Apatride en Europe ? Du pouvoir de la langue

, par Jonas Botta , traduit par Cécile Gérard

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Apatride en Europe ? Du pouvoir de la langue

Unie dans la diversité : telle est la devise de l’Union européenne. En ce sens, le progrès européen se mesure à l’aune du degré d’intégration européenne. Une des composantes essentielles de cette intégration est la préservation, ainsi que son maintien, des différentes identités culturelles en dépit d’une mondialisation croissante. Toutefois, cela ne semble pas s’appliquer aux frontières orientales de l’Union : En Estonie, Lettonie et Lituanie, il n’est pas question d’égalité de droits ni d’intégration des minorités vivant sur place.

Les apatrides, des citoyens de second rang

Lors des élections municipales du 1er juin 2013 en Lettonie, près de 280 000 personnes n’ont pas eu le droit de se rendre aux urnes, soit près de 14 % de l’ensemble de la population. Alors que les citoyens européens immigrés en Lettonie disposent du droit de vote actif et passif aux élections municipales, ce n’était pas le cas de nombreuses personnes âgées issues de la minorité russophone. La raison ? Elles ne détiennent pas la nationalité lettone, mais seulement une carte de « non-citoyens ».

Les ressortissants de la minorité sont des apatrides et sont ainsi relégués au rang de citoyens de seconde classe dans leur propre pays natal. Non seulement, ils sont exclus du système électoral, mais ils ne peuvent pas non plus exercer un métier au sein des services publics. D’après le comité letton pour les droits de l’Homme, on dénombrait, en octobre 2011, quatre-vingts différences entre les statuts juridiques des non-citoyens et des lettons.

L’apatridie, héritage de l’ex-URSS

L’apatridie des minorités trouve ses racines dans l’Histoire récente. L’Union soviétique, à laquelle appartenaient tant la Lettonie, l’Estonie que la Lituanie, comptait de nombreux Russes installés sur le territoire des actuels pays baltes. Après l’effondrement de l’URSS en 1990 et les déclarations d’indépendance de ses anciennes républiques, les ressortissants des minorités, souvent perçus comme des ennemis, ne reçurent pas de passeports nationaux. La liberté fraîchement acquise devait être protégée de la « cinquième cohorte » de Moscou.

Cependant, l’acquisition des différentes nationalités par les minorités est possible, à certaines conditions. En Lettonie par exemple, les non-ressortissants de l’Union européenne doivent réussir un test d’intégration en letton. Alors que cela ne constitue pas un écueil pour la jeune génération, ce test linguistique dissuade surtout la tranche de population de plus de 45 ans. Ce qui empêche ainsi l’intégration des plus âgés.

La langue, un facteur de pouvoir

La langue est essentielle pour exister et perdurer au sein d’une communauté culturelle, et la contrôler permet d’exercer un grand pouvoir. Dès lors, dans le sens de la politique du gouvernement, il semble tout à fait logique que le russe ne soit pas une langue officielle en Lettonie, après le letton. En réalité, cela défavorise gravement les locuteurs non-natifs lorsque ceux-ci doivent par exemple avoir accès à des informations officielles ou se rendre dans les services administratifs. En février, un référendum a été organisé dans le but de placer le russe au rang de langue officielle. Celui-ci a échoué.

La demande du « Congrès des non-citoyens », une plateforme des apatrides en Lettonie, d’obtenir davantage d’influence politique au cours des dernières municipales, n’a pas non plus été reçue. Pour l’instant, ce « Congrès des non-citoyens » tente de rédiger une pétition à l’attention du gouvernement letton en vue d’établir un nouveau droit de nationalité. Cependant, le référendum et les élections municipales démontrent que le gouvernement peut compter sur une large majorité en faveur de sa politique discriminatoire.

La CJUE légitime cette politique linguistique discriminatoire

Tout comme en Lettonie, les minorités russophone et polonophone en Estonie et en Lituanie jouissent également de droits limités. Par exemple, les autorités lituaniennes refusent encore et toujours de rendre aux quelque 250 000 polonophones les propriétés foncières expropriées pendant l’époque communiste.

Dans les deux pays, les minorités ont lutté en vain pour une égalité des droits. Leurs représentants n’ont jusqu’à présent rien obtenu non plus au niveau européen. Par exemple, la plainte contre la lituanisation forcée de noms polonais a été déboutée par la Cour de Justice de l’Union européenne, située à Luxembourg. En outre, jusqu’à présent, le gouvernement lituanien refuse de signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires visant à protéger l’identité culturelle de minorités.

À l’avenir, au vu de sa précédente décision, la CJUE autorisera également les gouvernements à utiliser la langue comme moyen de pouvoir contre les minorités. Plus les personnes concernées resteront exclues d’un processus politique, plus la tâche leur sera aisée.

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