Bonnets rouges et Europe

, par Kevin Jezequel

Bonnets rouges et Europe

Quel rapport y a t-il entre la révolte des nouveaux bonnets rouges et l’Europe ? Peux-t-on interpréter les événements des 10 derniers jours en Bretagne selon la grille de lecture européenne ?

Petit rappel de la genèse du mouvement : parti d’un affrontement autour du portique écotaxe de pont-de-Buis le 26 octobre dernier, le phénomène des bonnets s’est cristallisé une semaine plus tard lors d’une manifestations ayant rassemblé entre 20 000 et 30 000 personnes à Quimper.

Parmi ceux ci, des syndicats (FO, CGT, SLB...), des organisations professionnelles (agriculteurs, marins-pêcheurs), des salariés licenciés de nombreuses entreprises de l’agroalimentaire, des partis politiques (NPA, Union démocratique bretonne, Parti breton, les Alternatifs...), des personnalités politiques de différentes tendance (Marc le Fur (député UMP), Christian Troadec (député divers-gauche), Paul Molac (député UDB, groupe EELV). L’élargissement du mouvement a donné lieu au télescopage de mots d’ordre différents, voire opposés.

L’Europe est fortement présente dans les discours. Pourquoi les salariés de Tilly-Sabco ont-ils occupé la sous-préfecture de Morlaix lundi dernier ? Pour que le gouvernement exige et obtienne de l’Europe une aide qui compense les restitutions, autrement dit les aides à l’exportation qui permettaient à la volaille bretonne d’être compétitive à l’international. Les manifestants ont ensuite cessé l’occupation une fois l’assurance de Stéphane Le Foll de leur obtenir un rendez-vous avec... Dacian Ciolos, commissaire européen à l’agriculture. La France est ici une courroie de transmission, ni plus ni moins.

Trois types de revendications se rencontrent dans la révolte des bonnets rouges.

Lutte contre l’écotaxe d’abord : alors que du temps de sa prospérité, la Bretagne possédait la première marine marchande d’Europe, elle se voit aujourd’hui comme une péninsule en danger d’isolement sur le continent. Dans ce contexte, l’écotaxe est vue comme un nouveau facteur d’éloignement des marchés européen et de marginalisation de la Bretagne en Europe, cela alors qu’aucun projet alternatif (ferroutage, transport maritime) ne semble envisagé, et que le produit de la taxe est réputé devoir servir à construire le Grand Paris et le Lyon-Turin. Pire, comme le montre mediapart, l’écotaxe sous la forme proposée aurait abouti à taxer les producteurs locaux et les régions périphériques sans rien changer au trafic international au cœur de l’Europe.

Lutte pour l’emploi et des salaires décents ensuite. Le thème du dumping social en Europe est omniprésent. Un manifestant l’affirme ainsi dans Ouest-France : Le problème, c’est le dumping social en Europe, comment voulez-vous qu’on lutte contre des employés payés 3 euros de l’heure sans protection sociale ?, L’Europe est vue comme ayant permis l’accès de tous au marché continental... mais sans avoir assuré des conditions de concurrence équitables. Florent lardic développe d’ailleurs ce point dans un autre article du taurillon.

Lutte pour permettre à la Bretagne de décider de son avenir enfin. Les promesses faites lors de l’élection présidentielle, et qui en Bretagne avaient du sens, se sont révélées être des leurres. La mesure 56 sur la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires a été balayée d’un revers de main. L’acte III de la décentralisation est un acte manqué.

La France est aujourd’hui en total décalage avec ce qui se passe en Europe. Les Gallois, les Galiciens, les Sardes, les Catalans, les Écossais et bien d’autres peuples disposent aujourd’hui de droits spécifiques et d’une plus ou moins forte autonomie.

Dans ce mouvement en marche, la Bretagne semble être la grande oubliée. Les exemples européens sont constamment mis en avant ; l’écosse ou la catalogne bien sur, mais aussi, paradoxalement en apparence, le modèle allemand. Comme le rappelle Guillaume Duval (rédacteur en chef du magazine Alternatives économiques), le modèle allemand doit son succès à son organisation politique avec des länder forts et au dialogue social plutôt qu’a la dérégulation totale du marché du travail initié par Schroder.

Faut-il conclure de cette vision ambivalente que l’Europe est vue comme un danger, que les bonnets rouges seraient anti-européens ? La Bretagne a constamment voté pour l’Europe. Maastricht a été voté en France grâce au vote Breton. En 2006, les bretons ont majoritairement voté pour le TCE. Les partis eurosceptiques, du parti de gauche au Front national, sont peu représentés dans la péninsule, alors que l’opinion publique et les médias s’affichent traditionnellement pro européens. Et en guise de clin d’oeil, la majorité des bonnets rouges vus à la manifestation de Quimper viennent... d’Europe. Une fois ses propres stocks vidés, la société Armor Lux est allée se fournir en Ecosse.

Alors oui, les bas-bretons se sentent concernés par la question européenne. Dans l’incertitude actuelle, l’Europe pourrait devenir la grande détestée si elle reste dans le flou actuel. Les remous causés par l’annonce de la suppression prochaine des quotas laitiers, dans l’indifférence voir avec l’approbation du gouvernement français, l’illustrent bien.

Cependant, l’Union peut aussi redorer son blason : en construisant un modèle social à l’échelon du continent, ou encore en travaillant sur l’aide à la mise en place d’infrastructures de transport ou sur l’énergie, comme elle commence à le faire en Espagne. En maintenant la PAC tout en la réorientant vers un modèle plus qualitatif et écologique.... Et en accompagnant la transition.

Enfin, il, importerait probablement de s’interroger sur les accords de libre-échange signés en série. Comme l’affirme un producteur de porc en Bretagne, « de nouveaux accords de libre-échanges vont être ratifiés entre l’UE et le Canada (par exemple), et vont permettre au Canada de nous envoyer 83 000 tonnes de leurs cochons sur notre marché. Or ces cochons ne répondent nullement aux exigences intra-européennes ni en terme de sécurité sanitaires (antibiotiques, hormones de croissance…) ni de protection environnementale imposées aux éleveurs que nous sommes. »

En résumé, les bretons ont tout intérêt à une Europe plus forte. Et, l’Europe à tout intérêt a répondre aux inquiétudes de ses citoyens, en Bretagne comme ailleurs.

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Vos commentaires
  • Le 11 novembre 2013 à 19:32, par LEBON En réponse à : Bonnets rouges et Europe

    Quelques infos érronées :

    A Pont-de-Buis, il n’y a pas eu d’affrontement, mais le démontage du portique par Ecomouv’.

    la CGT n’était pas à Quimper, mais à Carhaix dans la contre-manifestation des syndicats, Front de Gauche et EELV.

  • Le 11 novembre 2013 à 22:04, par Kevin J. En réponse à : Bonnets rouges et Europe

    A Pont de Buis il y a eu affrontement puis démontage quelques jours plus tard ; quand au 2 novembre, la moitié de la CGT avait envoyé sa direction se faire voir et était à Quimper. Il y avait un bon nombre de drapeaux. Il y avait aussi quelques drapeaux Sud et CFTC à droite à gauche d’ailleurs.

  • Le 16 novembre 2013 à 14:19, par Bernard Giroud En réponse à : Bonnets rouges et Europe

    Depuis plus de vingt ans, le secteur industriel de cette région s’est maintenu à un niveau constant avec l’agriculture, les technologies de l’info. et de la com., l’automobile et la pèche. En étant seulement la cinquième ou sixième région industrielle de la France, cette régularité et la réaction actuelle de toute une population régionale mérite que l’on y regarde de plus près avec respect.

    Ainsi donc tout un groupe s’organise pour se faire entendre. Les règles devront en tenir compte.

    Resitué dans un contexte plus large d’une économie industrielle française à la débâcle, sous l’effet d’une importance trop grande donnée au secteur financier plutôt qu’à celui du travail, ces bretons sont une sorte de point d’encrage qui ouvre la voie, une voie opposée à un laisser faire inamical et ruineux.

    Tirer de bons enseignement de cette révolte régionale, quasi familiale, c’est imaginer sans tarder ce que le team France et ses régions doivent faire face à cette crise. Il, ou elles doivent induire les moyens de restaurer et relancer nos outils de travail industriels et agricoles quitte à changer les règles, là en premier lieu, ou nous pouvons le faire, cad sur notre territoire.

    Mais un énarque peut-il renaitre du carcan de son moule ? Il faudrait pour cela qu’il se libère de son maitre d’école. Est-ce trop demander, ou faudra-t-il en changer ?

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