Extrémisme

Slovaquie : les rouges-bruns entrent au gouvernement

Poussée nationaliste en Europe centrale

, par Fabien Cazenave

Slovaquie : les rouges-bruns entrent au gouvernement

En Slovaquie, ce mardi 4 juillet, entrait en vigueur le pacte de coalition récemment conclu - consécutivement aux législatives du 17 juin dernier - entre les socialistes du parti « Smer » et deux formations populiste et de l’extrême droite [1]. Une alliance contre-nature qui révèle une nouvelle poussée nationaliste en Europe centrale. Ce que nous dénonçons...

Le 17 juin dernier, la Slovaquie a voté pour désigner son nouveau Parlement.

Dans ce système parlementaire où les coalitions gouvernementales sont la règle, le nouveau Premier Ministre Robert Fico a présenté sa nouvelle alliance pour diriger le pays [2].

Le parti de gauche « Smer » (i. e : "Direction") a opté, la semaine dernière, pour une coalition rouge-brun en s’alliant à l’extrême droite xénophobe [3] et à un parti populiste [4].

Ensemble, les partis de cette coalition, a priori contre-nature, ont obtenu 85 des 150 sièges au Parlement.

Cette alliance exclue les chrétiens-démocrates et le « Parti des Hongrois de souche » (SMK) de centre droit, partenaires dans la coalition sortante du groupe SDKU, dirigée par le premier ministre sortant Mikulas Dzurinda.

De sérieuses inquiétudes quant à la future politique menée

Lors de la dernière campagne, la formation de M. Fico a mené campagne sur le thème de la lutte contre les « réformes libérales » mises en place par le gouvernement précédant. Ainsi, le nouveau Premier Ministre slovaque veut réviser le taux unique de TVA (actuellement de 19 %) pour introduire un taux moins élevé pour les produits de première nécessité. De même, il promet aussi d’augmenter les impôts des particuliers et des entreprises, parmi les plus bas d’Europe, en relevant notamment les prélèvements sur les grandes sociétés et des banques. Ses deux nouveaux alliés ont déjà promis leur soutien à de tels changements visant à édifier une Slovaquie « plus sociale ».

Le « Parti Socialiste Européen » (auquel le parti « Smer » a adhéré en 1998...) a fait savoir -par son secrétaire général, M. Rasmussen- qu’il "s’inquiète pour les droits de l’homme en Slovaquie". En effet, d’une part le « Parti National Slovaque » (SNS) a mené une campagne électorale marquée par une xénophobie anti-hongroise et anti-tsigane flagrante. Et, d’autre part, le « Mouvement pour une Slovaquie Démocratique » (HZDS), au pouvoir dans les années 1990, a laissé derrière lui le souvenir d’une gestion opaque et autocratique.

Pour nuancer cette impression défavorable, M. Fico a fait plusieurs déclarations se voulant rassurantes. Il a plusieurs fois répété que son parti garantirait le respect des droits des minorités du pays (qui compte de fortes communautés hongroise et tzigane, chacune d’environ 10 % de la population...). Par ailleurs, il a réaffirmé que « le nouveau gouvernement serait proeuropéen et qu’il respecterait toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht ». [5]. Dans ce domaine là, cependant, seuls les actes politiques pourront donner aux observateurs extérieurs de quelconques garanties.

Une épidémie extrémiste en Europe centrale

Après la Pologne et la Bulgarie, une nouvelle coalition gouvernementale fait donc arriver au pouvoir un parti extrémiste. Ces résultats électoraux traduisent avant tout la peur de l’opinion publique fasse à de nouvelles réformes douloureuses dans des sociétés qui n’ont cessé de se transformer depuis quinze ans. En effet, toutes les règles économiques, politiques, administratives y ont été bouleversées à la chute du communisme, en 1989. Depuis lors, la préparation de l’entrée de l’UE a encore amené un flot de changements.

Laboratoire du libéralisme en Europe, la Slovaquie a ainsi radicalement transformé depuis 2002 ses systèmes fiscaux, de santé et de retraites. Elle a ainsi attiré une foule d’investisseurs, ce qui a enclenché une croissance très forte (mais, aussi, une forte augmentation des inégalités...). Les récentes élections slovaques ont confirmé la montée en puissance en Europe centrale, depuis l’élargissement de l’Union européenne en 2004, d’un courant politique nationaliste et anti-libéral. Ce courant d’opinion, présent dans des formations de gauche comme de droite, réclame notamment plus de contrôle sur les investissements étrangers. De même en Pologne les conservateurs se sont alliés eux mêmes à l’extrême droite nationaliste et aux populistes eurosceptiques pour gouverner.

La formation de cette coalition gouvernementale en Slovaquie n’est peut-être pas finalement si étonnante. Certains commentateurs [6] faisaient ainsi le parallèle entre les thèses victorieuses des sociaux-démocrates slovaques avec celles des extrémistes polonais. Le paradoxe saute aux yeux : si « l’Europe centrale ne s’est jamais aussi bien portée », estime le spécialiste Jacques Rupnik (in « Le Monde » du 20 juin), néanmoins les résultats électoraux confèrent des minorités de blocage aux partis extrémistes. Rappelons-nous que ces peuples sont passés d’une économie soviétique (même avec la Pérestroïka) à une déréglementation mal contrôlée par les gouvernements !

Seule une Europe politique peut répondre à cette crise

Après des années de contrôle par Moscou, les populations sont en quête de fierté. En plus, elles ne se retrouvent pas forcément du bon côté de la barrière économique : dans ces pays les disparités sont très fortes et le droit social est en reconstruction. L’absence de compétences fiscales et sociales dévolues à l’Union européenne ne va pas aider à ce que ces choses s’améliorent.

Le Traité constitutionnel pour l’Europe, gelé pour le moment, aurait pu élargir les pouvoirs du Parlement européen en la matière et permettre de prendre plus facilement des décisions dans les Conférences Inter-gouvernementales. Désormais toute perspective d’harmonisation fiscale et sociale peut paraître plus lointaine. Et ce sera le cas tant que l’Europe ne passera pas à un niveau supérieur dans sa construction politique.

Comment une Union européenne aussi faible politiquement pourrait-elle aider le gouvernement slovaque à faire de meilleurs choix et rejeter toute alliance avec ce type de partenaires ? L’une des choses inquiétantes, c’est que le PNS (parti national slovaque, formation nationaliste) prétend obtenir le portefeuille ministériel de l’Éducation. Ceci est déjà le cas pour les nationalistes en Pologne. Ce qui nous inquiête pour les futures générations.

Le Fédéralisme, pour faire reculer le nationalisme

Ce populisme triomphant qui s’impose dans les pays post-communistes se nourrit de nombreux ingrédients : dénonciation de la corruption, haine des élites, flou politique, besoin d’égalité, conservatisme culturel, euroscepticisme, anticapitalisme, nationalisme, auxquels s’ajoute un zeste de xénophobie. La construction d’un État fédéral nous paraît dès lors être une perspective positive face à ces ressentis : rendre possibles des décisions globales tout en respectant les identités et en leur permettant de s’exprimer.

Que doit faire l’Union européenne ? Nous nous souvenons des réactions à l’époque de l’entrée du parti de M. Haider dans le gouvernement autrichien... Et ce ne sera pas l’Autriche qui appelera à prendre des sanctions. Mais est-ce que la Finlande osera prendre ce dossier à bras le corps avec à ses côtés une Pologne qui ne renie en rien sa coalition actuelle ? En tous les cas, le silence médiatique ne doit pas perdurer car seule la société civile pourrait pousser les hommes politiques à affronter une telle situation.

Illustration :

La résidence présidentielle slovaque, à Bratislava (sources : Flickr).

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Notes

[1Soit le HZDS (Mouvement pour une Slovaquie démocratique), parti populiste de Vladimir Méciar (ancien premier ministre de 1992 à 1998) et le SNS (parti national slovaque), parti nationaliste dirigé par Jan Slota, maire de la ville de Zilina.

Deux partis politiques extrémistes auquels seront donc confiés, pour les uns, les ministères de la Justice et de l’Agriculture et, pour les autres, les ministères de l’Education, de l’Environnement et du Développement régional.

[2Son parti n’ayant obtenu à lui seul que 29,14% des voix...

[3Soit le « Parti national slovaque », SNS : 11,73% au dernier scrutin.

[4Soit le « Mouvement pour une Slovaquie démocratique », HZDS : 8,79% des voix lors de ces dernières élections.

[5Sources : Dépêche de l’agence AFP datée du 30 juin 2006, reprise sur le site Cyberpress.ca

[6Sources : « Europe Centrale : Que faire après la vague libérale », un article d’Henrik Lindell, document paru dans la revue hebdomadaire « Témoignage chrétien » du 29 juin 2006.

Vos commentaires
  • Le 4 juillet 2006 à 10:38, par Ronan Blaise En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    Situation politique en Europe centrale : faire le point :

    Voilà des faits tangibles qui ne confirment jamais qu’une tendance lourde qui apparaît très clairement à l’examen de nombreux événements de ces derniers mois.

    Il y avait déjà eu (en juillet 2005) les déclarations eurosceptiques du président tchèque Vaclav Klaus et l’avènement (en février dernier) de la coalition des ’’Conservateurs, Nationalistes, Populistes et Cléricaux’’ en Pologne sous l’autorité du président Lech Kaczynski.

    Et, depuis peu (début juin dernier), la victoire des libéraux eurosceptiques en République tchèque. Et maintenant, donc, la mise en place en Slovaquie d’une coalition social-nationaliste et national-souverainiste à forts relents xénophobes (et tenant des discours ouvertement eurosceptiques...). Comme quoi : instrumentaliser politiquement les souffrances sociales, c’est vraiment trop facile...

    Exception notable à ce tableau géopolitique quelque peu préoccupant : la récente reconduction aux affaires des europhiles hongrois (sociaux-démocrates) de Ferenc Gyurcsány, en avril dernier.

    Quoi qu’il en soit, il semblerait bel et bien que les peuples d’Europe centrale communient aujourd’hui dans les difficultés sociales et, par voie de conséquence, dans l’introspection nationaliste.

    Ce qui nous fait dire que l’Europe se rendrait bien utile si seulement elle pouvait, sinon dynamiser nos économies, tout du moins soulager les souffrances sociales (et si seulement nos chefs d’Etat et de gouvernement lui en donnaient vraiment les compétences, les moyens et la possibilité véritable de seulement pouvoir le faire...).

    Europe fédérale, maintenant !

  • Le 4 juillet 2006 à 13:27, par Ronan Blaise En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    Je suis plutôt d’accord avec l’ensemble de l’article et je partage très nettement les inquiétudes quant à la viabilité politique d’une telle coalition et au respect des droits fondamentaux.

    Cependant, je ne pense pas qu’il faille voir là une certaine « dynamique de groupe » qui concernerait un ensemble très hétérogène qu’est l’Europe centrale. Je rappelerai par ailleurs que le problème des votes nationalistes et xénophobes concerne largement les pays occidentaux. Effectivement, seule une intégration européenne plus poussée peut répondre durablement au problème d’une Europe dont les citoyens ne se connaissent pas et qui s’appréhendent (cf. plombier polonais).

    Enfin, concernant l’analyse de la montée des extrêmes en Pologne et en Slovaquie, il ya effectivement un terreau commun à l’ensemble des anciens pays du bloc de l’Est. Après l’effacement de manière autoritaire de tous les attributs culturels et identitaires de ces pays et après le constat des premières dérives du libéralisme, la peur de l’avenir est attisée par des populistes qui n’hésitent pas à faire des cocktails explosifs d’antilibéralisme et de nationalisme affirmé.

    Ce qui m’a plu en Hongrie, c’est que le MSzP de Gyurcsány a préféré rassurer le pays et le mener vers la stabilité démocratique que de profiter des peurs et craintes qui traversaient la société pour se faire élire. Voir que ce sont les socialistes qui ont joué la fibre populiste en Slovaquie ajoute à la déception.

    Pourquoi les Jeunes Européens ne proposeraient pas une lettre au PSE pour demander à Rasmussen d’exclure le SMER, conformément aux principes et valeurs du socialisme démocratique ???

  • Le 4 juillet 2006 à 14:02, par Fabien En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    Ludo,

    Merci de nous rappeler de nettoyer devant notre propre porte !

    Pour la France : En 99, plusieurs futurs présidents de Régions de Droite n’hésitaient pas à faire alliance avec le Front National. En 2002, le FN était au second tour de la présidentielle. Quid de 2007, du reste ?

    En UK : le parti nationaliste « British National Party » vient de faire une percée aux dernières élections municipales.

    En Belgique : le « Vlaams Blok » (Bloc flamand) interdit et depuis lors récemment reconstitué sous le nom de « Vlaams Belang » (Intérêt flamand) tient toujours la main sur une partie de l’électorat flamand. Bref...

    Heureusement, la Hongrie nous a montré l’exemple récemment, comme tu viens de nous le dire.

  • Le 4 juillet 2006 à 19:45, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    L’association Re-So propose une initiative de ce type sur son site.

  • Le 5 juillet 2006 à 00:26, par Ronan Blaise En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    La suspension du « Smer » du PSE ? En tout cas, c’est fait depuis hier, 20h00.

    Cf. Blog de Jean Quatremer, correspondant du journal « Libération » à Bruxelles.

  • Le 7 juillet 2006 à 12:26, par Ronan Blaise En réponse à : Les rouges-bruns entrent dans le gouvernement slovaque

    Et juste signaler la parution (in « Courrier International » n°818 du 6 juillet dernier ; ici : page 18) d’un article intéressant sur cette question, tiré de « Smer » (i. e : ’’Nous sommes’’), le quotidien libéral de Bratislava.

    Dans cet article intitulé ’’Les voleurs d’avenir sont de retour’’, le romancier slovaque Michal Hvorecky commente très largement la mise en place récente en Slovaquie de la coalition conclue entre les partis « Smer-SD » (parti ’’social-démocrate’’, dirigé par Robert Fico) (29,14% des voix), « Parti national slovaque SNS » (parti nationaliste d’extrême droite, mené par Jan Slota) (11,76% des voix) et le « Mouvement pour une Slovaquie démocratique, HZDS » (parti populiste, présidé par l’ancien premier ministre Vladimir Méciar, fortement contesté en son temps) (08,79% des voix).

    Une coalition gouvernementale qui réunira sociaux-démocrates, populistes et nationalistes d’extrême droite. Une coalition contre nature ? Pas vraiment, nous dit l’auteur.

    Pas si sûr que ça dans la mesure où, nous dit-il, ’’le Smer n’est pas et n’a en fait jamais été un véritable parti de gauche’’ puisque ’’depuis sa naissance, il se rapproche plus du populisme que de la social-démocratie à laquelle il a volé une partie de son nom’’ : une formation politique qui ’’n’est pas issue de l’initiative citoyenne, mais de la volonté de quelques hommes d’affaire de grande envergure’’, parti politique ’’ensuite devenu de gauche pour des raisons de pur marketing car il ne représente nullement les intérêts des classes moyennes et populaires, sans parler des valeurs de la société citoyenne’’.

    Et l’auteur de rappeler certaines des ’’orientations’’ politiques parmi les plus douteuses de celles du parti Smer : volonté affichée de rétablir la peine de mort, euroscepticisme actuel et -dans le passé- hostilité à peine voilée à l’adhésion à l’UE (le Smer ayant alors voté contre le Traité d’adhésion à l’UE lorsque celui-ci avait été soumis au vote du Parlement slovaque...), propos racistes tenus contre les minorités roms et hongroises, indifférence totale aux problématiques environnementales, discours démagogique à l’égard de l’opinion publique et pratique autoritaire du pouvoir...

    Un réquisitoire en règle contre ce parti populiste soit disant social-démocrate (si l’on en croit l’auteur) dans lequel M. Hrovecky s’inquiète de ne finalement pas voir aboutir les réformes nécessaires entamées en Slovaquie dans le secteur de la justice, de l’éducation ou de la culture : ainsi, nous dit-il, ’’c’est notre avenir que l’on va nous voler, sous l’étiquette d’un Etat national-social’’. D’où le titre de l’article...

  • Le 5 septembre 2006 à 15:08, par Wizenberg Aric En réponse à : Slovaquie : les rouges-bruns entrent au gouvernement

    Rappelons de plus que Jan Slota, leader du SNS participant au gouvernement a « menacé pendant la campagne électorale de marcher sur Budapest et de la raser » (source : Le Monde). Comment des choses comme celles-là peuvent-elles être dites au 21e siècle au sein de l’UE ? En tout cas, cela n’a pas l’air d’émouvoir grand-monde... En esperant que les evenements de ces derniers jours en Slovaquie ne se reproduisent pas...

  • Le 5 septembre 2006 à 16:26, par Ronan Blaise En réponse à : Slovaquie : les rouges-bruns entrent au gouvernement

    Effectivement, tu as tout à fait raison, M. Jan Slota ayant même, lors de la dernière campagne électorale, qualifié les Hongrois vivant en Slovaquie d’ « ulcère cancéreux sur le corps de la Nation » (sic) et ayant pareillement proposé publiquement le règlement des contentieux hungaro-slovaques par l’organisation d’une attaque blindée contre Budapest.

    Propos invraisemblables, irresponsables, surréalistes et délirants s’il en est...

    Pour avoir le point de vue hongrois sur la question :

    => le site du « Journal francophone de Budapest ».

    Pour avoir le point de vue slovaque sur la question :

    => le site de « Radio Slovakia international ».

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