Brexit reporté : tout est encore possible

, par Antoine Potor

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Brexit reporté : tout est encore possible
Source : Union Européenne, 2019. Réunion du Conseil Européen, 21 mars 2019, Bruxelles.

Au lendemain du Conseil Européen du 21 mars 2019, la date fatidique du 29 mars originellement prévu pour le Brexit a disparu des radars. Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord : la Première Ministre Theresa May aura bien droit à son extension. Mais attention, ce n’est pas sans condition. En effet, les 27 offrent deux possibilités à Theresa May : faire adopter l’accord de retrait la semaine prochaine par le Parlement britannique et obtenir une courte extension technique jusqu’au 22 mai, ou à défaut une nouvelle date de retrait fixée au 12 avril laissant de nombreuses possibilités encore sur la table.

La convention de Bercow

1604. C’est une règle du Parlement britannique vieille de 415 ans qui a assombri les perspectives de Theresa May le 18 mars dernier. La Première Ministre espérait en effet organiser cette semaine un nouveau “Meaningful vote” (vote significatif), le troisième sur l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, et le deuxième en seulement quelques jours. C’était sans compter sur John Bercow, Président de la Chambre des Communes, qui lui a refusé une telle possibilité en vertu de cette convention parlementaire de 1604.

Selon ce principe, un texte identique ne peut pas être présenté aux députés deux fois dans la même session parlementaire - celle en cours doit se terminer le 4 avril 2019 - à moins que des “changements substantiels” y soient apportés.

Tout dépend donc de ce que chacun entend par changement substantiel, selon Theresa May dans sa lettre au Président du Conseil européen, Donald Tusk, l’accord de retrait répondra au principe de 1604 si les 27 approuvent l’instrument de Strasbourg, mais n’a-t-il pas déjà servi pour réunir la Chambre autour du deuxième “Meaningful vote” le 12 mars dernier ?

Tout est une question d’interprétation de la convention de Bercow. Le Président de la Chambre pourra très bien considérer que le report de la date de sortie ne constitue pas un “changement substantiel” apporté au texte ; Theresa May ne pourra alors compter que sur la volonté des députés d’éviter le “no-deal” en approuvant la tenue du troisième “Meaningful vote” passant outre le texte de 1604.

“I’m on your side”

Mercredi, la réaction de la Commission européenne a été rapide et claire sur la demande d’extension courte formulée par Theresa May. La date du 30 juin apparait poser des problèmes juridiques et politiques dans la perspective des élections européennes qui se tiendront au mois de mai 2019 : si à l’approche de cette date, l’accord de retrait n’est toujours pas signé et que le gouvernement britannique décide, pour éviter une sortie sans accord, de révoquer l’article 50 et donc de rester dans l’Union européenne, les Britanniques n’auront pas participé aux élections européennes, rendant le Parlement européen illégal.

C’est pourquoi, la Commission européenne considère que le délai ne doit être accordé que jusqu’au 22 mai, veille des élections pour éviter un tel scénario (Jean-Claude Juncker l’avait déjà évoqué à Strasbourg).

Pourtant le Président du Conseil Européen, Donald Tusk, dans une courte allocution a estimé que la demande de Theresa May pourrait être accordée. Cette extension serait cependant conditionnée à un vote positif des députés britanniques pour l’accord de retrait, une extension technique comme l’a exprimé Jean-Yves le Drian devant l’Assemblée Nationale, position également partagée par l’Espagne et la Belgique. Dans un tel scénario, les dernières formalités pourraient se régler par écrit, autrement Donald Tusk estime possible la convocation d’un Sommet extraordinaire la semaine prochaine pour éviter le “no-deal”.

Cette veille de Conseil Européen s’est conclue par une prise de parole de Theresa May adressée aux Britanniques. Elle s’est rangée du côté de ses compatriotes - “I’m on your side” - arguant comprendre leur fatigue face aux tergiversations des députés qu’elle rend donc responsables de cette situation si incertaine. Elle leur laisse donc trois possibilités : voter son accord qu’elle considère être la meilleure solution, le rejeter et sortir de l’Union sans accord, ou bien ne pas sortir du tout et donc demander la révocation de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne. La Première Ministre elle-même a par ailleurs exclu l’option d’une extension plus longue car cela impliquerait de participer aux élections européennes, ce qui semble inconcevable politiquement alors que le camp du “Leave” a gagné en 2016. De même, la question d’un second référendum ne fait pas de doute pour Theresa May : le peuple britannique s’est déjà exprimé, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne.

Mais le peuple britannique ne peut-il pas avoir changé d’avis ? Alors qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, une pétition déposée sur le site du Parlement britannique et demandant la révocation de l’article 50 a atteint plus de deux millions de signatures. Face à une telle mobilisation, nous pouvons donc légitimement nous poser la question

Adieu 29 mars

Après de longues discussions, les 27 réunis à Bruxelles ont fini par s’accorder sur un texte en réponse à la demande de Theresa May : il n’y aura pas d’extension au 30 juin 2019 mais un système de filet de sécurité - “backstop” - afin d’éviter le “no-deal”. Ils approuvent également les documents conclus à Strasbourg la semaine dernière, qui précisent l’interprétation de l’accord de retrait et plus particulièrement celle du “backstop” irlandais. Ces documents précisent que le filet de sécurité entre les deux Irlandes s’il est mis en place, ne pourra pas être maintenu indéfiniment, dans le cas où l’Union ferait preuve d’un comportement de “mauvaise foi, le Royaume-Uni pourrait suspendre unilatéralement le backstop. Cet instrument d’interprétation doit selon Theresa May lui permettre de présenter un “nouveau texte” à même de recueillir les faveurs des parlementaires britanniques, puisque la question du filet de sécurité irlandais et de sa mise en oeuvre concrète a été au coeur des discussions parlementaires depuis novembre 2018.

La proposition européenne se décompose donc en trois temps : un report au 22 mai 2019 sera accordée, si et seulement si, Theresa May parvient à faire voter le texte de retrait la semaine prochaine, premier temps. En cas d’échec elle disposera d’un délai jusqu’au 11 avril - le 12 avril étant la date limite pour prendre part aux élections européennes - pour faire de nouvelles propositions et potentiellement demander une extension longue, deuxième temps. Dans cette éventualité, cela signifie également que les Britanniques devront prendre part aux aux élections européennes de mai 2019. Si la Première Ministre échoue à ces deux premières options, alors le “no-deal” sera de nouveau sur la table : troisième temps.

La situation n’est donc pas beaucoup plus claire aujourd’hui pour les Britanniques, car tout est donc encore possible : “leaving for real, or not, that is the question…” La balle est maintenant dans le camps des députés britanniques : accepter l’accord négocié par Theresa May ou le rejeter une nouvelle fois ? partir sans accord ? Ou bien - peut-on le rêver - se questionner sur la possibilité de rester dans l’Union...

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