenne et ceux qui y sont réticents penche en faveur de ces derniers. Cette série essaie d’analyser ce débat, sa logique et ses racines historiques. Dans ce premier article, nous allons en dresser le décor. Brendon Donnelly, le directeur du Federal Trust, think-tank basé à Londres, décrit l’euroscepticisme au Royaume-Uni comme complètement irrationnel car fondé sur des peurs. C’est partiellement vrai.

Les journaux à sensation créent un climat de peur de l’Europe

Le rôle des tabloïds (journaux à sensation) ne doit pas être sous-estimé. Le Sun, qui appartient à M. Murdoch, est le journal le plus vendu. Un tiers des adultes du Royaume-Uni lit les tabloïds, ils jouent donc un rôle majeur dans l’agenda politique. Différents scandales ont révélé que M. Murdoch soutenait les politiciens favorisants ses intérêts commerciaux. Sous le gouvernement Blair (1997 – 2005), M. Murdoch était considéré comme le 21ème membre du gouvernement. Le Sun et les autres tabloïds ont une influence indirecte sur la création d’un climat de peur. Selon Oliver Daddow, les politiciens ont peur d’avancer des positions pro-européennes à cause des critiques des tabloïds.

La plupart des articles publiés ne visent pas à informer les citoyens sur le fonctionnement de l’UE. Il est facile d’y trouver des confusions entre la Cour de justice de l’Union européenne (à Luxembourg) et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (à Strasbourg, institution du Conseil de l’Europe). Un article présentait aussi une photo du Parlement européen à Bruxelles en parlant d’un sommet européen (la réunion des chefs d’État et de Gouvernements), comme si ce dernier devait s’y tenir (alors qu’il se tient au Conseil). De telles erreurs et confusions révèlent le manque de connaissances des citoyens britanniques sur l’Union. Il devient donc très facile de développer des arguments infondés et populistes contre l’UE en suscitant la peur.

L’opinion publique, méfiante envers les politiciens, fait plus confiance à un référendum

Après le scandale des écoutes téléphonique en 2011, après la révélation du compromis entre M. Murdoch et M. Cameron promettant de remercier le premier pour son soutien aux Conservateurs lors des élections (par le biais de son journal), l’opinion publique britannique est de plus en plus méfiante vis-à-vis des hommes politiques. Un exemple majeur est le Peoples’ Pledge (la demande du peuple). Le Peoples’ Pledge est une campagne en faveur d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne. Son but est de rassembler le plus de signatures de citoyens possible afin de faire pression sur les députés et les convaincre d’organiser un référendum sur la poursuite de l’aventure européenne. La campagne se dit indépendante des partis politiques, mais lors d’une conférence organisée le 19 novembre 2012, les intervenants en faveur du référendum (et membre du Peoples’ Pledge) étaient tous très critiques vis-à-vis de l’UE.

Leur argument est qu’aucun Britannique de moins de 55 ans n’a eu la chance de voter sur la relation du pays avec l’UE. Pour eux, le seul moyen d’accomplir leur « confiance passionnée dans la démocratie » est d’avoir un référendum sur l’appartenance à l’UE. Lors de la conférence, les commentaires et les questions de l’audience montraient une méfiance très forte envers les hommes (et femmes) politiques, perçus comme éloignés des citoyens et ne prenant pas en compte leurs intérêts.

Une peur irrationnelle de « Bruxelles » ou un simple désintérêt pour l’UE ?

Comme dans beaucoup d’autres pays européens, les citoyens britanniques connaissent peu de choses sur l’UE, son fonctionnement et ses réalisations. Le système scolaire perpétue une vision britanno-centrée du monde. Pendant l’année scolaire 2007 – 2008, un peu plus de 10 000 étudiants ont été étudier à l’étranger grâce au programme Erasmus alors que plus de 20 000 Espagnols en ont profité. Les chiffres ont augmenté et ont atteint 13 500 étudiants britanniques en 2011 – 2012, ce qui reste très peu. Il faut ajouter à cela le refus du Royaume-Uni de faire partie de l’espace Schengen (l’espace de libre-circulation des personnes sans contrôles aux frontières) : les Britanniques ne bénéficient pas de la réalisation concrète de l’UE la plus populaire.

Sur ces bases, il est très facile pour les opposants de l’appartenance à l’UE de développer des arguments contre Bruxelles. Un de ceux-ci est la restriction de la souveraineté Britannique à cause des régulations européennes. Les tenants de cet argument présentent les lois européennes comme étant imposées par un gouvernement centralisé qui supprimerait les pouvoir du parlement britannique, symbole de la démocratie pour nos amis d’Outre-Manche. Cet argument accroît le sentiment d’impuissance face à un super-État européen qui régule trop, alors que l’opinion publique est plutôt favorable au libéralisme économique.

Malgré cette image pessimiste, il ne faut pas oublier que beaucoup de Britanniques, comme beaucoup d’Européens, ne se sentent pas concernés. Ils ne sont pas intéressés par les affaires européennes. Dans le cas d’un référendum sur l’appartenance à l’Union, ces « sans-opinion » seront la cible des deux camps.

Le manque de connaissance, la faible visibilité des bénéfices apportés par l’intégration européenne et les arguments contre l’intégration à l’UE renforcent le ressentiment contre l’UE. Cependant, il y a aussi des explications culturelles.

Le continent vu d’une île

Du Royaume-Uni, l’Europe semble très loin ; pas à cause des systèmes de mesures (miles, feet, inches, etc), du sens de circulation, de la monnaie ou du nombre de Starbuck’s mais à cause du Channel, de la Manche. Selon Stephen Tindale, chercheur associé au Centre de Réforme européenne, « l’hostilité vis-à-vis de l’UE est particulièrement forte au Royaume-Uni parce que les Britanniques se sont toujours vus comme appartenant au monde Anglo-Saxon plutôt qu’à l’Europe ». Lors de son discours à Zurich en 1949, « Winston Churchill [Premier ministre britannique de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955] appelait à des États-Unis d’Europe, mais, pour lui, le Royaume-Uni n’en ferait pas partie ». Pour Tindale, c’est dû « en partie à des raisons historiques - le Royaume-Uni avait un Empire et gagné les deux guerres mondiales ». Le Commonwealth (la coopération créée avec les anciennes colonies) et la relation spéciale avec les États-Unis jouent encore un rôle important dans les esprits de beaucoup. En plus, beaucoup de Britanniques expliquent qu’eux, au contraire de la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Pologne ou la République Tchèque, n’ont pas été envahis pendant la Seconde Guerre mondiale et ressentent donc moins l’intégration européenne comme facteur de paix que le continent. Tindale ajoute un autre facteur de distanciation du Royaume-Uni avec « l’Europe ». « Les Américains, les Canadiens, les Australiens, les Néo-Zélandais parlent anglais ». Au Royaume-Uni, « les films et les émissions télévisées américains sont dominants alors qu’il y a très peu de programmes issus du continent à la télévision britannique (à part les films criminels scandinaves) ».

Pour conclure, l’opinion publique semble très ouverte au discours anti-européen alors que les voix pro-européennes sont presque inaudibles. Selon Tindale, C’est « en partie parce que ni la presse à scandale, ni la presse sérieuse appartenant à Murdoch (The Times), ni le journal de centre-droit, le Telegraph, sont enthousiastes par rapport à l’intégration européenne ; mais en partie parce que les pro-Européens n’ont pas réussi à faire passer leur message sur les bénéfices de l’appartenance à l’UE. »

Comme Jonathan Powel, Directeur de Cabinet du Premier ministre Blair, l’a dit « Ce que nous avons réussi à faire c’est changer la position du Royaume-Uni en Europe. Ce que nous n’avons pas réussi à faire c’est l’opinion britannique sur l’Europe. »

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