“Ground control to major Tom...” Si l’on ne souhaite évidemment pas à Thomas Pesquet, astronaute français de l’ESA, la même fin tragique que le Major Tom de la célèbre chanson de David Bowie, Space Oddity, la référence a de quoi faire sourire. Depuis novembre 2016, le dixième Français à être allé dans l’espace mène de nombreuses expériences pour l’Agence spatiale européenne, et envoie régulièrement sur les réseaux sociaux des clichés surprenants du monde.
L’Europe, en retard sur les États-Unis et la Russie
L’ESA est la troisième agence spatiale après la NASA et Roscosmos, l’agence spatiale fédérale russe. Si la Nasa a été créée en 1955 et n’a cessé, depuis, de grandir, la Russie a une longueur d’avance, puisque le régime communiste avait commencé à développer une politique spatiale dès les années 20. Les travaux initialement théoriques ont permis aux Soviétiques d’être les premiers à mettre en orbite un satellite, en 1957, à envoyer des humains dans l’espace (Youri Gagarine, le premier homme, en 1961 et Valentina Terechkova, la première femme en 1962) et à organiser une sortie extravéhiculaire (en dehors de la fusée ou de la station spatiale), en 1965. À titre de comparaison, l’Agence spatiale européenne n’a été créée qu’en 1975, longtemps après les premiers exploits soviétiques et la marche sur la Lune de Neil Armstrong, en 1969.
Pourtant, dès 1964, une coalition de dix pays européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Belgique, Suède, Suisse, Espagne, Danemark) décide de mettre en commun les budgets spatiaux nationaux, alors trop limités pour pouvoir mener des recherches approfondies. Ils fondent le Conseil européen de recherches spatiales, qui parvient à créer de petits satellites mis en orbite par la NASA. Les projets sont modestes, et les recherches peu abouties, en raison des visions divergentes des différents pays, qui n’arrivent pas à s’entendre sur une véritable politique spatiale. Dans le même temps, le Royaume-Uni, dont les recherches sont assez avancées, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, et l’Australie en tant que membre associé, fondent le Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux. Ce projet prévoit de créer un lanceur suffisamment puissant pour mettre en orbite les satellites européens. Une fois encore c’est un échec. Les États ont cloisonné le travail : le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne construisent chacun un étage du lanceur, l’Italie est chargée de créer le satellite, la Belgique, la station radio, et les Pays-Bas, la station de télémétrie. Mais les constructeurs nationaux ne s’étant pas concertés, chaque essai de lancement est un échec. Les pays tournent le dos au projet spatial européen en 1971.
La relève de l’ESA : une démarche commune
En 1973, après de longues négociations, les pays européens s’entendent enfin sur des projets collectifs, bénéficiant chacun d’un seul maître d’œuvre, et notamment, la création, à la demande de la France, d’Ariane. Cette fusée permet de mettre en orbite les satellites européens. Ariane 1 fait son vol inaugural depuis la base de Kourou, en Guyane. Plusieurs versions de la fusée, de plus en plus sophistiquées, permettent aux Européens de s’approprier l’espace. Dans le même temps, l’ESA développe Spacelab, une capsule intégrée aux navettes américaines permettant d’effectuer des expériences, ainsi que MARECS, un programme de satellites permettant des liaisons téléphoniques entre les navires et la Terre.
Dans les années 2000, l’Union européenne décide d’accorder un budget conséquent à l’Agence spatiale européenne, et de lui commander de grands projets. Romano Prodi, alors Président de la Commission européenne, participe pour la première fois à la réunion interministérielle de l’ESA, en novembre 2001. L’Union européenne et l’ESA décident de créer un système de positionnement et de localisation par satellite. Le projet est ambitieux : avec le GPS, les États-Unis ont déjà mis au point un tel système, opérationnel sur toute la planète dès 1995. La Russie développe GLONASS, et la Chine Beidou. Le 15 décembre 2016, après une série de retards et de pannes, le système Galileo est devenu opérationnel et utilisable par tous, à condition de disposer d’une puce électronique adaptée.
Un secteur puissant et prometteur
La différence entre Galileo et ses concurrents réside dans sa qualité. Il est beaucoup plus précis : l’information est donnée au mètre près, contre dix mètres pour son concurrent américain, et encore plus pour les systèmes russes et chinois, qui, ne voulant pas dépendre des États-Unis, ont développé leur programme en urgence sans s’interroger sur la qualité. De plus, Galileo est beaucoup plus fiable que tous ses concurrents : à terme, au moins l’un des trente satellites sera toujours visible sur Terre, et son signal pourra être authentifié, pour assurer une plus grande garantie d’exactitude, une fonctionnalité dont ne disposent pas ses concurrents. Outre l’indépendance européenne en termes de satellite, Galileo pourrait rapporter gros aux Européens : les constructeurs automobiles, les fabricants d’avions, d’hélicoptères, de sous-marins, de navires sont d’ores et déjà intéressés par le système. Galileo sera également exploitable pour tout ce qui relève des objets connectés, et les géants de la Silicon Valley lorgnent en direction de l’Europe pour adapter leurs futurs produits techs et applications. Jean-Yves le Gall, président du Centre national d’études spatiales, estime que le PIB européen lié aux systèmes de positionnement par satellites (environ 10%), pourrait tripler en quinze ans.
Le secteur des télécoms a bénéficié des avancées spatiales : la part européenne du marché mondial est passée d’environ 10% à environ 30%. Les systèmes météo de l’ESA sont parmi les plus performants, les plus solides et les plus fiables du monde, rapidement utilisés par ses concurrents. Enfin, l’Union européenne, l’ESA et l’Agence européenne pour l’environnement se dotent de Copernicus, un programme visant à observer en temps réel la planète, afin de la protéger. L’ESA devient leader sur de nombreux aspects environnementaux, civils et de recherches, délaissés par les géants américains, russes ou chinois. L’agence développe aussi un volet pédagogique, afin de faire comprendre aux citoyens européens la nécessité d’investir dans les recherches spatiales. Ainsi, des graines de moutardes, de radis, de tomates et de lentilles ont été données à des écoles et également à Thomas Pesquet, afin que les élèves fassent pousser des plantes en même temps que l’astronaute, et puissent comparer la croissance sur Terre et dans l’espace.
Rosetta, Philae et l’origine de la vie
L’ESA a également fait parler d’elle lors d’une mission d’ampleur, qui a émerveillé la Terre entière par sa précision : l’exploration de la comète Tchouri (de son vrai nom : 67P/Tchourioumov-Guérassimenko). Dans les années 80, alors que l’ESA a réussi à prendre d’incroyables photos du noyau de la comète de Halley, l’agence imagine une mission qui aurait pour but de ramener des informations à propos des comètes sur Terre. Les comètes sont des petits corps célestes composés de glace et de poussière qui gravitent en orbite autour des étoiles et des planètes, et qui, en s’approchant d’elles, développent une petite atmosphère constituée de gaz et de poussière. Elles sont probablement toutes issues du Nuage d’Oort, un ensemble de corps situés à une année-lumière du Soleil, entre notre étoile et Proxima du Centaure (la deuxième étoile plus proche). On pense que l’eau et la vie pourraient provenir de comètes, qui en se précipitant sur la Terre, lors de sa formation, auraient relâché la glace qui les constituaient, refroidissant et formant les océans de notre planète. Les scientifiques ont pu retracer le parcours de la comète Tchouri, découverte en 1969, depuis son passage près de Jupiter, en 1840. Le projet fou de l’ESA est de parvenir à analyser la constitution d’une comète, ce qui permettrait de découvrir la nature des poussières qui la composent, et d’analyser les résidus d’étoiles et de planètes lointaines que la comète porte sur elle.
En 2004, la sonde spatiale Rosetta est lancée dans l’espace et se place dans une orbite similaire à celle de Tchouri. Pour pouvoir larguer convenablement un robot qui analysera la comète, la sonde doit se placer à moins de 30 km de cette dernière, ce qui entraîne un risque de collision. Pourtant, le 12 novembre 2014, après avoir pris d’incroyables clichés de Tchouri, Rosetta éjecte son atterrisseur, Philae, qui fait une lente chute de 7 heures dans l’espace avant de tomber sur la comète, à 1 km seulement du lieu prévu. Durant trois jours, l’atterrisseur collecte des données, puis s’éteint, faute de batterie. Mais en se rapprochant du Soleil, au cours du mois de juin 2015, il se rallume durant à peine 85 secondes et transmet des informations à Rosetta, qui les redirige sur Terre. L’équipe européenne a certes bénéficié du soutien financier et logistique de la NASA, mais les calculs et les prévisions du projet, longtemps considéré par les mastodontes de l’espace comme irréalisable, émanent bel et bien de l’ESA. La précision de leurs calculs, permettant la mise en orbite du satellite dix ans après son lancement, et l’atterrissage de Philae sur la comète, témoignent d’un savoir-faire remarquable, acclamé aujourd’hui mondialement, dans de nombreux domaines.
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