Boris à bicyclette, ou comment l’ambition de l’ancien maire de Londres fragilise la Grande-Bretagne

, par Anna Wilson, traduit par Cyrille Amand

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Boris à bicyclette, ou comment l'ambition de l'ancien maire de Londres fragilise la Grande-Bretagne
Boris, opportuniste et hypocrite ? Ⓒ Michael Bowles/Rex Features -Flickr Commons (CC BY 2.0)

Ces jours-ci, le nom de Boris Johnson fait très souvent la une des journaux. Entre ses attaques à la limite du burlesque contre une soi-disante dictature de l’Union européenne et ses escapades à bord du Battle Bus, l’homme qui fut un temps partisan de l’Union semble aujourd’hui déterminé à larguer les amarres pour de bon avec l’Europe. Mais pourquoi un tel changement ?

Les rumeurs qui instituent Boris Johnson comme un premier ministre potentiel ne sont pas nouvelles. La campagne du référendum n’a fait que le rapprocher du but. Ainsi, sa participation à la campagne du « non », plus qu’une conviction réelle en une sortie de l’UE, est en réalité un énorme coup publicitaire visant à conforter son image de dirigeant auprès des électeurs.

Ces derniers mois ont érigé Boris Johnson à un niveau encore non-atteint par les autres candidats potentiels à la gouvernance du parti conservateur. Ils lui ont aussi donné du temps et de la visibilité ; en d’autres termes l’occasion de démontrer sa figure d’homme d’Etat et – s’il était appelé à devenir premier ministre – une excellente position de repli lorsque les choses tourneront mal. Inévitablement.

Une fois énoncé ce plan aussi vicieux qu’intelligent, il est important d’étudier ses conséquences à plus grande échelle pour le Royaume-Uni. Mis ensemble, les commentaires outrageux, le populisme, les informations erronées et, évidemment, les signes évidents d’avoir affaire à un politicien carriériste, révèlent le fait que les intérêts à long-terme du pays ne sont pas pris en compte et que la confiance de la nation est donnée au mauvais destinataire.

En 2015, David Cameron déclarait à la BBC qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Depuis, les spéculations tant au sein qu’à l’extérieur du parti conservateur vont bon train. Et, bien que les successeurs potentiels de Cameron soient nombreux, Boris Johnson tient la corde. Quelle meilleure façon de s’assurer la victoire qu’en se positionnant dans la campagne comme l’égal de Cameron ? Un coup de poignard, dès lors que le poste de premier ministre n’est pas quelque chose que Boris Johnson écarte ? Va-t-il le réclamer ? En tout état de cause, il prépare le terrain au mieux pour se faciliter la tâche.

Se démarquer

Supposons que le camp du « oui » l’emporte (ce qui est assez probable). La ferveur médiatique post-référendum retombera, et la plupart des militants du « non » retournera dans le moule nationaliste d’où elle était sortie. Le nom de Boris Johnson sera resté sur les lèvres, et la foule du « non » se rappellera l’homme qui combattit avec élégance et courage.

Le référendum sur l’Union européenne n’aura été rien de plus qu’une campagne publicitaire de grande ampleur pour BoJo. Sa réputation a traversé le Royaume-Uni de bout en bout, et son nom est désormais connu sur le continent européen. Dans un monde politique dont le charisme de ses dirigeants égal celui de serviettes de bain, Boris arrive comme une bouffée d’air frais pour des électeurs désabusés et plus que lassés. Après tout, bien peu de politiciens ont l’honneur d’être appelés affectueusement par leur prénom uniquement. En ce moment, tous les yeux sont rivés sur la politique d’Outre-manche, et Boris mène la danse.

En apesanteur

BoJo fait en sorte que ses 15 minutes de notoriété durent le plus possible. A la lueur des projecteurs dont la brillance n’égale que celle de ses cheveux, Boris a désormais l’attention du monde et en use pour démontrer ses aptitudes à diriger.

Alors que bien des gens gonflent leur CV de mots compliqués et surestiment quelque peu leur maîtrise des langues étrangères, Johnson s’est déchaîné et a manœuvré de telle sorte à se retrouver dans une position où il sera perçu comme l’égal de Cameron dans le débat. A le voir conduire le très kitsch « Battle Bus » dans les rues de Londres et armé d’un essaim de journalistes et de conseillers de campagne, le souvenir récent des dernières élections législatives se fait plus familier encore. La vision de l’ancien maire de Londres, ridicule et cafouilleur, en futur premier ministre, n’est tout à coup plus si absurde.

« Habille-toi en fonction du boulot que tu veux, pas celui que tu fais, et dans le doute, prends la tête d’une campagne pour le « non » à plusieurs millions de livres » dit le proverbe.

Je vous l’avais dit

Evidemment, si le « non » l’emporte, Johnson pourra surfer sur la vague de louanges qui le conduira tout droit au 10 de la Downing Street. Mais Boris ne croit pas à la victoire du « non ». C’est pourquoi son objectif est de prendre la tête de son parti et de se rendre la vie plus facile une fois élu premier ministre.

L’idée selon laquelle le Royaume-Uni ne serait pas pro-européen est ridicule. Ils adorent l’Europe, ou plutôt ils adorent s’en plaindre. Bouc-émissaire par excellence depuis les dernières sorcières envoyées au bûcher quand les récoltes étaient mauvaises, l’Union européenne est une échappatoire garantie sans risque pour des hommes politiques apparemment eurosceptiques. La crise du logement ? Les immigrés européens ! Une attaque terroriste sous le nez du MI5 ? C’est la faute de la libre circulation ! Le bus est en retard ? Bruxelles.

Si Boris perd le 24 juin, l’histoire eurosceptique se souviendra de lui comme du noble guerrier solitaire qui combattit l’ennemi vaillamment, malgré son abandon par le reste de sa division – quelque chose de comparable aux films de guerre à la véracité historique douteuse diffusés le dimanche après-midi lorsqu’il pleut. Désormais, Boris pourra imputer à la dictature bruxelloise tout problème politique qui surviendrait durant la course à la présidence du parti et durant son mandat. Il sera le seul à pouvoir dire (et, bien sûr, il le dira) : « Je vous l’avais dit ».

Une stratégie intelligente du point de vue impitoyable d’un monde à la House of Cards, mais un jeu dangereux pour l’avenir du Royaume-Uni et pour la non-dédiabolisation de l’UE. Jouer avec la peur pour servir ses propres ambitions n’est pas un caractère souhaitable pour un premier ministre.

Ecraser l’Europe

Le plan rusé mais somme toute assez simple de BoJo, associé à ses gaffes farcesques et récurrentes, donneront peut-être naissance au plus grand épisode réel jamais observé de The Thick of It (NDT : sitcom britannique satirique sur le gouvernement britannique). Mais les conséquences pour le Royaume-Uni risquent de ne pas être aussi drôles.

Bien que cocasses, les lapsus répétés de Johnson (intentionnels ou réels), risquent de faire du gouvernement britannique la risée de tous. Ces lapsus sont assez inoffensifs aujourd’hui. En revanche, une fois Johnson devenu chef de gouvernement, arrivera-t-il à peser dans l’échiquier mondial, lui qui se complait à se référer aux nazis et souffre de fantasmes liés aux régulations sur les bananes ? Avec le futur président Trump en ligne de mire, c’est un candidat de poids qu’il faut lâcher dans l’arène.

En outre, un homme mû par l’auto-satisfecit est-il le genre de figure dont un pays a besoin ? Est-il raisonnable de donner le pouvoir à un homme dont les ambitions primeront toujours sur les intérêts du Royaume-Uni ? Il nous faut nous montrer prudents avant de qualifier quelqu’un de « politicien carriériste », mais un homme autrefois pro-européen qui devient celui qui mène la campagne du « non » et son armée de nationalistes n’est certainement pas guidé par une loyauté fervente. Dire qu’une bonne politique requiert du sens moral serait naïf et trop ambitieux, mais elle requiert au-moins des convictions – et BoJo a prouvé qu’il en était dépourvu.

La troisième et dernière raison pour laquelle le contrôle de la campagne du « non » par Boris pose problème au Royaume-Uni, est qu’elle paye. Les gens commencent à le croire. Nous croyons que les intérêts du Royaume-Uni résident dans l’Union européenne, mais même en mettant ceci de côté, le danger est que Boris lui-même n’est pas solvable, et n’a de cesse de lancer en l’air des insanités depuis son bus populiste pour servir ses propres intérêts. Une stratégie politique forte, donc, mais qui ne porte pas les intérêts du Royaume-Uni en son sein.

En bref, ce n’est pas la position de Boris qu’il nous faut critiquer le plus ; c’est le fait qu’il ait choisi de s’en saisir dans une tentative calculée et qui se révélera probablement payante de s’assurer le poste de premier ministre et sa place dans l’histoire politique.

Peu importe les résultats de ce référendum, Boris est un gagnant, et il aura achevé le restant de popularité de l’Union européenne, ses propres convictions et l’intérêt général des citoyens britanniques pour crier victoire.

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