Annegret Kramp-Karrenbauer, entre continuité et changement en Allemagne ?

, par Théo Boucart

Annegret Kramp-Karrenbauer, entre continuité et changement en Allemagne ?
Annegret Kramp-Karrenbauer est la nouvelle présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Photo : Olaf Kosinsky / Wikipedia

Quel rôle la nouvelle présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) va-t-elle jouer dans la restructuration du paysage politique allemand et européen ? Quelles conséquences pour l’Union européenne ?

Les 1001 délégués de la CDU ont choisi : Annegret Kramp-Karrenbauer est la nouvelle présidente du principal parti d’Allemagne après avoir récolté 517 voix au deuxième tour face à Friedrich Merz et ses 482 voix. L’avènement de cette Sarroise de 56 ans a longtemps paru improbable, tant la victoire de Friedrich Merz paraissait vraisemblable. Angela Merkel, la présidente de la CDU jusqu’à présent, avait en effet annoncé après la débâcle électorale en Hesse qu’elle renonçait à briguer un nouveau mandat à la tête de la CDU et qu’elle quittera la vie politique allemande à partir de 2021. Un chapitre entier de la politique contemporaine outre-Rhin touche peu à peu à sa fin. Sa succession était donc scrutée de très près, d’autant plus que le résultat s’annonçait incertain.

Un scrutin rarement aussi serré

L’élection à la présidence à la CDU est habituellement un scrutin sans réel enjeux, surtout lorsqu’Angela Merkel était (seule) candidate. Celle-ci a été systématiquement réélue à la tête de la CDU avec des scores oscillant entre 85% et 95%. Le scrutin de 2018 était en revanche intéressant à plus d’un titre : trois candidats se sont affrontés pour succéder à la chancelière. Annegret Kramp-Karrenbauer, ancienne ministre-présidente de Sarre, était considérée comme la favorite d’Angela Merkel, ayant déjà été élue secrétaire générale de la CDU en février 2018. Face à elle, deux hommes défendant une vision plus conservatrice : Friedrich Merz, ancien président du groupe CDU-CSU au Bundestag au début des années 2000 et évincé par une Angela Merkel en pleine ascension, et Jens Spahn, le jeune ministre fédéral de la santé.

Pendant longtemps, d’aucuns ont pensé que Friedrich Merz pouvait l’emporter : à défaut d’appartenir à la nouvelle génération, celui-ci proposait de sortir du « merkelisme » avec un programme fermement libéral sur le plan économique et très conservateur sur le plan sociétal, susceptible de récupérer les électeurs captés par l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite. Friedrich Merz pouvait surtout compter sur des soutiens de poids, comme le président du Bundestag, Wolfgang Schäuble, et des sondages favorables, même si ce sont les délégués du parti qui votaient, et non les sympathisants. La course a donc été serrée, à l’image du scrutin particulièrement incertain jusqu’à la dernière minute.

Annegret Kramp-Karrenbauer va de ce fait devoir rassembler la CDU pour tenter d’endiguer la perte de popularité constatée depuis quelques années et dont les élections nationales et locales ne sont que les révélateurs. Lors des dernières élections législatives, la CDU-CSU avait en effet obtenu 33% des voix, contre 41,5% en 2013. Si le score encore plus catastrophique du SPD a quelque peu caché ce camouflet, il s’agit bel et bien d’un très mauvais score pour la CDU, d’autant plus que les sondages actuels tournent autour de 30%, voire moins. La définition d’une ligne politique claire qui puisse rassembler les supporters d’Annegret Kramp-Karrenbauer et de Friedrich Merz est tout aussi compliquée que nécessaire.

Maîtriser le virage à droite

Si l’élection d’Annegret Kramp-Karrenbauer est une bonne chose pour Angela Merkel, elle qui peut compter sur une présidente de parti loyale et partageant la plupart de ces opinions, est-ce l’assurance d’un héritage conservé pour les prochaines années ? Le principal objectif fixé par la CDU semble être le retour des électeurs séduits par l’AfD. Friedrich Merz et surtout Jens Spahn se sont fait connaître par leur conservatisme revendiqué, mais Annegret Kramp-Karrenbauer s’est également illustrée par une certaine prise de distance avec les mesures sociales d’Angela Merkel, concernant notamment la politique migratoire et la double nationalité. Néanmoins, si virage à droite il y a, ce dernier devra être très calculé, au risque de perdre cette fois-ci les électeurs du centre-droit qui pourraient se retrouver chez les libéraux du FDP ou même au SPD. C’est donc un véritable numéro d’équilibriste auquel la nouvelle présidente de la CDU devra s’adonner, entre volonté de rassemblement et définition d’une nouvelle ligne claire pour permettre à l’Union CDU-CSU de s’engager de nouveau sur la voie des succès électoraux.

Madame la Chancelière Kramp-Karrenbauer ?

Selon toute bonne logique (et malgré sa victoire relativement serrée), Annegret Kramp-Karrenbauer devrait être candidate à la chancellerie aux élections de 2021. La perspective d’une chute de la coalition gouvernementale actuelle semble éloignée avec la victoire d’une proche de Merkel à la tête de la CDU (évitant le risque de fronde au sein du parti). Au vu des sondages calamiteux, il est peu probable que le SPD fasse tomber délibérément la « Grosse Koalition » (grande coalition) pour rebondir lors d’élections anticipées. Une telle perspective ne ferait les affaires que de l’AfD ou des Verts, surfant sur une vague de popularité quasiment inédite.

Néanmoins, Annegret Kramp-Karrenbauer a affirmé que sa candidature pour être chancelière n’était pas automatique, ce qui laisse le champ libre à d’autres candidatures (pourquoi pas celle de Friedrich Merz, celui-ci ayant déjà fait savoir qu’il était disponible pour un poste à responsabilité au sein du gouvernement fédéral).

Une candidature et une victoire d’Annegret Kramp-Karrenbauer pourrait faire les affaires de la France et de l’Europe. en effet, la nouvelle présidente de la CDU est originaire de la Sarre, petite région à la frontière lorraine et initiatrice de la « Frankreich Strategie », une politique devant faire de la Sarre un Land entièrement bilingue allemand-français d’ici 2043 [13]. Sa francophilie est donc une très bonne chose pour le couple franco-allemand, nécessaire (mais pas suffisant) pour réformer l’Union européenne. Son style sobre et consensuel ainsi que sa volonté de combattre le populisme est également une bonne chose à l’heure où l’UE cède de plus en plus à la démagogie populiste. La perspective d’une Annegret Kramp-Karrenbauer chancelière est néanmoins encore très hypothétique, contrairement aux problèmes, bien réels, auxquels l’UE doit faire face et qui nécessitent des solutions au plus vite, comme la montée irrémédiable des populismes ou la crise sociale touchant la plupart des pays membres.

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