Amérique Latine

Vers des Etats-Unis d’Amérique du sud ?

Les accords de Cuzco...

, par Ronan Blaise

Vers des Etats-Unis d'Amérique du sud ?

Simon Bolivar, Francisco Miranda, José de San Martin et les « Libertadores », héros des indépendances sud-américaines, en avaient rêvé : le 8 décembre 2004, à Cuzco (Pérou) douze Etats sud-américains [1] se sont réunis en vue de mettre en place une « Union » ou « Communauté sud-américaine des nations ». Surmontant ainsi leurs divisions et faisant là un pas décisif vers une future Union politique continentale...

Réaliser enfin le rêve de Simon Bolivar

Ce projet déjà ancien, qui remonte au temps des Libertadores et des Héros de l’indépendance sud-américaine, n’allait jusque là jamais au-delà des voeux pieux et des discours symboliques oiseux.

Mais, cette fois, on voit enfin les choses en voie de réalisation concrète. Et, pour la première fois, on peut vraiment raisonnablement espérer quelque future réalisation sérieuse effective.

Cette fois-ci, les choses ont débuté de manière pragmatique : autour de deux organisations régionales préexistantes : la Communauté andine des nations (CAN) et le Mercosur (i. e : Marché commun de l’Amérique du sud), auxquels se sont joints trois pays associés. Douze pays qui semblent désormais résolues à constituer une Union politique de 360 millions d’habitants et 17 millions de km² : la « Communauté sud-américaine des nations » (CSAN).

Pour officialiser une telle démarche, ces États qui ont pris - il y a deux ans - une telle initiative, l’ont fait sur la base solide d’une « Déclaration constitutive » datée de ce 8 décembre 2004. Un document officiel par lequel ces États affirment la volonté de mettre en place - à terme, par la fusion de ces deux organisations désormais étroitement associées - une Union communautaire : l’Union ou la Communauté sud-américaine des nations (à ce jour, la dénomination finale de ce nouvel ensemble politique continental reste encore floue...).

L’objectif, selon les termes mêmes de cette déclaration constitutive, est en substance de construire l’unité sud-américaine, pour assurer le développement et rendre possible la justice sociale. Une idée qui s’impose donc enfin, tant l’avenir n’est semble-t-il pas viable pour ces petites unités politiques fragmentées que sont la plupart des pays latino-américains.

Quelles politiques communes ?

Ainsi, les signataires de ces accords de Cuzco se sont engagés à la constitution d’une zone de commerce continentale (par la suppression de 90% des droits de douane existant encore alors entre eux) et à la mise en place d’une union douanière dès l’année prochaine, en 2007. Premiers pas vers la création d’un véritable marché commun sud-américain au sens plein et entier du terme.

Ils se sont par ailleurs engagés à exécuter de grands projets économiques et politiques, ensemble. Comme, par exemple, la mise en place de politiques communes (dans le domaine énergétique, notamment) [2]. Pareillement, il se sont engagés à travailler à l’adoption de positions internationales communes, afin de parler d’une seule voix dans le cadre des organismes internationaux et dans les grands forums multilatéraux.

Un projet ambitieux qui devrait également faciliter la concertation régionale en matière de politique et de diplomatie. Et ce, d’autant plus que les présidents brésilien (Luiz Inacio Lula da Silva, dit ’’Lula’’) et vénézuelien (Hugo Chavez) se sont récemment prononcés officiellement et quasi simultanément pour la mise en place d’une ’’organisation militaire sud-américaine intégrée’’ (et d’une force armée ’’commune’’) : une organisation de défense du Mercosur qui devrait bientôt être présentée aux pays du ’’bloc’’, courant 2007, sous la forme d’un éventuel futur « OTAS » (Organisation du Traité de l’Atlantique sud) [3].

Une union politique sud-américaine qui ouvre donc là des possibilités gigantesques. Et ce, non seulement en seuls termes démographiques, mais aussi du point de vue des ressources naturelles (puisque le ’’bloc’’ en question détiendra ainsi, biens stratégiques par excellence, 30% des réserves en eaux douces de la planète ainsi que des réserves de gaz, de pétrole et de minerais estimés à plus d’un siècle...).

Outre une communauté économique, le projet inclut donc, à terme : un parlement commun, une organisation militaire commune, une monnaie commune, une citoyenneté sud-américaine et un passeport commun. Et, s’il se concrétise, cet ensemble de douze États souverains désormais étroitement associés représentera (avec une population de près de 360 millions d’habitants et une superficie d’environ 17 millions de km²) la plus vaste union économique, monétaire et politique au monde après l’UE, son ’’modèle’’ proclamé.

L’intégration politique sud-américaine, une arlésienne ?

Francesco Miranda, Simon Bolivar, José San Martin et les Libertadores [4] en avaient tous rêvé un jour ou l’autre mais l’intégration latino-américaine était pourtant jusque là une arlésienne. On dit même très souvent que Simon Bolivar serait ’’mort de chagrin’’ après l’échec du Congrès panaméricain de Panama, en 1826-1827 (à l’occasion duquel il échoua dans son projet de création d’États-Unis d’Amérique latine qu’il caressait alors...). Pourtant le sous-continent s’est piqué, dès les années 1960, d’intégration régionale avec la mise en place de très nombreuses organisations régionales.

De fait on a ainsi vu se créer successivement le « Marché commun central-américain » (MCCA) en 1961 (depuis lors devenu l’ALEAC : « Accord de Libre-Échange d’Amérique Centrale »), le « Pacte andin » en 1969 (devenu, depuis lors, la « Communauté andine des nations »), le « Caricom » (i. e : « Communauté des pays de la Caraïbe ») en 1973 et enfin le « Mercosur » (i. e : « Marché commun d’Amérique du sud ») en 1991 et, dans une moindre mesure, en 1994, l’ « Aléna » (« Association de libre-échange nord-américaine » ; appelée « NAFTA » en anglais et « TLCAN » en espagnol).

Jusque là, ces projets n’ont eu pour résultat qu’une succession de cruelles déceptions. Ainsi, les plus anciens de ces deux projets d’intégration régionale (le MCCA et la CAN) ont très longtemps peiné à seulement réussir à mettre en place de bien modestes unions douanières (les pays membres de ces associations ayant très souvent remplacé leurs droits de douane internes par des... barrières non tarifaires !).

Des échecs qui, en l’absence de réelle volonté politique pérenne, ont alors poussé certains États sud-américains à développer des stratégies individualistes : en se rapprochant des États-Unis, par le biais d’accords bilatéraux de libre-échange (comme ce fut effectivement le cas - dans les années 1990 - pour le Mexique, le Chili et l’Argentine...).

Une alternative politique au « Projet libre-échangiste » nord-américain

Si bien que les États-Unis ont alors fini par proposer la mise en place d’une « Zone économique de libre-échange des Amériques » (ZLEA) (« FTAA » en anglais et « Alca » en espagnol) : un « Marché commun des Amériques » d’environ 700 millions de personnes couvrant, de l’Alaska à la Terre de feu, 34 pays des Amériques [5] (et censé être entré en vigueur en 2005...).

Un projet libre-échangiste qui oblige en tout cas les autres systèmes d’intégration de la région à affirmer leur identité et leur spécificité s’ils ne veulent pas se voir englobés à leur corps défendant dans un système strictement commercial sous direction étasunienne. Perspective effectivement peu affriolante aux yeux de populations sud-américaines fortement réticentes à l’égard des États-Unis de Georges W. Bush [6].

Face à ce modèle ’’étasunien’’ d’intégration strictement commerciale, dicté par les États-Unis, le « Mercosur » et le projet de « Communauté sud-américaine des nations » apparaissent donc aujourd’hui comme le seul projet politique alternatif crédible : une association régionale marquée par une forte cohérence géographique et marquée également, à ce jour, par un volontarisme politique très prononcé.

En témoignèrent alors les volontés affichées (puis concrétisées) par le Venezuela en 2006 (et du Chili et de la Bolivie dès 1996, puis du Pérou, de la Colombie et de l’Equateur en 2003-2004 comme membres associés) de rejoindre un bloc régional qui a, depuis lors, retrouvé tout son dynamisme : sous l’impulsion décisive du Brésil et de l’Argentine, avec l’arrivée au pouvoir des présidents Lula da Silva et Nestor Kirchner.

Des raisons d’espérer

Quoi qu’il en soit, l’intégration politique latino-américaine et ce récent projet d’ « Union » ou de « Communauté sud-américaine des nations » (CSAN) paraissent aujourd’hui suspendus au renforcement des institutions politique du Mercosur : avec la création alors envisagée d’une Commission exécutive supranationale (organe exécutif, technique et administratif : mise en place - en octobre 2003 - sous la direction de l’ancien président argentin Eduardo Duhalde), d’une Assemblée parlementaire commune (organe de contrôle politique démocratique) voire d’une Constitution.

Tant la résurgence périodique de crises politiques ou économique dans la région laisse craindre que la divergence des politiques macroéconomiques poursuivies, les traditionnels réflexes protectionistes, une subite dévaluation, une élection perdue ou les traditionnelles rivalités inter-étatiques ne suffisent à briser tout l’édifice...

Car si, aujourd’hui, les États-Unis incarnent effectivement le diable en Amérique latine, nombreux sont les États sud-américains (Colombie et Argentine en tête) à se méfier cependant encore d’une éventuelle domination du Brésil, géant latino-américain expansioniste des deux siècles derniers et candidat à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

Bref, un chemin vers l’unité politique sud-américaine - ambitieux objectif final - qui promet encore d’être bien long et semé d’embûches. Mais dans ce grand dessein qu’est l’unité du continent sud-américain, il semblerait enfin qu’un premier pas très sérieux et décisif vienne vraiment d’être franchi.

Et nous venons peut-être même là d’assister à ce qui pourrait être la plus grande réussite politique de toute l’Histoire du continent depuis l’époque des indépendances. Et rien que cela, c’est là pour les Sud-Américains une bonne nouvelle, après tant de désillusions...

A lire également : L’Union européenne, un modèle absolu pour le Mercosur ?

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie satellitale de l’Amérique du sud : document tiré de l’Encyclopédie en ligne wikipédia.

- Sources :

Cet article s’inspire, entre autres choses, de deux articles tirés du quotidien équatorien « El Commercio » de Quito et de « l’International Herald Tribune » (Paris) : deux documents publiés dans l’hebdomadaire « Courrier International » : n°738 et 748 des 23 décembre 2004 (page 25) et 3 mars 2005 (page 16).

Notes

[1Soit les quatre Etats du « Mercosur » (i. e : Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), les cinq Etats de la « Communauté Andine » (i. e : Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou, Vénézuela) et trois Etats associés (i. e : Chili, Guyana et Surinam).

[2Ne serait-ce que pour équilibrer l’offre et la demande entre des pays fortement producteurs (i.e. : Equateur, Colombie, Venezuela pour le pétrole ; Bolivie pour le gaz naturel), des pays très fortement importateurs (i. e : Chili, Argentine, Uruguay) et de trop rares pays autosuffisants (comme le Brésil, etc).

[3Cf. « Courrier International » n°819 du 30 novembre 2006 (ici : page 17).

[4Terme ’’générique’’ utilisé en hommage aux principaux leaders des guerres d’indépendances d’Amérique du Sud du XIXe siècle (i. e : le vénézuéliens Francisco de Miranda et Simón Bolívar, l’Empereur Pedro I du Brésil, l’argentin José de San Martín, le bolivien Antonio José de Sucre, le chilien Bernardo O’Higgins, l’uruguayen José Gervasio Artigas, etc.)

[5Soit tous les États des Amériques, sauf Cuba...

[6L’administration républicaine de Washington ayant d’ailleurs commis bon nombre de maladresses à cet égard : l’ancien représentant au commerce étasunien Robert Zoellick, ayant alors publiquement déclaré que le Brésil, s’il n’acceptait décidément pas d’entrer dans la ZLEA, pourrait fort bien se retrouver alors avec l’Antarctique pour seul partenaire commercial...

Vos commentaires
  • Le 21 décembre 2006 à 12:53, par Ronan Blaise En réponse à : Vers des Etats-Unis d’Amérique du sud ?

    Complèments d’informations :

    Le 14 décembre dernier, les cinq Etats membres du Mercosur (i. e : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela) ont désigné, à Brasilia, leurs parlementaires amenés à prochainement siéger (à partir de mars 2007) au Parlement communautaire du Mercosur, lequel sera alors inauguré à Montévidéo (Uruguay).

    Dans un premier temps (jusqu’en 2010) les ’’mercadodéputés’’ seront des parlementaires (députés et sénateurs) désignés par leurs législatures nationales (18 ’’mercado-députés’’ par Etats membres). Après quoi ils devraient être élus par la population, lors d’un scrutin (à la proportionnelle) organisé simultanément - à partir de 2010, tous les quatre ans - dans tous les Etats membres.

    L’une des principales missions de ce Parlement sud-américain sera d’élaborer une législation commune permettant l’application des accords communautaires signés ainsi que d’élaborer le budget commun. Et juste préciser que l’UE - estimant qu’ ’’un monde multipolaire est plus équilibré’’ - apporte une aide technique et financière à la mise en place d’un tel Parlement sud-américain, contribuant également de façon non négligeable (à hauteur de 900 000 euro) au budget du Mercosur.

    (Sources : d’après un article publié dans ’’Folha de Sao Paulo’’, repris dans le « Courrier International » de ce jeudi 21 décembre 2005 : page 30).

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