« Kristina Timanovskaya n’est pas seulement une athlète que le régime a tenté d’enlever et d’emmener de force de Tokyo au Bélarus. Kristina Timanovskaya est la preuve que toute athlète biélorusse envoyée aux Jeux Olympiques peut devenir un otage si elle trouve le courage de parler. Aucun Bélarusse qui a quitté les frontières du pays n’est en sécurité, car il peut être enlevé, comme Kristina Timanovskaya ou Roman Protassevitch ». Ces mots, écrits par la cheffe de l’opposition bélarusse, Svetlana Tikhanovskaya, sur sa boucle Telegram, rebondissent sur le dernier exemple en date de la répression arbitraire que le régime bélarusse exerce depuis maintenant un an.
Le 1er août dernier, alors que les Jeux Olympiques battent leur plein à Tokyo, au Japon, l’athlète Kristina Timanovskaya, spécialiste du sprint, annonce être forcée de rentrer à Minsk par ses entraîneurs. La jeune espoir de l’athlétisme bélarusse avait en effet critiqué la gestion des courses et des relais en équipe par sa fédération. Devant la médiatisation de ce qui ressemblait à un enlèvement, la Pologne accorde un visa humanitaire à l’athlète et son mari.
Soupçonnant une ingérence politique (le président du comité national olympique bélarusse est Viktor Loukachenko, le fils du président), le Comité International Olympique (CIO) retire l’accréditation des deux entraîneurs impliqués dans cette tentative d’enlèvement. Ils doivent être entendus par les instances olympiques dans le cadre d’une commission disciplinaire.
Cet événement s’est déroulé une semaine avant le premier anniversaire des élections présidentielles du 9 août 2020 au Bélarus. Des élections que de nombreux observateurs et pays de la communauté internationale ont déclarées truquées dans la mesure où Alexandre Loukachenko, dirigeant du Bélarus depuis 1994, est réélu avec plus de 80% des voix face à Svetlana Tikhanovskaya, candidate unique de l’opposition après l’incarcération de son mari.
Mouvement démocratique d’une ampleur inédite
Cette énième fraude électorale a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, bien aidée en cela par une situation économique déjà difficile et une gestion calamiteuse de la crise du Covid-19. Des premiers signes avant-coureurs étaient présents dès mai 2020 avec l’arrestation de Sergueï Tikhanovski pour avoir traité Loukachenko de « cafard ». Les manifestations du mois de juin ont conduit à l’arrestation de 1300 personnes, selon le groupe de lutte pour les droits de l’homme Viasna. C’est également au mois de juin que le pouvoir a arrêté l’opposant Viktor Babaryko, poussant Tsikhanovskaya a déclarer sa candidature à l’élection présidentielle, une candidature vite perçue comme un puissant message anti-Loukachenko.
Si des manifestations ont lieu quelques jours avant le scrutin, celles-ci prennent une ampleur inédite après que la fraude a été révélée au grand jour. Adoptant un modèle de protestation hebdomadaire, qui rappelle les manifestations pacifiques en Allemagne de l’Est juste avant la chute du Mur de Berlin, les Bélarusses sont des centaines de milliers à manifester dans plusieurs villes (notamment Minsk, Brest-Litovsk ou Gomel) tous les samedis qui suivent le scrutin (notamment les 16, 23, 30 août, ainsi que les 6 et 27 septembre et le 25 octobre). Des marches des femmes ont également lieu, la première étant organisée début septembre. Devant l’essoufflement du mouvement, le Conseil de coordination, formé le 14 août par les principaux dissidents, incite les Bélarusses à manifester en groupes plus restreints et plus difficilement cernables par les autorités. Ces « marches des voisins » rythment le rigoureux hiver bélarusse. En février 2021 pourtant, Tikhanovskaya déclare que le combat de la rue « a été perdu » devant la détermination du régime. Depuis lors, les manifestations connaissent un nouvel essoufflement.
Si la stratégie pacifique de la cheffe de l’opposition est de plus en plus remise en question, l’ancienne candidate à la présidentielle, dans un entretien avec le média Le Courrier d’Europe centrale, considère toujours le dialogue comme étant la seule solution.
Il serait pour autant erroné de penser que cette colère pacifique vient de nulle part et s’est exprimée spontanément. En dépit des apparences, le Bélarus a connu de nombreuses révoltes plus ou moins importantes sous l’ère Loukachenko. En mars 2006, la « révolution en jean » avait été une première tentative de révolution pacifique menée par le collectif « Zubr » qui contestait déjà les résultats électoraux. D’autres manifestations plus ou moins massives ont eu lieu en décembre 2010, toujours contre la réélection du dictateur, et surtout en 2011 et en 2017 contre les politiques du régime et les emprisonnements arbitraires d’opposants politiques. Cependant, de nombreux observateurs s’accordent à dire que les manifestations de 2020 et 2021 ont été les plus massives de l’histoire. Pour le journaliste franco-bélarusse Andreï Vaïtovich, interviewé en février dernier par Le Taurillon, « les Bélarusses se sont réveillés dans un autre pays » au lendemain de l’élection présidentielle.
Réactions disproportionnées du régime
Malgré la vivacité et la résilience sans précédent des manifestations pacifiques, le régime d’Alexandre Loukachenko n’a pas cédé, loin s’en faut. Celui-ci a multiplié les arrestations violentes (plus de 30000 selon les estimations) et les forces de sécurité (les tristement célèbres OMON) ont fait couler beaucoup de sang : entre 1500 et 4000 manifestants auraient été blessés (contre un peu plus de 100 blessés parmi les forces pro-régime), souvent lors de passages à tabac, et au moins quatre manifestants ont trouvé la mort dans la rue. Malgré la pression citoyenne, Alexandre Loukachenko n’a pas cédé pour le moment et a même organisé sa prestation de serment un mois et demi après sa « victoire » électorale.
La répression terrible aura certainement des conséquences de très long terme sur la société civile bélarusse, complètement asphyxiée par les forces gouvernementales. Le 22 juillet, le coup de grâce a pu être porté avec la liquidation de près de 50 ONG (dont Viasna) dans ce qui est appelé une « opération de nettoyage » contre des organisations qualifiées de « bandits de l’étranger ». Ces organisations « représentent l’un des derniers bastions d’une société civile abasourdie par une année de répression et vidée de ses forces par l’exode d’activistes, d’intellectuels et de journalistes qui en a découlé », selon les mots du journal La Croix. Parallèlement à ces attaques, le régime poursuit le muselage des médias. Durant les deux dernières semaines de juillet, ce ne sont pas moins de 60 rédactions qui sont perquisitionnées.
Le régime de Minsk n’a pas non plus courbé l’échine face aux nombreuses sanctions de l’Union européenne et a même radicalisé sa position vis-à-vis de Bruxelles. Le 28 juin dernier, le pays a ainsi annoncé « suspendre » sa participation au Partenariat Oriental, instance de coopération entre l’Union européenne et six pays d’Europe orientale (Bélarus, Moldavie, Ukraine, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan). Même si la participation de Minsk était déjà assez limitée, ce dernier rebondissement est un véritable signal de l’absence possible de dialogue avec le grand voisin de l’Ouest.
Signe de la paranoïa de Loukachenko et de ses sbires, des dissidents sont même neutralisés en dehors des frontières du Bélarus. Le monde entier a ainsi été stupéfié par le détournement du vol Ryanair 4978 le 23 mai dernier, à l’intérieur duquel se trouvait l’ancien rédacteur-en-chef de la chaîne Telegram Nexta, Roman Protassevitch, placé en résidence surveillée depuis lors. Début août, Vitaly Chichov, dirigeant d’une association d’aide à la diaspora bélarusse en Ukraine, est retrouvé pendu à Kiev. Les soupçons d’un assassinat politique masqué pèsent sur le régime.
Solutions internes, conséquences géopolitiques
Si la crise politique au Bélarus est un problème interne, ses répercussions dépassent ses frontières. Dès les premiers jours de la crise, les opposants au régime sont exilés, de gré ou de force, dans les pays frontaliers. La Lituanie accueille ainsi la leader de l’opposition démocratique Svetlana Tikhanovskaya, la Pologne, Olga Kovalkova, une des dirigeantes du Conseil de coordination de l’opposition, et l’Ukraine avec feu Vitaly Chichov. Ces pays sont donc concernés malgré eux par la situation politique interne chez leur voisin. Lorsque le pouvoir en place dévie des avions de ligne, ou fait passer illégalement des flots de réfugiés sur leur sol en vue de les déstabiliser, ils n’ont d’autres choix que de réagir. A travers eux, c’est également l’ensemble de l’Europe et du monde occidental qui est ciblé par le régime de Loukachenko.
Autant de situations qui poussent les pays européens à s’impliquer dans la résolution de la crise politique et démocratique au Bélarus. Une aide également réclamée par l’opposition à de nombreuses reprises. Car si la solution à la crise à laquelle le pays est confronté depuis un an ne peut venir que de l’intérieur, la pression internationale peut également changer les rapports de force.
Combien de temps en effet, le régime de Loukachenko est-il en mesure de survivre face aux vagues de sanctions dont il fait l’objet ? La dernière salve, adoptée en juin dernier, vise tout particulièrement des secteurs économiques considérés comme stratégiques pour le pouvoir avec l’interdiction d’exportations de technologies à double usage, de pétrole, potasse, tabac… L’interdiction de survoler l’espace aérien du pays , décidée quelques semaines plus tôt, privait déjà le régime d’une partie de ses revenus.
A cet isolement économique, s’ajoute également une mise au ban au niveau diplomatique. Ne reconnaissant pas les résultats de l’élection du 9 août 2020, la plupart des pays occidentaux n’entretiennent de relations diplomatiques qu’avec la cheffe de l’opposition Sviatlana Tikhanovskaya. Depuis un an, cette dernière a rencontré plus d’une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernements (contre trois par Loukachenko). Elle est en outre régulièrement invitée à s’exprimer devant le Parlement européen ou au sein du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE, au même titre que les ministres et chefs d’États. Loukachenko ne peut, pour sa part, que compter sur le soutien de la Russie, avec laquelle les relations n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Il est donc possible de penser que le soutien de Vladimir Poutine à Alexandre Loukachenko n’est pas inconditionnel. Le maintien de la pression occidentale sur le régime bélarusse, peut accroître la dépendance de celui-ci au Kremlin à court et moyen-terme mais la constance de ce soutien n’est pas garantie.
A l’heure de ce premier anniversaire de l’accession de Loukachenko au pouvoir, le bilan est mitigé. L’avenir de la révolte bélarusse semble bien compromis, malgré l’importance numérique des manifestants, situés dans plusieurs centres urbains du pays. Il faut dire qu’au-delà des appuis extérieurs du régime, il existe un désaccord sur l’importance réelle des soutiens internes au Président Alexandre Loukachenko. Malgré les nombreuses affirmations de Tikhanovskaya, l’historien Bruno Drweski estime que le président-dictateur conserve le soutien de la majorité des Bélarusses. Analysant les résultats de l’élection d’août 2020, il estime que « [le score de] 80 % est très certainement exagéré mais Loukachenko reste celui qui a la majorité, pas forcément par enthousiasme mais par souci de défendre les acquis sociaux et la propriété publique. À l’échelle du pays car, à Minsk, on serait davantage sur du 50/50 entre les deux camps ».
Pour autant, ces manifestations ont eu un impact sur le régime, précipitant les différentes prises de sanctions à son encontre. Leur médiatisation a également donné une plus grande visibilité à leur cause et à la situation dans leur pays. Le Prix Sakharov 2020 décerné par le Parlement européen a ainsi été remis à l’opposition bélarusse pour son combat contre le régime, témoigne de la reconnaissance du mouvement à l’international.
En tant que média pro-européen et fédéraliste, Le Taurillon ne peut cependant qu’inciter l’Union européenne à soutenir la révolte pro-démocratie.
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