Au cours du mois de juillet 1397, les royaumes de Danemark, de Norvège et de Suède s’unissent pour former l’Union de Kalmar sous le couronnement du jeune roi Erik de Poméranie, âgé de 15 ans seulement. À l’origine de cette union, Marguerite Ière, dont la politique intransigeante lui permet d’écarter ses rivaux et d’asseoir sa domination sur l’ensemble du nord du continent. Née en 1353, la future souveraine est la fille du roi du Danemark, Valdemar Atterdag. C’est par le jeu d’une succession d’héritage qu’elle se trouve en position de fonder l’union scandinave. Reine de Norvège après son mariage avec le roi Håkon VI en 1363, les morts successives de son père en 1375 et de son époux en 1380 lui permettent d’obtenir la régence des deux royaumes pour son fils Olaf Håkonsson [1]. Néanmoins, le décès prématuré de ce dernier en 1387 laisse les trônes vacants. L’aristocratie des deux royaumes décide alors de remettre les pleins pouvoirs à Marguerite. Au même moment, du côté suédois, les nobles destituent leur roi Albrekt de Mecklembourg qui applique une politique contraire à leurs intérêts. La noblesse de Suède se tourne vers la jeune femme qui se fait élire « dame toute puissante et seigneur légitime » en 1388 à la conférence de Dalaborg [2].
Une femme à l’origine de l’Union
Marguerite Ière assoit son pouvoir au cours de ces années mais, veuve et sans descendance, elle se retrouve rapidement contrainte d’assurer sa succession dans les trois royaumes. Pour ce faire, elle choisit comme héritier le petit-fils de sa sœur, le jeune Bogislav. Destiné à recevoir la couronne dans les trois royaumes scandinaves, Bogislav change son nom pour celui d’Erik, nom à consonance royale. Couronné le 17 juin 1397 dans la ville de Kalmar, le roi monte sur le trône au cours d’une cérémonie qui a lieu en présence d’une importante assemblée composée de seigneurs et de représentants du haut clergé des trois royaumes.
Bien que l’Union soit gouvernée par un roi en 1397, la réalité du pouvoir réside entre les mains de Marguerite Ière qui l’exerce activement jusqu’à son décès en 1412. Malgré tout, dans les différentes étapes de la construction de l’Union, une assemblée aristocratique apparaît constamment impliquée aux côtés des souverains : le conseil du royaume ou riksråd. Ces assemblées ne bénéficient pourtant pas du même poids politique en fonction des royaumes. En Norvège, où la dévolution successorale est héréditaire [3], les monarques jouissent d’une grande légitimité ce qui entraîne un pouvoir fortement centralisé. Par conséquent, le conseil du royaume se réduit à un organe de gouvernement entre les mains du souverain. À l’inverse, dans les royaumes électifs de Danemark et de Suède, où l’aristocratie fait et défait volontiers les rois, le riksråd est surtout un lieu de dialogue entre le Prince et le pays. Cette divergence en matière de dévolution successorale marque l’histoire de l’Union. De manière globale, la Norvège se montre légitimiste et loyale, là où la Suède affiche un caractère frondeur permanent. Le fait que Marguerite Ière soit parvenue à faire accepter l’hérédité des trois couronnes nordiques à deux royaumes pourtant acquis au principe électif reste un mystère.
Une reine exerçant un pouvoir personnel : une main de fer dans un gant de fer
De façon générale, il semble que Marguerite Ière ait cherché à écarter tout élément pouvant venir contrarier sa puissance personnelle. De ce fait, elle laisse vacantes de nombreuses fonctions administratives, que ce soit celle de grand officier de la Couronne, de maréchal, de gouverneur de Scanie ou bien nomme des agents dépendants directement d’elle. La souveraine n’hésite pas non plus à déposséder de leurs terres les aristocrates qu’elle estime trop autonomes par une série de réformes qui vise à réincorporer à la Couronne des territoires ayant autrefois appartenu à celle-ci.
L’Union que crée Marguerite Ière ne peut être que personnelle car il n’existe pas d’institutions centrales, mais seulement des réseaux d’influences dont elle renforce le caractère en nommant aux fonctions importantes des individus qui lui sont acquis. Une caractéristique commune du système politique scandinave est l’absence d’assemblées politiques plus larges correspondant aux états généraux en France ou au Parlement anglais. Le seul organe décisionnel régulier aux côtés des rois scandinaves est le riksråd, qui fonctionne comme un outil du monarque ou qui prétend représenter la communauté du royaume dans les relations avec le pouvoir royal. Dans un tel système seigneurial la logique qui s’impose est celle qui veut que les plus puissants écrasent les plus faibles en toute impunité. Dans cet environnement, le triomphe d’un individu constitue bien plus la victoire d’un réseau d’influence que l’affirmation d’une idée politique précise. L’idée de « bien commun », sur laquelle s’appuient les rois de France pour construire l’État à la fin du Moyen ge, semble bien loin au nord du continent.
Une divergence politique entre le nord et le sud de l’Europe
Au Moyen ge, le nord et le sud de l’Europe se démarquent par des logiques juridiques et politiques divergentes. Dans le sud, le droit découle de concepts théoriques alors qu’au nord ceux-ci découlent d’une pratique sociale. Au sud, le gouvernant et ses délégués incarnent l’État ; au nord, les individus participent à l’exercice des droits dans la collectivité. Cette différence s’explique par la réalité sociale du nord. Celle-ci repose, au tournant du Ier millénaire, sur le bóndi, l’homme libre, et le thing, qui est l’assemblée des hommes libres. Éloignée des normes juridiques méridionales, cette société ne connaît pas les rapports féodaux.
La source de l’Union de Kalmar réside dans un pouvoir personnel, celui de Marguerite Ière. Pouvoir personnel, caractéristique des constructions institutionnelles du nord de l’Europe, en cela qu’il repose sur la confusion du pouvoir et de la personne qui l’exerce ainsi que sur l’absence d’un cadre juridique clairement défini. La confusion des pouvoirs entre Marguerite Ière et Erik de Poméranie, roi légitime au sens juridique, entache dès l’origine la nouvelle organisation politique. En conséquence, celle-ci n’est durable que tant que le gouvernant a la volonté et la puissance nécessaires à sa conservation, ce qui fera défaut à l’Union lors de sa chute en 1523, témoignant de la réalité du monde scandinave : « dans les terres de liberté comme celles du Nord, il n’est possible de s’imposer aux autres que si l’on en a les moyens matériels [4] ».
Cette Union peut témoigner de la différence conceptuelle existant entre l’Europe méridionale et l’Europe septentrionale : alors qu’au sud le lien politique se fait par l’observation d’un modèle théorique issu de Rome, la res publica, au nord il résulte essentiellement d’une concertation des individus qui se dotent de règles pour réguler leurs rapports entre eux, d’un commonwealth [5]. L’Union ne repose pas sur de fortes bases institutionnelles et se renforce ou s’affaiblit au gré des circonstances comme en témoigne son évolution tourmentée après le décès de Marguerite Ière [6].
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