Pendant ce temps là, la guerre « afghane » se poursuivait, avec des pertes de plus en plus lourdes pour les contingents occidentaux de l’OTAN y étant impliqués.
Et la crise financière américaine des "subprimes" ébranlait les places boursières mondiales d’une économie désormais mondialisée.
Quant à l’Irak, malgré la présence des G.I’s américains et de leurs plus proches alliés, il semble décidément bien loin d’être pacifié ; alors même que le terrorisme islamiste semble bien loin d’avoir été totalement éradiqué et alors même qu’Oussama Ben Laden - à ce jour encore introuvable - à l’évidence court toujours...
D’où la question, à ce jour encore en suspend, en ces temps de campagne électorale américaine pour désigner le prochain occupant de la Maison Blanche : « Quelle place pour l’Europe et les États-Unis dans ce nouveau désordre mondial qui vient ?! »
Regards en chiens de faïence
Après les différends nés de l’aventure irakienne (à ce propos, on se souviendra des fameux propos du secrétaire d’État à la défense - néoconservateur - Donald Rumsfeld [1] à propos de la "vieille Europe"...) [2], le ton des relations euro-américaines est - aujourd’hui - à l’apaisement. Et, près bien des tensions, le climat entre Bruxelles et Washington semble s’être aujourd’hui considérablement amélioré.
Si bien que - de part et d’autre des deux rives de l’Atlantique - on en est désormais à formuler de nouveaux projets de coopération transatlantique : « Union occidentale » transatlantique de l’ancien premier ministre français d’Edouard Balladur, « Ligue des Démocraties » ou « Zone de libre-échange » transatlantique du candidat républicain John McCain.
Mais les Européens et les États-Unis restent aujourd’hui sur leur quant-à-soi, se jaugeant en cousins éloignés. Bien loin de la « vision » du politologue néoconservateur américain Robert Kagan [3] qui aurait tant souhaité que les deux puissances transatlantiques assurent ensemble la stabilité du monde.
Certes, l’Union européenne - le « machin de Bruxelles » - est une entité politique difficile à expliquer et à comprendre pour un américain : puisque étant une « créature » institutionnelle « hybride », unique en son genre qui n’est ni une organisation internationale ni un super-État fédéral. Et cette Union Européenne hybride (et mal définie ?!) laisse en général les Américains sceptiques et méfiants (ou indifférents).
Mais ils sont de plus en plus nombreux, ces observateurs politiques américains (Robert Kagan, Jérémy Rifkin…) à estimer que la direction politique que l’UE devrait prendre dans les années à venir devrait intéresser au plus haut point les futurs dirigeants des États-Unis.
Méfiances réciproques
Néanmoins, la plupart des commentateurs internationaux soulignent qu’au-delà des intérêts communs, les deux rives de l’Atlantique s’éloignent aujourd’hui l’une de l’autre. Et il semble que ces partenaires occidentaux - américains et européens - se comprennent aujourd’hui moins bien. Notamment parce que leur rapport aux religions - par exemple [4] [5] - est de plus en plus différent, avance l’historien britannique Niall Ferguson [6]
Mais aussi parce que les Européens sont exaspérés par la manière dont Washington laisse se dévaloriser sa monnaie et laisse filer sa dette et ses déficits publics. Sans parler de la politique monétaire imprudente de la « Réserve fédérale » (Fed) poursuivie ces dernières années. Reprochant ainsi aux États-Unis de ne plus jouer leur rôle traditionnel de "gendarmes" de l’économie mondiale.
Ainsi, peu de présidents américains ont été moins populaires que l’actuel président George W. Bush, incarnation politique de ce que les Européens détestent le plus chez les "Yankees" : la gâchette facile sinon brutale, le verbe haut voire arrogant, le mépris de l’environnement et - plus important encore peut-être - une apparente totale indifférence pour la sensibilité politique exprimée par les vieux alliés "ouest-européens" des États-Unis
Bref : Economie, culture, diplomatie, valeurs : l’Europe s’érige de plus en plus en un modèle politique distinct et concurrent, alternatif au modèle américain. Un nouveau modèle - bientôt véritable entité politique ?! - fondé non pas sur la force militaire coercitive ("Hard power") mais sur la coopération économique et sur le pouvoir d’attraction d’une communauté de valeurs et de prospérité partagée ("Soft power").
La confrontation de deux modèles politiques contradictoires
Tandis que Washington s’essaie donc maladroitement à l’exportation militaire de la démocratie, l’Europe investit son argent et son capital politique pour attirer des pays périphériques dans son orbite : pays dont le rêve est désormais européen, et non américain.
Exit l’ « American Dream », c’est donc à présent au tour du vieux Continent d’exprimer sa vision de l’avenir : une nouvelle vision (un modèle d’avenir ?) qui diffère profondément du modèle américain. Et c’est donc à présent au tour de l’U.E de faire rêver ; comme l’explique avec enthousiasme l’américain Jérémy Rifkin [7] dans son fameux essai intitulé « Le Rêve européen » (ouvrage publié en mars 2005, chez « Fayard ») [8].
Au moment même où une vague d’euroscepticisme peut-être sans précédant gagne les opinions publiques de l’Union européenne, c’est ainsi une pléthore de livres et d’articles qui paraissent aujourd’hui outre-Atlantique sur ce sujet. Et pas forcément pour ne dire que du mal de l’Union européenne, bien au contraire...
Soulignant - comme l’historien américain Tony Judt - la "différence européenne", s’interrogeant sur la ligne de fracture s’élargissant aujourd’hui entre les deux modèles divergents et désormais concurrents, vantant les mérites de l’UE [9].
On a déjà vu les accents lyriques voire provocateurs d’un Jérémy Rifkin vantant ce "rêve européen" qui serait tellement supérieur, à tous égards (en tout cas, c’est lui qui le dit...) à la civilisation américaine.
Des idées qu’on retrouve dans les propos plus posés (et moins exaltés...) d’un T. R. Reid (journaliste du « Washington Post » qui a vécu cinq ans à Londres) dans un ouvrage récent très opportunément consacré aux... États-Unis d’Europe ! [10]
Livre plus posé que celui de Jérémy Rifkin où l’auteur lance néanmoins cet avertissement prémonitoire à ses compatriotes "étasuniens" : « Nous devons reconnaître et accepter le fait que la planète compte désormais une deuxième grande superpuissance. (...) En un mot, les États-Unis d’Amérique doivent faire preuve de respect envers les États-Unis d’Europe ».
Et même la Droite conservatrice américaine - qui, jusque là avait toujours affiché un mépris quasi-réflexe pour cette Europe décadante et gauchiste - commence à s’éveiller à la réalité de cette nouvelle puissance européenne : ainsi « Il est facile de se gausser de l’Union européenne » - écrivait l’éditorialiste Arthur Waldron dans la revue « Commentary » - « Mais cela revient à sous-estimer la profondeur et la longévité de la détermination de l’Europe à devenir une entité. »
Cela dit, même si la sympathie américaine semble réelle pour un processus d’unification entre peuples "cousins" (i. e : cousins entre eux et cousins de l’Amérique...) autrefois en guerre, nombreuses restent néanmoins les voix encore sceptiques devant le "modèle européen" (sans parler même de l’Amérique conservatrice profond : pour qui cette Europe - "de plus en plus socialiste" - reste un repoussoir plutôt qu’un modèle...).
Ceux-là, tels le journaliste Jonathan Rauch du « National Journal » estiment que l’Europe est "un modèle en déséquilibre qui se dirige vers une crise" et que l’actuelle fascination de l’Amérique pour l’Europe n’est pas sans rappeler celle que suscitait autrefois le Japon, dans les années 1980 [11].
Adieu au monde unipolaire...
On savait déjà que l’hyper-puissance américaine était battue en brèche par la montée en puissance de la Chine (symbolisée avec éloquence par les fastes des récents « Jeux olympiques » de Beijing et par les résultats sportifs éloquents obtenus par la Chine à cette occasion...). Mais oubliez donc le duel "exclusif" entre la seule Chine et les États-Unis...
Car l’Europe sera aussi présente dans le monde de demain, affirme le « Nihon Keizai Shimbun » de Tokyo (principal quotidien économique japonais). Avec des conséquences stratégiques à prévoir pour toutes les grandes questions internationales : de la Chine au Proche-Orient, et de la Russie à l’Iran, en passant par l’actuel projet de réforme de l’OTAN...
D’autant plus qu’on peut d’ores et déjà dire adieu au monde "unipolaire" de l’immédiat après-guerre froide, alors "dirigé" de façon unilatérale par l’hyperpuissance américaine. Un monde de demain qui sera donc forcément multipolaire et - donc - nécessairement multilatéral, impliquant de nombreux acteurs de puissances sensiblement équivalentes.
Comme on vient de le voir avec le puissant retour en force de la Russie sur la scène internationale à l’occasion de la récente crise caucasienne : forme de protestation musclée de cette "nouvelle" grande puissance face aux candidatures d’adhésion à l’OTAN [12] d’anciens pays de son "pré carré" post-soviétique, tels l’Ukraine, la Géorgie et - dans une moindre mesure - la Macédoine.
On peut donc supposer que Washington, devant composer avec d’autres puissances (en premier lieu la Chine et l’UE, et ensuite la Russie, voire le Brésil...), ne pourra désormais plus faire ce qu’elle veut sur la scène internationale. Une analyse en tout cas partagée par le politologue ("étasunien") Parag Khanna [13] et par son collège (singapourien) Kishore Mahbani [14].
Nouveau monde dans lequel USA et UE auraent - d’après Simon Serfaty (directeur des Affaires européennes au Centre des Études stratégiques internationales) - tout intérêt à trouver un terrain d’entente afin de pouvoir mieux coopérer : parce que "la capacité européenne peut être utile" dans un contexte où se révèlent "les limites de la puissance impériale". Alors "tant qu’à avoir besoin d’alliés, autant prendre les Européens..."
Quand l’Euro remplacera le Dollar...
Ainsi de nombreux universitaires américains, comme les chercheurs Menzie Chinn (de l’université du Wisconsin) et Jeffrey Frankel (de Harvard), pensent également que - d’ici à dix à quinze ans - le billet vert aura sans doute été remplacé par l’Euro en tant que monnaie de réserve de l’économie mondiale. Une tendance lourde qui pourrait même être accélérée par les crises énergétique et financière actuelles.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les pays exportateurs de pétrole du golfe arabo-persique achètent - depuis peu - massivement des euros, pour diversifier leurs actifs en devises. Alors même que les présidents iranien et vénézuélien (Mahmoud Ahmadinedjad et Hugo Chavez) aient proposés que l’OPEP abandonne désormais le dollar - pour fixer le cours du brut - en le remplaçant, plus avantageusement pour eux, par l’Euro.
Ainsi, l’ascension de l’Euro sur le marché des changes est d’une telle évidence [15] qu’elle a fait oublier les propos d’un Henry Kissinger prédisant en 1999 - comme tant d’autres - que les Européens n’accepteraient jamais cette monnaie commune. Et comme le souligne le journaliste T. R. Reid : « Il est peu probable que beaucoup d’Américains perdent le sommeil à l’idée de la menace que représente, pour le tout puissant, le nouvel anti-dollar (sic) de l’Europe. (Mais) peut-être est-ce un tort. »
D’autant plus que les prix alimentaires et pétroliers ne risquent sans doute pas de baisser de sitôt : une nouvelle donne internationale qui risque de bouleverser les grands équilibres géopolitiques mondiaux. Notamment avec une Russie désormais en position de force, qui rêve - entre autres choses - de peser de tout son poids sur le marché énergétique mais aussi alimentaire mondial par la mise en place d’une sorte d’ « OPEP » du blé rassemblant les principaux grands pays "agroexportateurs" (tels la Russie, l’Ukraine, le Brésil, l’Argentine ou la Nouvelle-Zélande, etc).
En revanche - quant au rôle futur de l’Europe sur la scène internationale - il y a de quoi rester dubitatif quand, ce vendredi 26 septembre dernier (par exemple...) lors d’un Conseil européen "ad hoc" organisé à Bruxelles - jour même du premier "taïkonaute" chinois "marchant" dans l’espace... et alors même que la NASA fête ses 50 ans [16] - l’UE annonce très officiellement (mais très clairement...) qu’elle n’envisage pas de présence européenne dans l’espace autrement que dans le cadre d’une stricte coopération internationale...
Donc, il reste encore à l’Union européenne à clarifier ses ambitions et définir plus précisément le rôle politique qu’elle entend vraiment jouer sur la scène internationale de demain.
Car si la récente crise "géorgienne" a effectivement permis à l’Union européenne de jouer enfin un rôle concret sur la scène internationale, derrière cette position commune des Vingt-Sept se cachent en fait encore de très profonds désaccords sur la place future de l’UE dans le futur « Nouvel ordre mondial » (et quant à ses relations futures avec les États-Unis...). [17] [18].
Bref, si le climat entre Bruxelles et Washington s’améliore à ce jour, de nombreux sujets de discorde pourraient donc néanmoins - demain - à nouveau creuser le « fossé transatlantique ». Et ce, quel que soit le futur et prochain occupant de la Maison Blanche...
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