Un Premier ministre chahuté
À l’image de la Serbie, de la Roumanie, de l’Arménie, du Monténégro et de la Biélorussie, les Bulgares n’entendent plus se laisser gouverner par un pouvoir corrompu voire répressif.
Boïko Borissov (surnommé « BoBo ») est arrivé au pouvoir en 2009. Maire de la capitale Sofia de 2005 à 2009 sous l’étiquette du Mouvement national Siméon II (NDSV), roi des Bulgares de 1943 à 1946, il court-circuite le NSDV en fondant son parti Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, à l’acronyme assez peu flatteur de GERB pour les législatives de 2009 qu’il remporte haut la main. Il démissionne une première fois en 2013 à la suite de protestations contre la cherté de la vie, avant d’être réélu la même année. Le scrutin européen de 2014 marqué par une forte abstention incite certains partis à retirer leur soutien à « BoBo » et son gouvernement tombe. De nouvelles élections anticipées sont alors convoquées pour la deuxième fois en moins d’un an et remportées une nouvelle fois par le GERB. Deux ans plus tard, la victoire de Rumen Radev, soutenu par l’opposition socialiste prorusse lors de l’élection présidentielle pousse Borissov à sa deuxième démission. Démission « annulée » par sa nouvelle victoire lors du scrutin législatif de 2017.
Un temps allié aux Patriotes Unis d’extrême-droite conservatrice et antimondialiste, le GERB peut désormais compter dans son gouvernement le VMRO-BND (parti-frère du VMRO-DPMNE macédonien) nationaliste et promouvant une Grande Bulgarie englobant l’Est de la Macédoine du Nord ainsi que la Thrace grecque, et le populistes et nationaliste NFSB, alors qu’un troisième parti d’extrême-droite, Volya, soutient sans participer. Ce gouvernement qui tangue très à droite n’est que le reflet du spectre politique bulgare qui compte une dizaine de partis à la droite de la droite.
Un peuple encore en colère
Depuis maintenant plus d’un mois, des milliers de Bulgares descendent dans les rues pour exprimer leur colère face à un gouvernement qu’ils accusent de dérives judiciaires et de corruption. La Bulgarie est classée à la 74ème place du classement mondial établi par l’ONG Transparency International sur le niveau de corruption, la pire place dans l’Union européenne, classée derrière la Hongrie, la Biélorussie ou encore l’Arabie Saoudite. Conséquences de la crise sanitaire et des limites qu’elle pose en termes de distance sociale ou rejet de violences matérielles comme en Roumanie ou en Serbie voisines, au-delà des manifestations dans les rues de Sofia, Varna ou encore Plovdiv, d’autres formes de contestation sont utilisées comme le blocage des routes ou des grèves de la faim. Début août, plus de 5000 manifestants se sont réunis sous la pluie pour reformer les barrages sur les voies de communication levés régulièrement par la police locale. Une colère qui se diffuse d‘ailleurs au-delà des frontières via la diaspora bulgare notamment à Québec.
Mais c’est une histoire impliquant le Président de la République qui a mis le feu aux poudres. Le 9 juillet dernier, deux conseillers présidentiels ont été perquisitionnés à la suite d’une décision du Procureur général, réputé très proche de Boïko Borissov. En outre, le Premier ministre accuse le Président d’avoir piloté, directement ou non, un drone filmant « BoBo » torse nu sur son lit dans sa résidence, à proximité d’une valise remplie de billets de banque et d’un pistolet… Cliché très proche de ce que l’on peut imaginer d’un mafieux après une affaire rondement menée.
Des soupçons de manigances et de combines étayés par les réticences du gouvernement à inculper les leaders du parti ethnique turc, le DSP, accusés d’occuper illégalement l’espace public et de se servir des moyens de l’État notamment en termes de sécurité. Le 5 août dernier, Boïko Borissov avait pourtant fait un premier pas vers les manifestants en réunion publique en appelant au calme et en envisageant une démission personnelle sans anticiper le prochain scrutin qui doit se tenir en mars 2021. Appel au calme torpillé par une violente répression des manifestants et des journalistes présents à cette conférence, et démission finalement rejetée à peine 24 heures plus tard par Boïko Borissov en personne, conforté par le soutien de ses alliés au pouvoir.
Le silence coupable des autorités européennes
Comme d’habitude quand il s’agit de condamner de concert des violences perpétrées par un gouvernement, les Européens ne brillent pas par leur harmonie. L’Union européenne le démontre notamment dans les procédures d’adhésion, elle est capable de contraindre les pays à modifier leur législation sur des sujets aussi fondamentaux que la justice ou la lutte contre la corruption. La Cour de Justice de l’Union européenne est garante de l’application du droit de l’Union européenne qui contient notamment des libertés et droits fondamentaux. La Bulgarie faisant partie à part entière de l’UE, cette dernière a donc toute légitimité pour inciter les gouvernements à réformer le système judiciaire quand il présente des lacunes graves.
Bruxelles est également coupable de fermer les yeux face à la corruption qui gangrène le pays. Les groupes mafieux, hérités de l’époque post-communiste et plus précisément d’anciens services d’espionnage, ont prospéré sur une difficile transition vers un système démocratique d’État de droit, mais également sur l’incapacité de l’Union européenne à soutenir le régime.
Aujourd’hui, il est bien difficile de trouver des chefs d’État et de gouvernement européens dénonçant d’une part la corruption endémique en Bulgarie mais également la répression musclée des manifestants depuis début juillet. BoBo est en effet devenu un partenaire stratégique et incontournable au Sud-Est de l’Europe d’une part pour Bruxelles et d’autre part pour Berlin. Ainsi, la Bulgarie forme avec la Grèce, le dernier rempart face à la Turquie d’Erdoğan, d’une fiabilité aussi déclinante que son attachement pour le respect des droits fondamentaux. D’autre part, le GERB est membre du Parti Populaire Européen (PPE), en perte de vitesse et qui s’écharpe sur la participation du Fidesz. L’ancien ministre de la justice bulgare Hristo Ivanov entre 2014 et 2015 souligne que « le déclin d’un Empire se vérifie quand il délègue la gestion de ses frontières à des chefs de guerre ». Tout est dit.
Alors que des soupçons de fraude continuent de s’accumuler concernant l’utilisation de fonds européens, Hristo Ivanov dénonce l’absence total de soutien de la part de Bruxelles et particulièrement de Frans Timmermans chargé alors de l’État de droit, quand il était ministre de la justice et qu’il proposait des réformes ambitieuses, bien trop pour BoBo. Ivanov démissionne d’ailleurs dès 2015.
Rappelons en outre que la Bulgarie, au même titre que la Roumanie, fait l’objet d’un Mécanisme européen de coopération et de vérification chargé de surveiller la situation de l’État de droit, de la justice ou encore des droits fondamentaux. L’Europe à deux vitesses existe bel et bien, mais pour quel résultat ?
Le 10 juillet dernier, en plein milieu d’une crise économique liée à la Covid-19, la Banque centrale européenne a annoncé avoir accepté la Bulgarie comme la Croatie au sein du Mécanisme de change européen (MCE II). Gageons que les autorités financières européennes jugent le niveau de corruption du pays suffisamment soutenable pour y introduire la monnaie unique.
Une fois de plus, l’intégration européenne ne doit pas se faire trop rapidement. Certains pays, dont le système démocratique est tout jeune ou beaucoup plus vieux, peuvent souffrir de carences démocratiques et judiciaires qu’il est primordial de tenter de guérir. L’élargissement et l’approfondissement doivent se faire à l’aune des droits fondamentaux.
1. Le 15 août 2020 à 19:48, par Bertoux En réponse à : « BoBo » agace, mais seulement en Bulgarie
D où Boris est surnommé Bobo ? Son surnom est Boyko la citrouille.
Très bon article autrement.
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