Viviane Reding : « Nous n’avons pas le luxe de choisir le défaitisme »

, par Claire Taglione, Quentin Weber-Seban

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Viviane Reding : « Nous n'avons pas le luxe de choisir le défaitisme »
Viviane Reding - EU Social, certains droits réservés

Lors de son intervention dans les locaux de Sciences Po Paris, Mme Reding, vice-président de la Commission européenne et Commissaire en charge de la Direction Générale de la Justice, des Droits Fondamentaux et de la Citoyenneté, a réaffirmé sa foi en la construction européenne.

Impliquée depuis l’âge de 28 ans dans la politique de l’Union, celle qui fait figure en France de commissaire rebelle ne doute ni de la « réussite » ni de la « force » des politiques européennes, prenant en exemple l’euro ou le programme Erasmus. La perception de la crise semble tenir, selon elle, largement des comportements « pessimistes » et « défaitistes », à une présentation dramatisant la situation actuelle au point parfois de la déformer.

Ainsi, rappelle-t-elle, l’Union européenne représente toujours 20% du commerce mondial pour seulement 7% de la population totale du globe. Assénant chiffres et statistiques destinés à décrire la « réalité de l’Europe », Mme Reding réévalue la gravité de la situation actuelle et son impact sur l’économie européenne, tout en ne niant pas l’importance de la crise des dettes nationales. Cette épreuve doit pour elle être avant tout l’occasion d’avancer vers plus d’intégration.

Les quelques propositions concrètes qu’elle présente vont dans ce sens : donner au commissaire aux affaires économiques la direction de l’Eurogroupe – comme le permet le Traité de Lisbonne, travailler à la taxation commune, synchroniser les budgets nationaux, mettre en commun les bons du trésor allemands et français… semblent être des solutions nécessaires mais de court terme pour celle qui appelle à la naissance d’un « nouveau plan Schuman ».

D’ici 2020, Mme Reding voit la création d’une « confédération européenne ». Si sa vision de la sortie de crise sur le plan politique est profondément optimiste (« impossible n’est pas européen »), elle reste tout du moins assez floue. Elle ne décrit cette « confédération » que par la négative, en expliquant que celle-ci ne peut pas donner naissance à des « États-Unis d’Europe », sans donner plus de précisions. Par ailleurs, l’usage du terme de « confédération » comme un objectif à atteindre est surprenant. En effet, l’Union européenne a dépassé le stade de la confédération depuis longtemps, de par le transfert de certaines compétences relavant de la souveraineté étatique au niveau européen. De la part de celle qui n’hésite pas à attaquer frontalement des États membres dont la politique n’est pas conforme au droit européen, tels que la France ou la Hongrie, on aurait attendu plus de mordant et d’ambition, lorsque l’on a plus senti un ton diplomatique ne s’aventurant pas à froisser des sensibilités.

Une lecture globale du discours de Mme Reding permet néanmoins d’être sûr que malgré la « morosité ambiante » certains croient toujours aussi fortement et puissamment à l’Europe.

La stigmatisation des Roms, une « honte pour l’Europe »

Cette conférence a été aussi l’occasion de revenir sur le thème qui l’a fait connaître en France, celui des Roms. Affirmant que le combat pour les Roms n’est pas porteur politiquement, Viviane Reding a insisté sur le fait qu’il fut uniquement question de principes : les Roms sont des citoyens européens à part entière, a-t-elle rappelé, d’où sa réaction remarquée, et pour certains excessive, lorsqu’il y a un an elle avait affirmé que la stigmatisation d’un groupe en raison de son origine n’est pas dans nos valeurs et rappelle « les pages les plus sombres de notre Histoire ».

Leurs droits ont notamment été affirmés par une directive de 2004 sur la mobilité, qui attend toujours d’être transcrite dans le droit français et de 10 autres pays. Il s’agit donc pour elle de faire respecter les droits fondamentaux des Roms, face à une situation qui lui apparaît comme « une honte pour l’Europe ».

Il y a un an, la Commissaire a donc demandé à chaque État membre d’élaborer une stratégie nationale durable, tenant compte des réalités nationales, pour améliorer la situation, notamment sur le plan de la formation, de l’éducation et de la santé. Au printemps 2012, ces programmes seront discutés au Parlement européen. Ce sujet est révélateur de la tentation de certains gouvernements de faire du « deux poids deux mesures », de stigmatiser. Cela n’est pas acceptable, a-t-elle martelé, et son engagement ne peut qu’apparaître comme sincère.

Aussi sa réponse sur les derniers rebondissements en France, où une rame de la RATP a été réquisitionnée pour amener des Roms, y compris des mineurs, à un centre de rétention, a-t-elle pu paraître étonnante. Selon la commissaire, dans la manière de dire et de faire, la France fait preuve d’une plus grande prudence. Les derniers éclats du ministre de l’Intérieur sur la « délinquance roumaine » semblent bien loin.

Assurer les libertés sur Internet ?

Pour une autre raison, on ne peut s’empêcher d’être déçu par sa vision – ou plus exactement son absence de vision – d’Internet. Certes, l’exercice n’est pas facile car, comme elle l’a rappelé, il existe un véritable fossé générationnel entre ceux qui évoluent presque naturellement dans ces innovations – les fameux digital natives – et ceux qui ont dû adapter leurs habitudes. Toutefois, il est inquiétant que, chargée du respect des droits fondamentaux, elle ait épargné les gouvernements européens qui ont fait voter des lois liberticides. De la même manière, si elle a certes rappelé qu’Internet était un formidable vecteur d’information, de liberté et de démocratie, c’était pour en pointer rapidement les « dérives » et la nécessité d’une « régulation ».

Ce discours doit en revanche être mis en balance avec une réelle activité de la Commission sur le sujet des nouvelles technologies, notamment dans le cadre de la protection des données. Ce sujet est actuellement réglé par une directive de 1995 qui n’est donc plus adaptée, et il revient à Mme Reding de la réformer, travaux dont elle a donné un avant-goût.

En matière de droits de l’individu, droits renforcés par la Charte des Droits Fondamentaux, la réforme garantira deux droits principaux : pas de collecte de données sans l’autorisation de l’utilisateur, et le droit à l’oubli, c’est-à-dire le droit de chaque citoyen de retirer de la Toile des données le concernant. Sur le plan économique, il est nécessaire de mettre en place des régulateurs indépendants chargés de faire respecter une réglementation plus stricte mais uniforme. La commissaire a, de manière plus générale, proposé l’émission d’eurobonds pour financer des travaux d’infrastructure, notamment pour mettre en place le très haut débit pour tous.

L’Europe de la Justice : le confédéralisme par la preuve

Le dernier domaine abordé n’est une compétence de l’UE que depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne : la Justice. On retrouve sur ce plan la conception de la commissaire d’une Europe confédéraliste : la tentative de mise en place d’une législation unique et centrale européenne ne pourrait pas marcher, en raison de traditions différentes. Il faut avant tout construire des ponts, dit-elle, comme la Commission l’a fait par exemple dans deux domaines, avec des solutions très simples. Dans le domaine du droit du divorce, où les règles nationales restent en place, mais les couples internationaux décidant lors de leur mariage quel droit s’applique. Dans le domaine du droit des successions, on applique le droit du pays où se trouve le bien. Cela révèle le besoin de mise en réseaux des professionnels du droit, pour que chacun apprenne le droit des autres.

Il faut également commencer par développer des droits minimaux pour chaque citoyen, avant tout les droits procéduraux – le droit à l’information sur ses droits, assuré au niveau européen, un droit à la traduction en train d’être mis en place et le droit à la présence d’un avocat, pour lequel le processus est plus long. Ces droits ne doivent enfin surtout pas conduire à négliger le statut de la victime, afin de rapprocher l’Europe de ses citoyens.

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